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Dans le cadre d’une demande en résolution de vente, le tribunal n’a pas à prendre en compte l’effet de la dépréciation au niveau de l’évaluation des coûts des travaux correctifs requis pour corriger le vice

Par Me Bryan-Éric Lane, LANE, avocats et conseillers d’affaires inc.
Dans le cadre d’une demande en résolution de vente, le tribunal n’a pas à prendre en compte l’effet de la dépréciation au niveau de l’évaluation des coûts des travaux correctifs requis pour corriger l

Dans notre dernier billet, nous avons traité de la question de la dépréciation et plus particulièrement, du fait que le tribunal appliquera, dans le cadre d’une demande en réduction du prix de vente, une dépréciation lorsque les travaux correctifs dont l’acheteur réclame le remboursement ont eu pour effet de procurer une amélioration/une plus-value à son immeuble. Comme nous en avons traité dans un billet antérieur sur les principes applicables en matière de réduction du prix de vente, la réduction du prix de vente doit être raisonnable eu égard aux circonstances et ne doit pas avoir pour effet d’enrichir indument l’acheteur au détriment du vendeur, alors que l’acheteur conservera le bien vendu, ce qui implique impérativement de tenir compte de la plus-value entraînée par les travaux correctifs.

Comme l’honorable Hélène Carrier, j.c.q. l’indique dans sa décision Lachance c. Rodrigue (EYB 2016-266582, par. 246 – Texte intégral | Fiche quantum), il faut « proposer une réduction de prix qui soit possible et raisonnable eu égard aux circonstances et non uniquement additionner les coûts des travaux correctifs projetés ou encourus pour corriger les vices ». La détermination préalable par l’acheteur de la dépréciation applicable à sa réclamation pour vices cachés lui permettra d’évaluer le montant qu’il pourra réalistement obtenir, si la Cour conclut à vices cachés.

«considérant que l’immeuble fut acquis pour un prix d’achat de 256 000 $ par l’acheteuse, le tribunal, présidé par l’honorable Gary D.D. Morrison, se demande s’il doit prendre en considération l’effet de la dépréciation au niveau de l’évaluation des dommages (en l’espèce le coût des travaux correctifs), afin d’évaluer leur importance par rapport au prix d’achat payé par l’acheteuse dans le cadre d’une demande en résolution de vente d’un immeuble. »

La réalisation précoce de cet exercice peut permettre d’éviter des situations comme celle survenue dans l’arrêt de la Cour d’appel Bellemare c. Déry (EYB 2009-167420 – Texte intégral | Fiche quantum), où l’acheteur d’un immeuble centenaire qui réclamait une réduction de prix de vente de plus de 150 000 $ s’est finalement retrouvé, après une audition de trois jours devant la Cour supérieure et après un dossier d’appel, avec un jugement final lui accordant moins de 25 000 $ à titre de réduction du prix de vente pour les travaux correctifs (la Cour d’appel ayant conclu à une plus-value de 70 %).

Toutefois, la Cour supérieure, dans la décision Martin c. Brière (EYB 2016-266236 – Texte intégral | Fiche quantum), est venue nous rappeler que le tribunal ne doit pas prendre en compte l’effet de la dépréciation lorsque l’acheteur demande la résolution de la vente.

Dans cette affaire, l’acheteuse demandait l’annulation de la vente de l’immeuble en raison de la présence de vices cachés à son immeuble. Les travaux correctifs requis à la propriété en cause (construite aux environ de 1958) pour corriger l’ensemble des vices en cause allaient coûter à l’acheteuse Martin une somme 95 761,92 $ sans l’effet de la dépréciation. En appliquant la dépréciation, les experts se sont entendus sur une valeur dépréciée de 47 399,50 $.

Comme on le sait, pour être en mesure d’obtenir l’annulation de la vente d’un immeuble, le vice doit être important, voire substantiel, et le coût des travaux correctifs par rapport au prix d’achat payé par l’acheteur doit être important.

