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Le rejet du recours de l’acheteur en raison de son défaut d’avoir dénoncé l’existence du vice en temps utile en vertu de l’article 1739 C.c.Q. n’est pas toujours la sanction appropriée

Par Me Bryan-Éric Lane, LANE, avocats et conseillers d’affaires inc.
Le rejet du recours de l’acheteur en raison de son défaut d’avoir dénoncé l’existence du vice en temps utile en vertu de l’article 1739 C.c.Q. n’est pas toujours la sanction appropriée

La jurisprudence antérieure à l’arrêt Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd. (EYB 2014-234922 – Texte intégral), rendu par la Cour d’appel en 2014, avait souvent tendance à sanctionner sévèrement le défaut d’un acheteur de transmettre un avis de dénonciation à son vendeur dans un délai raisonnable conformément aux dispositions de l’article 1739 C.c.Q. Plus particulièrement, le défaut de l’acheteur de respecter cette condition de mise en œuvre de la garantie légale de qualité de l’article 1726 C.c.Q. était souvent sanctionné par la peine capitale : c’est-à-dire le rejet pur et simple du recours de l’acheteur en raison de ce seul défaut de respecter cette formalité procédurale.

Toutefois, nous assistons depuis quelques années à un assouplissement de cette règle. Plus particulièrement, le juge Dalphond a souligné, dans l’arrêt Claude Joyal susmentionné, qu’il était « d’avis que les conséquences du défaut de dénonciation dans un délai raisonnable doivent correspondre à un préjudice réel pour le vendeur, et non à un simple préjudice de droit, afin de pouvoir justifier l’irrecevabilité du recours intenté par l’acheteur ».

Le juge Dalphond cite d’ailleurs dans cet arrêt le professeur Pierre-Gabriel Jobin (La Vente, 3e éd., Éditions Yvon Blais, 2007, par. 169) :

« 169 - Préavis. Sanction - Le préavis constitue une condition de fond de la garantie. Comme dans l'ancienne jurisprudence, lorsqu'il n'a pas été donné et qu'aucune exemption ne s'applique, l'action intentée par l'acheteur contre le vendeur doit donc en principe être rejetée, selon la jurisprudence. Il s'agit certes d'une sanction sévère. Elle est justifiée quand l'acheteur a réparé le bien ou l'a revendu sans laisser au vendeur la chance de vérifier s'il s'agit bel et bien d'un vice couvert par la garantie, notamment. Il n'en reste pas moins que cette « technicalité » permet alors au vendeur d'échapper à toute sanction alors que normalement l'acheteur aurait droit au moins à une réduction du prix, ou souvent à la résolution, ainsi qu'à des dommages-intérêts dans bien des cas. C'est ce qui explique les nombreuses dispenses de préavis, signalées plus haut. Pour cette même raison, on a décidé, avec raison selon nous, que la sanction devrait être radicale (rejet de l'action) uniquement lorsque l'omission du préavis a privé le vendeur de la possibilité de vérifier l'existence et la gravité du vice et de le réparer; qu'une simple diminution des dommages-intérêts ou un ajustement à la baisse de la réduction du prix conviendrait mieux aux cas où le défaut de préavis a simplement privé le vendeur de la possibilité de réparer lui-même le vice à meilleur compte. »

Plus particulièrement, nous constatons que les tribunaux ont maintenant tendance, avant de sanctionner automatiquement le défaut de l’acheteur de dénoncer dans un délai raisonnable par le rejet pur et simple de son recours, à se questionner à savoir si ce défaut a entraîné ou non un préjudice réel pour le vendeur, ou encore si ce défaut n’a uniquement entraîné qu’un simple préjudice de droit. Si un préjudice réel découle du défaut de l’acheteur de dénoncer, c’est-à-dire que ce défaut a entraîné l’impossibilité pour le vendeur de vérifier l’existence et la gravité du vice et de le réparer, nous sommes d’avis que le rejet du recours du demandeur s’impose. Toutefois, quand le préjudice n’est que théorique, et qu’il n’entraîne aucun préjudice réel au vendeur, nous sommes d’avis que le rejet pur et simple du recours de l’acheteur n’est pas toujours la sanction appropriée.

