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Commentaire sur la décision Eaves (Succession de) c. Gestion Cianni inc. – La déclaration de transmission d’un immeuble de la succession : l’importance de la publier en temps opportun !

Par Me Anthonie Vézina-Crawford, avocate chez Lavery, s.e.n.c.r.l.
Commentaire sur la décision <em>Eaves (Succession de)</em> c. <em>Gestion Cianni inc.</em> – La déclaration de transmission d’un immeuble de la succession : l’importance de la publier en temps opportu

Introduction

Les articles 2998 et 2999 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») prévoient que les droits détenus par un héritier ou un légataire particulier dans un immeuble de la succession doivent être publiés au registre foncier par l’inscription d’une déclaration de transmission d’immeuble par acte notarié en minute.

Récemment, dans la décision Eaves (Succession de) c. Gestion Cianni inc.1, le tribunal devait se prononcer sur une requête en jugement déclaratoire pour faire statuer sur le délai applicable à la publication de la déclaration de transmission conformément aux articles 2998 et 2999 C.c.Q. En effet, dans cette affaire, les héritiers ont publié leur déclaration de transmission d’immeuble plus de 70 ans après le décès de leur grand-père. Dans l’intervalle, des promoteurs immobiliers ont publié un titre de propriété sur ces mêmes lots.

Le tribunal en vient à la conclusion qu’il n’y a pas de délai pour publier la déclaration de transmission, mais que le retard à la publier peut faire perdre des droits aux héritiers au profit de tiers de bonne foi ayant publié leur titre de propriété plus rapidement.

I– Les faits

Les demandeurs sont les héritiers de John L. (ci-après le « défunt ») décédé en 1939. Celui-ci avait acquis, en 1911, le lot 120 situé dans la ville de Longueuil. En 1912, en vue d’un développement immobilier, le défunt avait subdivisé son lot 120 en 472 lots. Parmi tous ces lots, seule une partie du lot 120-137A et les lots 120-137B et 120-137C sont en litige.

À la suite d’une rénovation cadastrale en 2002, les lots 120-137A, 120-137B et 120-137C sont devenus le lot 2 209 438. Toutefois, l’arpenteur-géomètre ayant procédé à la rénovation cadastrale avait commis une erreur. Celui-ci, se fondant sur un contrat publié en 1986, avait indiqué à tort que la Ville était propriétaire du lot 2 209 438, alors que ce dernier appartenait toujours au défunt. En effet, le contrat sur lequel s’est fondé l’arpenteur-géomètre ne portait pas sur les lots 120-137A et les lots 120-137B et 120-137C.

En novembre 2004, la Ville a cédé le lot 2 209 438 à des promoteurs immobiliers (ci-après les « défendeurs ») à des fins de développement résidentiel et ces derniers ont ensuite publié leur droit de propriété au registre foncier.

En mai 2007, les héritiers (ci-après les « demandeurs ») apprennent que leur aïeul avait acquis des terrains à Longueuil. Après plusieurs recherches cadastrales, ils découvrent que les défendeurs sont propriétaires de lots empiétant sur les terrains dont ils ont hérité, soit les lots 120-137A, 120-137B et 120-137. Les demandeurs tentent alors d’obtenir des explications auprès de la Ville mais, insatisfaits des informations obtenues, mandatent un arpenteur-géomètre qui produira au final cinq rapports.

En 2012, les demandeurs décident de publier leur déclaration de transmission d’immeuble et de décès relativement aux lots 120-137A, 120-137B et 120-137C. Les défendeurs, par demande reconventionnelle, souhaitent être déclarés propriétaires au motif qu’ils ont été possesseurs des lots en litige pendant une période de 10 ans et soutiennent que le droit de propriété des demandeurs ne peut leur être opposable par la déclaration de transmission d’immeuble et de décès, puisque celle-ci a été publiée plus de 10 ans après l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, en ajoutant, au surplus, qu’ils auraient publié leur droit de propriété avant les demandeurs.

II– La décision

S’appuyant sur les articles 626 et 650 C.c.Q., ainsi que sur les articles 6 et 39 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil2, la Ville soutient que les demandeurs avaient jusqu’au 31 décembre 2004, soit 10 ans après l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, pour faire valoir leurs intérêts dans la succession du défunt.

Dans son analyse, la juge Chantal Lamarche explique que les dispositions invoquées par la Ville ne s’appliquent pas en l’espèce puisque celles-ci ne visent pas le délai devant être respecté afin de déposer une déclaration de transmission d’immeuble, mais bien le délai afin de faire reconnaître sa qualité de successible. Le tribunal ajoute que les dispositions précitées ne s’appliquent qu’entre successibles et à l’égard de la succession et qu’elles ne peuvent être invoquées par un tiers, en l’occurrence la Ville.

De plus, la juge Lamarche estime qu’à compter du moment où les demandeurs ont accepté la succession, ceux-ci n’ont pas ignoré leur qualité d’héritiers et n’ont pas renoncé à la succession, et ce, même s’ils ne savaient pas que les lots en litige en faisaient partie. De plus, conformément au principe de l’indivisibilité de l’option édicté à l’article 630 C.c.Q. et voulant que nul ne puisse renoncer à une succession de façon partielle, la Ville ne peut non plus soutenir que les demandeurs, qui ont accepté la succession du défunt, ont renoncé aux lots en litige.

Le tribunal confirme qu’il n’y a pas de délai devant être respecté afin de publier la déclaration de transmission d’immeuble et de décès et le fait que celle-ci l’ait été 10 ans après l’entrée en vigueur du Code civil du Québec ne la rend pas prescrite.

