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L’érosion du ciment au pourtour d’un trou d’homme a causé la chute d’une femme qui se voit accorder une indemnité de 72 000 $ payable par la Ville de Montréal et Bell Canada

Collard v. Montréal (Ville de), EYB 2016-270696 (C.S., 21 septembre 2016)
L’érosion du ciment au pourtour d’un trou d’homme a causé la chute d’une femme qui se voit accorder une indemnité de 72 000 $ payable par la Ville de Montréal et Bell Canada

La victime, une femme âgée de 64 ans, marchait sur le trottoir pour se rendre chez son fils quand son pied droit s’est coincé dans une ouverture autour du couvercle d’un trou d'homme appartenant à la défenderesse Bell Canada. Elle réclame solidairement à celle-ci et à la Ville de Montréal une indemnité de 99 413 $ en réparation du préjudice subi.

Il ressort de l’ensemble des éléments au dossier que l'anneau de ciment, qui a été coulé autour du couvercle du trou d’homme pour assurer une surface égale au trottoir, est érodé et forme une ouverture d'environ deux pouces de profondeur située à peu près au milieu du trottoir. L'érosion du trottoir est également visible. Celle-ci serait causée par l’écoulement des eaux dans cette direction. Au procès, la victime, rapportant les événements survenus six ans plus tôt, a témoigné qu'elle ne savait pas exactement à quel endroit elle serait tombée. Il n’y a pas lieu de préférer cette description des faits à celles plus contemporaines à l’accident qu’elle a données notamment à l’expert en assurance retenu par la Ville. À plusieurs reprises, à une époque plus près des événements, elle a mentionné que son pied droit s’est coincé dans l’ouverture autour du couvercle du trou d’homme, ce qui lui a fait perdre l'équilibre et a provoqué sa chute. C’est cette version qui doit être retenue.

Bien qu’il soit possible que la victime ait remarqué auparavant la présence du trou d’homme, c’était la première fois qu’elle empruntait le trottoir dans cette direction et rien n’indique qu’elle ait constaté l’existence du trou causé par l’érosion du ciment. Carla Gosselin (Gosselin), qui habite au-dessus de l’appartement du fils de la victime, a une vue directe sur le trou d’homme. Elle affirme que plusieurs personnes qui empruntent le trottoir évitent de circuler sur le trou d’homme préférant plutôt marcher sur la pelouse de la résidence située à proximité. Elle-même aurait trébuché à quelques reprises à cet endroit. Son témoignage confirme l’état de dangerosité des lieux pour les piétons.

La Ville a mis en place un système d’inspection des trottoirs et lampadaires qui lui permet de faire une vérification de chaque rue de l’arrondissement en cause, tous les 12 jours ouvrables approximativement. Si ce moyen de vérification semble raisonnable en théorie, force est de constater que, en pratique, il s’est montré déficient, en ce qu’il n’a pas permis de constater que le lampadaire à proximité du trou d'homme n’était pas fonctionnel. En effet, il n’est pas retenu que l’absence de plainte concernant l'éclairage à cet endroit et de mention aux dossiers de la Ville qu’une réparation aurait été effectuée tend à démontrer que la lumière était allumée. La victime a déclaré que les lieux de l’accident étaient sombres, ce qui n’aurait pas pu être le cas, comme l’admet la Ville, si le lampadaire avait bien fonctionné. À la demande de l’expert en assurance de la Ville, elle a vérifié, 20 jours après les événements, s’il était allumé et sa conclusion a été négative. Le témoignage de Gosselin confirme que le lampadaire, qui l’oblige à fermer ses rideaux la nuit puisqu’il éclaire dans sa maison, n’a été réparé qu’un an après l'accident. La Ville a reconnu qu’il s’agissait de la source d’éclairage la plus près du trou d’homme et, malgré sa connaissance du problème, il lui a fallu plusieurs mois avant d’intervenir.

La Ville admet dans sa défense avoir, en 1951, accordé l’autorisation à Bell d’installer le trou d'homme dans son trottoir. En l’absence de preuve d’une quelconque entente entre elles concernant son entretien et son utilisation, il est retenu que celui-ci, et l’ensemble de son installation, incluant l'anneau de ciment, est la propriété de Bell, alors que le trottoir en lui-même est sous la responsabilité de la Ville. Le couvercle, l'anneau de ciment ainsi que la chambre souterraine sont, en fait, une seule installation constituant un « immeuble » au sens de l'article 1467 C.C.Q. Cet article crée une présomption de responsabilité pesant contre le propriétaire du bien. En l’espèce, la preuve révèle un défaut d’entretien qui a entraîné la détérioration progressive du ciment qui se trouve autour du trou d’homme. Bell n’a pas pris les mesures appropriées pour assurer une surveillance adéquate du vieillissement de la structure et effectuer les réparations appropriées en temps opportun.

