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Dans le cadre d’un dossier en matière familiale, la Cour supérieure analyse une loi des Émirats Arabes Unis et conclut que celle-ci est incompatible avec l’ordre public tel qu'il est entendu dans les relations internationales

Résumé de décision : H. (M.) c. S. (HO.), sub num. Droit de la famille – 1535, EYB 2015-247012 (C.S., 16 janvier 2015)
Dans le cadre d’un dossier en matière familiale, la Cour supérieure analyse une loi des Émirats Arabes Unis et conclut que celle-ci est incompatible avec l’ordre public tel qu'il est entendu dans les

Les Émirats arabes unis (les ÉAU) ne sont pas parties à la Convention de La Haye. Les autorités québécoises, quant à elles, ont mis en œuvre la Convention en adoptant la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants. Ce sont les règles usuelles de droit international privé prévu au Code civil qui s'appliquent au présent dossier.

L'article 3146 C.c.Q. en matière de séparation de corps précise qui est l'autorité compétente. Cette disposition a priorité sur l'article 3142 C.c.Q. relatif à la garde d'enfant. En vertu de l'article 3146 C.c.Q., les autorités québécoises sont compétentes lorsque l'un des époux a son domicile ou sa résidence au Québec à la date de l'introduction de l'action. En l'espèce, madame réside au Québec depuis le 29 avril 2013, soit avant la date de l'introduction de la présente procédure le 22 octobre 2013, et elle a manifesté clairement son désir d'y établir le lieu de son principal établissement.

Puisque madame réside et a son domicile au Québec, les autorités québécoises ont compétence pour statuer sur la demande en séparation de corps et de garde de l'enfant.

Monsieur a spécifiquement demandé l'application de l'exception prévue à l'article 3135 C.c.Q. Il remplit la première des conditions afin d'entamer l'analyse de cette mesure supplétive. Lors de l'analyse des dix critères permettant d'établir si, de façon exceptionnelle, les autorités québécoises doivent décliner compétence, un élément important doit être considéré. En matière de garde d'enfant, le déplacement illicite ajoute un poids considérable à l'un des dix critères. De façon générale, les déplacements illicites d'enfants ne peuvent servir aux fins d'établir la compétence de l'autorité québécoise que revendique l'une des parties suivant l'article 3142 C.c.Q.