La juge Lamarche rappelle toutefois que la déclaration de transmission d’immeuble et de décès n’a pas d’effet rétroactif et, donc, que le titre des héritiers prend rang selon la date de publication de leur déclaration et que ce n’est qu’à ce moment que leur titre de propriété devient opposable aux tiers.

La Ville prétend que le droit des défendeurs est opposable aux demandeurs, puisqu’ils sont des tiers de bonne foi ayant publié leurs droits avant la publication de la déclaration de transmission et de décès des héritiers. À cet effet, elle invoque la théorie des droits apparents.

Le tribunal, rappelant les quatre conditions devant être remplies afin que cette théorie s’applique, conclut que les défendeurs, lors de l’acquisition des lots, ne se sont pas assurés que la chaîne de titres n’était pas viciée. En effet, le tribunal est d’avis qu’une recherche adéquate au registre foncier aurait pu permettre de déceler l’erreur commise par l’arpenteur-géomètre en 2002 et que le propriétaire réel des lots au registre foncier immédiatement avant la rénovation cadastrale était le défunt et non la Ville.

Le tribunal conclut donc que le titre des défendeurs est vicié et qu’afin d’être déclarés propriétaires des lots, ceux-ci doivent démontrer qu’ils ont été possesseurs des lots en litige pendant au moins 10 ans. Le tribunal estime que les défendeurs Canni, Fiducie et leurs auteurs respectifs ont eu une possession utile de ce qui était le lot 120-137C depuis plus de 10 ans, ce qui est suffisant pour les déclarer propriétaires de l’assiette de l’ancien lot 120-137C.

Quant aux défenderesses, la Ville et Condo Guay, le tribunal estime que considérant qu’ils n’ont pas réussi à repousser la présomption prévue à l’article 925 C.c.Q. à l’égard de la partie de leur lot située sur ce qui était auparavant les lots 120-137A partie et 120-137B, puisqu’elles n’ont pas eu une possession utile de 10 ans, elles ne peuvent en être déclarées propriétaires suivant les règles de la prescription acquisitive.

En ce qui concerne l’argument de la Ville selon lequel le défunt lui aurait cédé par dédicace les lots en litige, à savoir à titre gratuit pour en faire un bien public, le tribunal conclut qu’aucun écrit ne constate la prétendue dédicace. Il ajoute également qu’on ne peut conclure à une dédicace tacite puisque le lot en litige n’a pas été aménagé ou utilisé par le public du vivant du cessionnaire et qu’aucune preuve n’a été fournie quant à l’intention du défunt de céder par dédicace.

III– Le commentaire de l’auteure

Cette décision vient confirmer que même si le Code civil du Québec ne prévoit aucun délai pour publier une déclaration de transmission, il n’y a pas de délai de prescription qui puisse être opposable à sa publication tardive, et ce, même plusieurs décennies après le décès.

Toutefois, comme le rappelle le tribunal, la déclaration de transmission n’a pas d’effet rétroactif et le titre des héritiers prend son rang selon les principes ordinaires de l’opposabilité des droits, soit selon leur date de publication conformément aux articles 2938, 2941 et 2998 al. 1 C.c.Q. Par conséquent, les héritiers ou légataires particuliers ayant des droits sur un immeuble auront donc tout intérêt à publier rapidement la déclaration de transmission. En effet, un tiers qui publie son droit de propriété avant la publication de la déclaration de transmission pourrait être déclaré véritable propriétaire de l’immeuble.

Il faut se rappeler que la déclaration de transmission ne comporte aucun transfert de droit par la succession ou le liquidateur, puisque la transmission s’est opérée de plein droit dès l’ouverture de la succession et que l’héritier ou le légataire est devenu, dès cet instant, propriétaire des biens de l’héritage.

L’omission de la formalité de publication de la déclaration de transmission est plutôt sanctionnée par l’inopposabilité, suivant les règles générales relatives aux effets de la publicité. En effet, l’article 2941 C.c.Q. dispose que la publicité des droits les rend opposables aux tiers. La publication de la déclaration de transmission revêt donc une importance primordiale puisqu’elle constitue le seul document qui établit la mutation de propriété du patrimoine du défunt à celui ou à ceux des héritiers ou légataires particuliers et sa publication la rend opposable aux tiers. Le droit de propriété des héritiers devient donc opposable aux tiers seulement après la publication de la déclaration de transmission.

D’autres principes juridiques peuvent aussi être pris en compte pour établir qui est le véritable propriétaire d’un immeuble. Comme en l’espèce, bien que des tiers puissent avoir publié leur droit de propriété avant la publication de la déclaration de transmission par les héritiers, il pourrait être déclaré que ces tiers ne peuvent être considérés comme ayant un titre valide aux fins d’opposabilité à la déclaration de transmission si des vices de titres sont existants. Dans ces circonstances, comme le mentionne le tribunal, la seule façon pour ces tiers de pouvoir être déclarés propriétaires est de démontrer qu’eux-mêmes ou leurs auteurs ont été possesseurs des immeubles en litige pendant au moins 10 ans avant l’institution des procédures ou de démontrer que le défunt leur a cédé à titre gratuit lesdits immeubles, preuve qui n’a pas réussi à être faite en l’espèce.

Conclusion

Il faut conclure de cette décision qu’il n’y a pas de délai pour publier une déclaration de transmission prévue aux articles 2998 et 2999 C.c.Q., mais que le retard à la publier peut faire perdre des droits à des héritiers ou légataires particuliers au profit de tiers de bonne foi ayant publié leur titre de propriété antérieurement à la publication de la déclaration de transmission.


1 EYB 2016-266815 (C.S.).
2 L.Q. 1992, c. 57.


Ce commentaire est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais.

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