Tout bien considéré, la chute résulte de l'effet combiné de l'érosion de l’anneau de ciment entourant le trou d’homme et de l’érosion anormale du trottoir. Aucune faute contributive ne peut être retenue contre la victime. La Ville et Bell sont condamnées solidairement aux paiements des dommages-intérêts, étant donné la nature extracontractuelle de leur responsabilité. Pour valoir entre elles, vu la faute distincte qu’elles ont chacune commise, leur part de responsabilité respective est fixée à un tiers pour la première et deux tiers pour la seconde.

Outre la fracture du poignet gauche qu’elle a subie lors des événements, la victime soutient avoir également subi une fracture du petit doigt de la main droite. Or, dans sa requête introductive d’instance, elle déclare que le diagnostic de cette blessure a été prononcé tardivement, près de cinq semaines après l’accident, et que cette erreur commise par l’hôpital a empêché l’administration d’un traitement approprié, ce qui a entraîné une rigidité permanente du doigt fort incommodante. Ce dommage résulte d’une erreur médicale. Il ne peut faire l’objet d’une réclamation en l’instance. Ainsi, seule la blessure au poignet est retenue aux fins de l’évaluation des pertes non pécuniaires. Le déficit anatomophysiologique (DAP) est fixé à 12 %. Aucune intervention chirurgicale n’a été nécessaire, mais la victime a dû porter un plâtre et endurer une certaine douleur lors de la remise en place de son poignet. Son incapacité partielle temporaire s’est échelonnée sur huit mois et demi. Elle a dû se soumettre à des traitements de physiothérapie extrêmement douloureux pendant environ un mois. Par ailleurs, il n’est pas retenu qu’elle aurait été empêchée de s’impliquer dans son entreprise familiale de rénovation et de location de logements puisque, dans les faits, elle devait s’occuper de son époux malade presque à plein temps. Elle éprouve des difficultés à soulever des objets de deux ou trois kilos, ce qui la handicape beaucoup dans l’aide qu’elle peut désormais apporter à celui-ci. Elle a dû limiter certaines de ses activités, alors qu’elle était très active physiquement avant l’accident, mais elle peut encore s’adonner à plusieurs de ses passe-temps.

Afin d’assurer l’intégrité du régime d’indemnisation prévue par la loi, il convient d’examiner les montants accordés pour compenser les pertes non pécuniaires dans des cas similaires à celui à l’étude. Dans la cause Rivard c. Harnois, EYB 2007-126550, une femme de 60 ans a obtenu une indemnité de 60 000 $ (indexée à 72 297 $ | fiche Quantum – Préjudice corporel) après avoir subi une fracture du poignet qui s’est aggravée par l’apparition de rares complications. Dans l’affaire Beaubien c. Piscines Val-Morin inc., EYB 2008-134328, c’est un montant de 62 000 $ (indexé à 74 707 $ | fiche Quantum – Préjudice corporel) qui a été accordé à une femme de 69 ans en raison de graves blessures à l'épaule. Enfin, une somme de 65 000 $ (indexée à 71 939 $ | fiche Quantum – Préjudice corporel) a été octroyée à une femme de 45 ans, victime d’une luxation du coude gauche et d'une fracture du poignet gauche, dans l’affaire Charbonneau c. Desjardins Assurances générales inc., EYB 2012-202326. La situation de la victime dans le présent dossier est similaire à celle représentée dans cette dernière décision. Quoique la demanderesse dans cette cause soit plus jeune, qu’elle ait dû subir une chirurgie et se soumettre à davantage de traitement de physiothérapie, ses limitations sont similaires à celles de la victime en l’espèce. Cette dernière semble être toutefois plus touchée dans son style de vie. Une indemnité comparable doit lui être accordée.

Tout compte fait, les pertes non pécuniaires de la victime sont évaluées à 72 000 $.

En ce qui a trait aux pertes pécuniaires, la victime a droit au remboursement de ses frais de physiothérapie s’élevant à la somme de 515 $. Sa réclamation pour le paiement de services de nettoyage n’est pas accordée puisque les factures ont été faites au nom de son époux et qu’il n’a pas été démontré que les chèques utilisés pour payer, qui proviennent de son compte conjoint, auraient été signés par elle. En outre, le taux facturé est trop élevé et la preuve de la date réelle à laquelle ces travaux ont été effectués n’a pas été apportée. Il est également fort probable que la victime aurait tout de même recouru à ces services, si l’accident n'était pas survenu.

Dans sa tentative de régler le dossier à l’amiable, la victime a procédé à un important échange écrit avec la Ville et Bell. Dans ces premières mises en demeure, le montant réclamé n’est pas indiqué. Ce n’est que le 26 septembre 2012 qu’elle a mentionné dans ses lettres la valeur de ses dommages. C’est donc à partir de ce moment que doit être fixé le point de départ du calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle.

Pour ces motifs, la Ville et Bell sont solidairement condamnées à payer à la victime une somme de 72 515 $.

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