« nous constatons que les tribunaux ont maintenant tendance, avant de sanctionner automatiquement le défaut de l’acheteur de dénoncer dans un délai raisonnable par le rejet pur et simple de son recours, à se questionner à savoir si ce défaut a entraîné ou non un préjudice réel pour le vendeur, ou encore si ce défaut n’a uniquement entraîné qu’un simple préjudice de droit. »

Dans la décision subséquente De La O c. Sasson (EYB 2015-248811 – Texte intégral | Fiche quantum), de 2015, laquelle avait fait l’objet d’un billet publié en date du 22 juillet 2016, la Cour supérieure est venue nous dire qu’il n’aurait pas eu lieu de rejeter le recours des acheteurs sur la seule base que le vice n’avait pas été dénoncé dans un délai raisonnable aux vendeurs, le vice ayant été dénoncé dans ce cas deux ans après que les acheteurs eurent confirmé l’existence du vice de manière irréfutable. Plus particulièrement, le tribunal souligne dans cette affaire que les vendeurs n’avaient fait aucune preuve de préjudice découlant du long délai de dénonciation.

Ainsi, la règle prévue à l’article 1739 C.c.Q. imposant que la dénonciation du vice soit faite dans un délai raisonnable semble désormais être appliquée par les tribunaux avec davantage souplesse et non avec une rigueur stricte, lorsque notamment la tardiveté de la dénonciation n’a pas pour effet d’entraîner un préjudice réel au vendeur, et que le seul préjudice pouvant être invoqué par le vendeur en est uniquement un de droit.

L’affaire SG2C inc. c. Morin (EYB 2014-237816 – Texte intégral | Fiche quantum), qui avait été traitée dans un billet récent, mais au niveau de la notion d’urgence, est un exemple intéressant où le tribunal s’est questionné à savoir si le défaut de l’acheteur de dénoncer à son vendeur avant de débuter les travaux correctifs devait être sanctionné par le rejet complet du recours.

Dans cette affaire, l’acheteur avait initialement avisé son vendeur de la présence d’un réservoir souterrain abandonné devant être retiré. Au moment où l’acheteur a entrepris les travaux d’enlèvement du réservoir, il a alors découvert, en date du 25 juin 2010, que le sol de son terrain était contaminé. Après avoir fait effectuer des tests qui confirmaient la présence d’hydrocarbures à un niveau qui dépassait le seuil réglementaire acceptable pour un site résidentiel, l’acheteur a débuté les travaux de décontamination à son immeuble le 5 juillet 2010, sans dénoncer la problématique de contamination du sol au préalable à son vendeur, et sans le mettre en demeure. Les travaux de décontamination ont été par la suite suspendus à compter du 20 juillet 2010, en raison des vacances de la construction. À ce moment, les travaux de décontamination étaient complétés à 40 %. Le 21 juillet 2010, le vendeur a transmis une mise en demeure à son vendeur, dont il ne prendra connaissance que le 26 juillet suivant. Suivant la réception de cette mise en demeure, le vendeur ne donne aucune nouvelle à son acheteur, jusqu’à ce que le procureur du vendeur communique verbalement avec le procureur de l’acheteur le 31 août 2010, puis par écrit le 3 septembre 2010. Entre temps, les travaux de décontamination avaient repris leur cours au retour des vacances de la construction, au début du mois d’août 2010.

Le tribunal se questionne notamment à savoir si l’absence d’avis avant d’entreprendre les travaux correctifs est fatal ou non au recours de l’acheteur. Sur cette question, le tribunal, présidé par la juge Catherine Mandeville, j.c.s., répond à cette question comme suit :

