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Le défaut de faire parvenir une mise en demeure assortie d’un délai suffisant pour permettre au vendeur de corriger les vices allégués peut être fatal au recours d’un acheteur

Par Me Émilie Brosseau, LANE, avocats et conseillers d’affaires inc.
Le défaut de faire parvenir une mise de demeure assortie d’un délai suffisant pour permettre au vendeur de corriger les vices allégués peut être fatal au recours d’un acheteur

En 2015, dans le jugement Dionne c. Climatisation Labelle 1996 inc. (EYB 2015-258383 – Texte intégral), la Cour supérieure a été invitée à se prononcer sur la suffisance de l’avis offrant au vendeur de remédier aux prétendus vices, et plus particulièrement sur la suffisance du délai d’exécution accordé au vendeur au sens de l’article 1595 du Code civil du Québec.

Dans cette affaire, les acheteurs d’un système géothermique résidentiel allèguent une conception défaillante de celui-ci vu les températures trop chaudes durant l'été 2010 et l'hiver 2011, ainsi que l'absence des économies d'électricité promises.

Les demandeurs poursuivent le concepteur, son seul actionnaire ainsi que la compagnie ayant procédé à l'installation du système géothermique résidentiel en cause, leur réclamant le remboursement du montant de 92 607 $ engagé afin de le remplacer. L'installateur appelle en garantie le concepteur de l'équipement.

Le tribunal se questionne sur la validité de la dénonciation faite par les demandeurs aux défendeurs. L’article 1739 C.c.Q. prévoit l’obligation de dénoncer le vice au vendeur dans le cadre d’un recours en vertu de la garantie légale de qualité :

1739. L’acheteur qui constate que le bien est atteint d’un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l’acheteur a pu en soupçonner la gravité et l’étendue.
Le vendeur ne peut se prévaloir d’une dénonciation tardive de l’acheteur s’il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.

À cette obligation de dénoncer s’ajoutent l’obligation de mettre en demeure en vertu de l’article 1594 C.c.Q. ainsi que celle d’accorder un délai suffisant au débiteur de l’obligation en vertu de l’article 1595 du Code:

1595. La demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit.

Elle doit accorder au débiteur un délai d’exécution suffisant, eu égard à la nature de l’obligation et aux circonstances ; autrement, le débiteur peut toujours l’exécuter dans un délai raisonnable à compter de la demande.

Afin de déterminer la suffisance de l’avis transmis au vendeur, le tribunal doit s’assurer que l’acheteur a accordé au vendeur un délai raisonnable par suite de l’envoi de l’avis de dénonciation/mise en demeure, le tout compte tenu des circonstances. Cet avis doit également être suffisamment précis pour permettre au vendeur de connaître le vice qui a été découvert par son acheteur.

«Afin de déterminer la suffisance de l’avis transmis au vendeur, le tribunal doit s’assurer que l’acheteur a accordé au vendeur un délai raisonnable par suite de l’envoi de l’avis de dénonciation/mise en demeure, le tout compte tenu des circonstances. Cet avis doit également être suffisamment précis pour permettre au vendeur de connaître le vice qui a été découvert par son acheteur.»

Les circonstances particulières à la présente affaire sont les suivantes :