Dès lors, considérant que l’immeuble fut acquis pour un prix d’achat de 256 000 $ par l’acheteuse, le tribunal, présidé par l’honorable Gary D.D. Morrison, se demande s’il doit prendre en considération l’effet de la dépréciation au niveau de l’évaluation des dommages (en l’espèce le coût des travaux correctifs), afin d’évaluer leur importance par rapport au prix d’achat payé par l’acheteuse dans le cadre d’une demande en résolution de vente d’un immeuble.

Plus particulièrement, le tribunal doit-il évaluer les dommages (le coût des travaux) en fonction d’un montant de 95 761,92 $ (soit le prix total que devra payer l’acheteuse pour faire les travaux) ou doit-il le faire en fonction du montant déprécié de 47 399,50 $ afin de déterminer l’importance du coût des travaux correctifs par rapport au prix d’achat payé par l’acheteuse ?

La Cour répond à cette question comme suit :

[162] Quant à l’évaluation des dommages, le Tribunal devrait-il, en l’espèce, prendre en considération l’effet de la dépréciation ?
[163] La question est importante car, selon l’expert Guertin, les mêmes travaux correctifs, qui font présentement l’unanimité des experts, coûteront 95 761,92 $ sans l’effet de la dépréciation.
[164] En ce qui concerne la demande de Martin de résoudre la vente, le Tribunal est d’avis qu’il n’a pas à prendre en considération l’effet de dépréciation, car c’est le montant total que l’acheteur est en réalité obligé de payer, ou de financer, qui doit être considéré.
[165] Certes, la dépréciation peut être utile pour nous guider dans le calcul des dommages à être payés par un débiteur afin d’éviter que le créancier bénéficie, comme propriétaire du bien, d’une plus-value. En ce qui concerne la résolution de vente, ce que l’on doit évaluer est l’importance des montant à être payés pour corriger les vices par rapport au prix d’achat payé, et ce, dans le but de déterminer si l’acheteur devrait rester propriétaire du bien ou non.

En décidant de ne pas tenir compte de la dépréciation au niveau de l’évaluation des coûts des travaux correctifs dans le contexte d’une demande en résolution de vente, le tribunal conclut à ce qui suit :

[166] Martin plaide l’article 1726 C.C.Q. afin de demander la résolution de la vente.
[167] Elle demande, en conformité avec l’article 1606 C.C.Q., que le Tribunal lui accorde la restitution du montant du prix d’achat de l’immeuble et, de plus, que les dépenses associées à la vente lui soient remboursées.
[168] Selon l’article 1604 C.C.Q., la demande de résolution de la vente ne peut être fondée sur des vices cachés de « peu d’importance ». Donc, les vices doivent être considérés comme importants.
[169] En l’espèce, le Tribunal est d’avis que l’immeuble est affecté de vices cachés qui sont, dans l’ensemble, graves et importants, notamment aux murs de fondation, au drain français, à la toiture, ainsi qu’à tout autre élément technique qui a contribué à la formation de moisissure dans les salles de bains et dans l’air ambiant.
[170] L’estimation des coûts de 95 761,92 $, avant l’effet de dépréciation, démontre que c’est l’effet cumulatif qui rend majeurs ces vices cachés.
[171] Ces coûts sont très importants par rapport au prix d’achat de l’immeuble de 256,000 $. Ils représentent plus de 35% de ce montant.
[…]
[177] En l’espèce, la gravité des vices, dans l’ensemble, justifie la résolution de la vente. [Notes omises]

En terminant, il est intéressant de souligner que le tribunal a considéré que le non-fonctionnement du drain français de la propriété en cause était un vice caché, malgré le fait que ledit drain français se devait d’être remplacé et qu’il avait vraisemblablement atteint la fin de sa durée de vie utile, en raison des représentations de la vendeuse Brière, laquelle a déclaré à l’acheteuse Martin que le drain était fonctionnel.