« [66] Le nœud du litige est donc de déterminer si, comme le plaide Mme Morin, l'absence de l'avis écrit avant que ne débutent les travaux de décontamination est fatale au recours de SG2C.
[…]
[80] Le présent dossier a cette particularité qu'un avis a été émis en cours de travaux, soit après qu'environ 40 % du coût des travaux (et non de l'ampleur des travaux) aient déjà été encourus. Comme le tribunal l'a déjà dit, l'un des buts d'envoyer un avis est de permettre à la défenderesse de constater s'il existe ou non un vice. À partir des prélèvements qui ont fait l'objet d'une analyse dans un laboratoire spécialisé, personne ne remet en doute l'existence de contamination. Par ailleurs, l'autre but est de permettre au vendeur de décider s'il souhaite réparer le vice en usant de méthodes qu'il estime moins onéreuses.
[81] Ici, la défenderesse, bien qu'ayant reçu l'avis et en ayant pris connaissance le 26 juillet, n'est aucunement intervenue jusqu'au 31 août. Or, les travaux ont été arrêtés entre le 26 juillet et le 5 août. Il y a eu une période de temps significative lors de laquelle, si elle avait réagi en temps utile, Mme Morin aurait pu envoyer quelqu'un sur les lieux pour constater l'état des travaux et déterminer si elle souhaitait reprendre les rênes, c'est-à-dire s'approprier la suite des travaux, en fonction de ce qu'elle estimait être raisonnable et en fonction des méthodes qu'elle aurait choisies.
[…]
[84] Le Tribunal croit que l'avis envoyé à Mme Morin et dont elle a pris connaissance le 26 juillet était conforme à la loi. Mme Morin doit donc être considérée responsable des dommages occasionnés par le vice que constitue la contamination des sols au-delà de la date du 5 août lors de la reprise des travaux. Le délai qui s'est écoulé entre le 26 juillet et le 5 août est un délai raisonnable qui aurait permis à Mme Morin d'agir, si elle l'avait souhaité. D'autant plus que dans les circonstances qui ont été énoncées dans la preuve, Mme Morin ne pouvait pas ignorer qu'il y avait des travaux importants qui étaient effectués et qui étaient en cours depuis déjà près d'un mois, puisque son ancienne locataire, une amie avec qui elle maintenait des communications très régulières, loue l'étage supérieur du duplex.
[…]
[86] Il y avait amplement d'informations transmises à Mme Morin pour lui indiquer que des travaux étaient en cours. Elle reçoit l'avis écrit obligatoire en vertu de la loi le 26 juillet et choisit de ne pas intervenir jusqu'au 31 août, soit deux mois après le début des travaux. Le Tribunal considère qu'elle a ainsi renoncé au bénéfice d'avoir un avis écrit pour la suite de ces travaux car l'avis reçu respectait les objectifs qui sont prévus à la loi. Le Tribunal conclut que Mme Morin est responsable du coût des travaux qui ont été occasionnés à compter du 5 août, surtout que les travaux qui ont été effectués par Spheratest sont la suite des travaux de décontamination et que les experts des deux côtés ont convenu que la méthode d'excavation était la plus appropriée.
[…]
[89] Le Tribunal accueille donc la réclamation pour dommages résultant de la réhabilitation du terrain à la suite de la contamination, et ce, pour un montant de 70 429,89 $, qui représente le montant de 116 604,48 $, le coût total des travaux, moins 46 174,59 $, qui est le coût des travaux effectués au 26 juillet 2011. »

« Ainsi, et plutôt que de sanctionner drastiquement l’acheteur en rejetant complètement son recours en raison de son défaut d’avoir dénoncé la problématique de contamination avant le début de ses travaux de contamination, le tribunal n’accordera à l’acheteur que les coûts des travaux de décontamination qui ont été effectués après la transmission de la lettre de mise en demeure au vendeur, au moment où 40 % des travaux de décontamination avaient été effectués. Ainsi, le tribunal accorde à l’acheteur 60 % des coûts de décontamination du terrain. »

Ainsi, et plutôt que de sanctionner drastiquement l’acheteur en rejetant complètement son recours en raison de son défaut d’avoir dénoncé la problématique de contamination avant le début de ses travaux de contamination, le tribunal n’accordera à l’acheteur que les coûts des travaux de décontamination qui ont été effectués après la transmission de la lettre de mise en demeure au vendeur, au moment où 40 % des travaux de décontamination avaient été effectués. Ainsi, le tribunal accorde à l’acheteur 60 % des coûts de décontamination du terrain.

Plus particulièrement, le tribunal souligne que le vendeur aurait pu, s’il avait envoyé en temps utile un expert à la propriété pendant la suspension des travaux, faire un suivi serré pour la suite des travaux et notamment obtenir des échantillons du pourtour du site excavé et déterminer par lui-même s’il voulait reprendre lui-même la poursuite des travaux et minimiser leurs coûts, ce que le vendeur n’a pas fait dans les circonstances.

Cette décision nous montre ainsi que la déchéance du recours de l’acheteur en raison de son défaut d’avoir dénoncé l’existence du vice en temps utile en vertu de l’article 1739 C.c.Q. n’est pas toujours la sanction appropriée.

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About the Author

Diplômé en droit de l'Université de Sherbrooke, Me Bryan-Éric Lane oeuvre au sein de la firme LANE, avocats et conseillers d'affaires inc., qu'il a fondée en 2006. En parallèle à sa pratique en droit des affaires, Me Lane se spécialise en droit immobilier, et plus particulièrement en matière de recours pour vices cachés, domaine dans lequel il a développé avec les années une solide expertise. Me Lane a donné de nombreuses conférences en matière de recours pour vices cachés. Il a également collaboré avec les Éditions Yvon Blais au développement de l'outil de recherche La référence Quantum – Vices cachés.