Revoyons les dix critères non limitatifs et pour lesquels aucun de ces critères n'a plus d'importance l'un par rapport à l'autre, sauf quant à celui du déplacement illicite que le tribunal qualifie de critère autonome. Quant au premier critère, ni l'une ni l'autre des parties ne l'emporte. Monsieur et ses témoins ordinaires demeurent aux ÉAU alors que les témoins de madame demeurent au Québec. Quant aux experts, ils peuvent être retenus ici ou ailleurs. Quant au deuxième critère, le mariage a lieu au Liban et les faits reprochés ont eu lieu aux ÉAU. Certains documents sont écrits en arabe. Sans être insurmontable, ce critère semble favorable à une audition aux ÉAU. Le troisième critère favorise l'audition aux ÉAU, le contrat de mariage étant intervenu au Liban. Quant au quatrième critère, monsieur demande par requête une ordonnance d'obéissance et de cohabitation aux autorités du Liban le 4 juillet 2013. Madame reçoit une convocation relativement à cette ordonnance d'obéissance et de cohabitation le 10 septembre 2013. Les autorités du Liban ordonnent à celle-ci de ne pas voyager à l'extérieur du Liban avant qu'elle soit interrogée relativement à l'ordre d'obéissance sur lequel elle doit répondre. Ce document est daté du 8 juillet 2013. Une ordonnance de payer une pension alimentaire est accordée en faveur de madame par les autorités libanaises le 10 novembre 2013. De plus, une décision relativement à la déchéance du droit de garde à l'égard de madame et demandant de confier la garde de l'enfant à monsieur est rendue par le tribunal de première instance d'Abu Dhabi, ÉAU, le 3 novembre 2014. Notons que le jugement rendu par les autorités d'Abu Dhabi refuse d'accorder à monsieur la garde de l'enfant. Le tribunal d'Abu Dhabi se déclare compétent et applique le Code du Statut personnel (28/2005) État des Émirats Arabes Unis (la Loi nº 28 des ÉAU). Il reconnaît que madame est en défaut de suivre le tuteur de l'enfant (monsieur) dans son lieu de résidence à Abu Dhabi. Elle est déchue de son droit de garde. Toutefois, monsieur ne peut se voir confier la garde de l'enfant puisqu'il n'a pas soumis le nom de femmes en mesure d'assumer la garde de l'enfant. La demande de monsieur est jugée irrecevable. Ce jugement est en appel. Les procédures ont été entreprises par les deux parties, soit au Liban ou à Abu Dhabi, et visent l'exercice de leurs droits civils. Il y a donc présence de plusieurs décisions et demandes auprès d'autorités étrangères. Suivant l'ensemble de ces faits, ce quatrième critère est favorable au renvoi de l'affaire aux ÉAU. Quant au cinquième critère, les biens des parties sont à Abu Dhabi. Pour ce qui est du sixième critère, c'est la loi des ÉAU qui doit s'appliquer, mais le recours en séparation de corps n'y est pas prévu. L'analyse d'une loi étrangère et l'absence de familiarité avec cette dernière lors de son examen par les tribunaux québécois favorisent le tribunal étranger selon la Cour d'appel. Par ailleurs, si la demande de séparation de corps est résolue suivant le droit québécois, il y a un net avantage pour madame. Elle peut résider au Québec sans obligation de faire vie commune avec monsieur. Ce droit lui étant refusé suivant la loi des ÉAU, ce critère lui est favorable. L'audition au Québec est donc préférable. Quant au huitième critère, ici, la justice doit être examinée à la lumière du droit international auquel le Canada et le Québec adhèrent. En 1992, le Canada a ratifié la Convention relative aux droits des enfants des Nations unies de 1989. En matière familiale, les tribunaux canadiens doivent accorder une considération primordiale aux intérêts de l'enfant, ce que confirme la Cour suprême dans l'affaire Gordon c. Goertz. Les lois canadiennes et les lois du Québec commandent donc de s'assurer de placer l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel doit être une considération primordiale lorsque les tribunaux ont à discuter de leur sort. Or, si l'autorité du Québec qui a compétence et doit appliquer la loi des ÉAU conclut que la séparation de corps n'est pas un recours disponible suivant la Loi nº 28 des ÉAU pour la mère, alors il ne subsiste que la demande de garde de l'enfant. Ce dernier se voit retourner à son véritable domicile, soit les ÉAU. L'analyse de la Loi nº 28 des ÉAU permet de conclure que le retour de l'enfant constitue une situation intolérable. D'entrée de jeu, les dispositions de cette loi font état de l'intérêt de l'enfant et non de l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel doit être une considération primordiale. Nous ne retrouvons pas cette primauté des intérêts de l'enfant dans l'application de ces dispositions. L'article 142 de la Loi nº 28 des ÉAU subordonne la garde au tuteur, lequel doit être le père, accordant ainsi une primauté à ce dernier. La lecture de certaines dispositions frappe de plein fouet les libertés dont jouissent les Canadiens comme la perte possible de la garde si la mère change de religion et les règles de la charia applicables aux parties. Manifestement, il en va de l'intérêt de la justice que l'audition se déroule au Québec. Pour ce qui est du neuvième critère, il est fondamental selon notre droit de placer l'intérêt supérieur de l'enfant au centre des considérations qui le concernent. La lecture des dispositions de la Loi nº 28 des ÉAU suggère que le tribunal doive tenir compte de l'intérêt de l'enfant et non pas l'intérêt supérieur de ce dernier qui doit être au centre des considérations. L'enfant a été déplacé de façon illicite. Cependant, la preuve du déplacement illicite n'a pas à pénaliser cet enfant, qui s'est vu traumatisé par son père lorsque ce dernier a infligé des sévices à sa mère, ce qui constitue un péril pour ces derniers. Le tribunal ne peut pas sanctionner l'enfant en imposant son retour aux ÉAU et laisser disposer de sa garde dans les conditions énoncées à la Loi nº 28 des ÉAU. En dépit du déplacement illicite de l'enfant, la mère établit la preuve du péril pour elle-même et l'enfant, le tout dans le contexte d'une législation qui ne donne pas priorité au meilleur intérêt de l'enfant. Le critère autonome que constitue le déplacement illicite doit céder le pas lorsque la preuve du péril est établie et en l'absence du respect de la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant suivant la législation aux ÉAU. Ce péril et cette déficience dans la loi des ÉAU commandent le maintien du for au Québec. Quant au critère relatif à la procédure d'exemplification, il n'y a pas lieu de le prendre en compte étant donné l'énorme fossé entre la Loi nº 28 des ÉAU et les lois du Canada et du Québec relativement à la primauté accordée aux intérêts des enfants. Ainsi, il y a lieu d'écarter la demande de retour de l'enfant même s'il s'agit d'un déplacement illicite. Le tribunal a compétence et exerce sa discrétion afin de ne pas décliner compétence en faveur des autorités judiciaires d'Abu Dhabi des ÉAU, considérant le péril pour la mère et l'enfant et la situation intolérable qui résulterait de l'application de la Loi nº 28 des ÉAU.

L'article 3136 C.c.Q. n'a pas à être examiné puisque le tribunal a reconnu sa compétence. Cependant, si le tribunal avait conclu différemment, il disposerait ainsi de cette exception. Considérant l'impossibilité d'entendre la demande de séparation de corps aux ÉAU et que madame possède des liens suffisants pour accorder le for au Québec, le tribunal aurait conclu que les autorités québécoises ont compétence dans le présent dossier. Nous prenons plus particulièrement en considération les liens suivants : madame est canadienne; l'enfant a la citoyenneté canadienne et il est né ici avec l'accord des deux époux; le mariage a été célébré au Liban; la vie commune à Abu Dhabi a été brève (22 mois) et enfin, madame réside au Québec.

Par ailleurs, madame demande d'appliquer les lois du Québec. La Loi no 28 des ÉAU est intolérable dans son application. Le Canada et le Québec considèrent que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être au centre des préoccupations de nos législations et des considérations qui concernent ce dernier. Les dispositions de la Loi no 28 des ÉAU ne sont pas compatibles avec l'ordre public international reconnu par le Canada et le Québec. Le tribunal exclut l'application des dispositions de cette loi conformément à l'article 3081 C.c.Q. La loi du tribunal saisi, soit le Québec, s'applique au présent dossier.

Madame suggère d'accorder des droits d'accès réduits considérant l'âge de l'enfant, soit une heure de communication téléphonique ou via visioconférence (Skype), et ce, tous les samedis entre le père et l'enfant. Cette proposition est raisonnable et il y sera donné suite. Quant à la garde de l'enfant, elle sera confiée à madame.


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