[155] Rappelons que Mme Dionne et M. Beaulieu envoient leur mise en demeure le 6 mars 2012. Elle met Labelle et M. Ferland à titre personnel en demeure de leur payer la somme de 92 607,66 $ dans un délai de dix jours. Ensuite, on y déclare : « Soyez avisés également que nos clients procéderont aux travaux nécessaires afin de rendre le Système géothermique fonctionnel à la fin dudit délai. »
[156] On constate qu’il n’est pas offert à Labelle d’effectuer des correctifs, mais on leur demande plutôt de payer pour des réparations déjà contractées par Mme Dionne et M. Beaulieu. On leur donne dix jours pour payer et aucune invitation à visiter les lieux.
[157] Dans ce délai de dix jours, Labelle et M. Ferland demandent des précisions sur la nature du problème. L’explication leur est communiquée bien après la date à laquelle les travaux ont été exécutés.
[158] S’agit-il d’un avis suffisant ?
[159] Le Tribunal estime que non.
[160] Mme Dionne et M. Beaulieu ont décidé de se faire justice eux-mêmes, possiblement en raison de leur frustration suite au manque de suivi de la part de Labelle, en janvier 2012. Le contrat est signé avec Excel en février 2012, avant même qu’on mette Labelle en demeure.
[161] À la fin de janvier 2012, M. Labelle se dit disponible le 6 février pour venir voir le solarium. Mme Dionne ne donne pas suite à ce rendez-vous. M. Labelle qui a longtemps été l’homme de confiance n’est plus l’homme de la situation.
[162] Il est vrai que les travaux ne sont pas encore exécutés quand la mise en demeure est envoyée en mars 2012 et que Mme Dionne et M. Beaulieu laissent expirer le délai de dix jours avant de les faire effectuer par Excel. Cependant, une demande tout à fait raisonnable de Labelle et de M. Ferland d’être informée de la nature des problèmes reste sans réponse jusqu’au mois de juin 2012. Quand les informations sont communiquées, le travail est déjà fait, et ce, depuis longtemps, de sorte que Labelle et CSE sont privées de toute opportunité de vérifier les revendications de Mme Dionne et M. Beaulieu et la nature du vice qui, prétendent-ils, affecte l’installation géothermique.

Ainsi, le défaut des acheteurs de communiquer le détail des vices allégués dans leur mise en demeure, leur défaut de répondre en temps utile à la demande d’information des défendeurs formulée après la réception de la mise en demeure ainsi que le défaut des acheteurs d’avoir accordé aux défendeurs un délai suffisant pour leur permettre de constater l’existence et l’étendue des vices allégués et de remédier aux vices allégués a été jugé fatal au recours des acheteurs, et ce, malgré la présomption de connaissance du vice applicable aux vendeurs professionnels prévue à l’article 1729 du Code civil du Québec.

Par ailleurs, le tribunal conclut qu’il ne s’agissait pas d’une situation urgente permettant de faire fi des obligations des demandeurs quant à la suffisance de l’avis offrant aux vendeurs de remédier aux prétendus vices.

Les demandeurs auraient dû répondre à la demande de précisions des défendeurs avant l'exécution des travaux, en plus de leur offrir la possibilité de visiter les lieux et d'effectuer les travaux correctifs.

Cette décision souligne l’importance pour l’acheteur de collaborer avec le vendeur et de lui donner un délai raisonnable pour lui permettre d’exécuter ses obligations afin de ne pas porter préjudice à son recours, en plus de fournir au vendeur des précisions raisonnables pour qu’il puisse connaître la nature du vice qui lui est dénoncé.

«Cette décision souligne l’importance pour l’acheteur de collaborer avec le vendeur et de lui donner un délai raisonnable pour lui permettre d’exécuter ses obligations afin de ne pas porter préjudice à son recours, en plus de fournir au vendeur des précisions raisonnables pour qu’il puisse connaître la nature du vice qui lui est dénoncé.»

De surcroît, dans cette affaire, la preuve présentée ne permet pas au tribunal de conclure à un défaut de conception ou à un vice rendant la conception du système géothermique viciée au point de rendre l'équipement impropre à l'usage auquel il était destiné.

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About the Author

Me Émilie Brosseau pratique en droit immobilier et en droit des affaires au sein de la firme LANE, avocats et conseillers d’affaires inc. Me Brosseau consacre une grande partie de sa pratique aux recours en matière de vices cachés, domaine dans lequel elle a développé une expertise particulière. Détentrice d'un baccalauréat en droit de l’Université de Sherbrooke, Me Brosseau est membre du Barreau du Québec depuis 2012. Parallèlement à sa pratique, Me Brosseau termine actuellement une Maîtrise en science de la Gestion, spécialisation management, à l’école des Hautes études commerciales de Montréal (HEC).