Plus particulièrement :

[139] Dans de telles circonstances, le Tribunal est d’avis que la représentation de Brière selon laquelle le drain français était fonctionnel a rassuré Martin, comme Brière le souhaitait précisément, et a fait en sorte que Martin n’avait pas de raison de faire faire une inspection plus approfondie de la dalle de béton du sous-sol ou du drain français, nonobstant la présence du tapis sur la dalle de béton. Il s’agit donc d’un vice caché.
[140] Bref, ayant déclaré que le drain français était fonctionnel, Brière ne peut pas maintenant l’exclure de sa garantie légale sous prétexte qu’il dépassait sa durée de vie normale.

«Certes, la dépréciation peut être utile pour nous guider dans le calcul des dommages à être payés par un débiteur afin d’éviter que le créancier bénéficie, comme propriétaire du bien, d’une plus-value. En ce qui concerne la résolution de vente, ce que l’on doit évaluer est l’importance des montant à être payés pour corriger les vices par rapport au prix d’achat payé, et ce, dans le but de déterminer si l’acheteur devrait rester propriétaire du bien ou non.»

Nous tenons à souligner que les tribunaux ont maintes fois rappelé que la vétusté n’est pas couverte par la garantie légale de qualité, tel que je l’ai d’ailleurs souligné dans un billet antérieur. Le tribunal a conclu ici à vice caché pour le non-fonctionnement du drain français manifestement vétuste en raison des représentations erronées de la vendeuse qui a déclaré à l’acheteuse avant la vente que celui-ci était fonctionnel, ce qui empêche la vendeuse, selon le tribunal, de pouvoir exclure le drain de la garantie légale de qualité sous prétexte qu’il était vétuste/qu’il avait atteint sa fin de durée de vie utile.

À l’égard de ce qui précède, j’exprime mon désaccord avec la conclusion du tribunal voulant que le non-fonctionnement d’un drain français vétuste puisse constituer un vice caché au sens de la garantie légale de qualité de l’article 1726 C.c.Q.

Certes, des représentations fausses et/ou erronées d’un vendeur peuvent avoir pour effet de rendre un vice apparent juridiquement caché. Toutefois, de telles représentations fausses et/ou erronées ne peuvent ouvrir la porte à l’application de la garantie légale de qualité pour un vice qui, à la base, n’est pas couvert par la garantie légale de qualité, en l’occurrence la vétusté.

Vu la déclaration de la vendeuse selon laquelle le drain de cette propriété construite vers 1958 était fonctionnel alors que ce n’était pas le cas, je suis d’avis que c’est plutôt sous l’angle de l’obligation de délivrance édictée par les articles 1561 et 1716 C.c.Q. (en vertu de laquelle le vendeur a l’obligation de délivrer un bien rigoureusement conforme à ce qui a été convenu ou à ce qu’il a déclaré lors de la vente) ou encore sous l’angle d’une garantie conventionnelle en vertu de l’article 1732 C.c.Q. que la responsabilité de la vendeuse aurait dû être retenue relativement à la problématique du non-fonctionnement du drain vétuste, et non sous l’angle de la garantie légale de qualité en vertu de l’article 1726 C.c.Q., puisqu’un drain français vétuste au moment de la vente n’est pas, de l’avis du soussigné, un vice couvert par la garantie légale de qualité.

Invoquer le dol en vertu de l’article 1401 C.c.Q. n’aurait toutefois pas été possible en l’espèce, puisque la Cour en est venue à la conclusion que la preuve ne permettait pas de conclure que la vendeuse connaissait ou pouvait connaître les vices au moment de la vente, faisant ainsi en sorte que le dol n’aurait pu s’appliquer dans cette situation.

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About the Author

Diplômé en droit de l'Université de Sherbrooke, Me Bryan-Éric Lane oeuvre au sein de la firme LANE, avocats et conseillers d'affaires inc., qu'il a fondée en 2006. En parallèle à sa pratique en droit des affaires, Me Lane se spécialise en droit immobilier, et plus particulièrement en matière de recours pour vices cachés, domaine dans lequel il a développé avec les années une solide expertise. Me Lane a donné de nombreuses conférences en matière de recours pour vices cachés. Il a également collaboré avec les Éditions Yvon Blais au développement de l'outil de recherche La référence Quantum – Vices cachés.