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La Cour décide de requêtes en arrêt des procédures pour cause de délais déraisonnables à la lumière des récents arrêts de la Cour suprême

R. c. Beausoleil, EYB 2016-269996 (C.Q., 1er septembre 2016)
La Cour décide de requêtes en arrêt des procédures pour cause de délais déraisonnables à la lumière des récents arrêts de la Cour suprême

Il s'agit de savoir comment statuer sur les requêtes en arrêt des procédures pour cause de délais déraisonnables qui ont été présentées par les accusés à la lumière des arrêts que la Cour suprême du Canada a rendus récemment, soit le 8 juillet 2016.

Arrêtés dans le cadre d'une enquête portant sur un réseau de trafiquants de stupéfiants dans la région de Montréal (Projet Promu), 19 coaccusés ont comparu, dont les accusés en l'espèce. Plus de six ans plus tard (73 mois), les accusés sont toujours devant les tribunaux. Le nouveau plafond de 30 mois établi par la Cour suprême a été franchi deux fois plutôt qu'une et aucune date de procès n'est encore en vue. Le nouveau cadre d'analyse, y compris le plafond présumé, s'applique aux affaires déjà en cours, lesquelles font alors l'objet d'une mesure transitoire. Si nous appliquons le nouveau cadre d'analyse à la présente affaire – et avec souplesse, puisqu'il s'agit d'une affaire en cours –, nous n'avons d'autre choix que de conclure que toutes les parties, y compris la cour, ont travaillé dans la culture de complaisance à l'égard des délais qui s'est répandue dans le système de justice criminelle.

Force est de constater effectivement que pendant 73 mois, les dossiers des accusés ont navigué à la vitesse d'un ponton et ils sont malheureusement encore loin du rivage, à la merci des disponibilités de toutes les parties concernées et des délais de la cour. Certes, les accusés sont responsables d'un délai de six mois (non-disponibilité des avocats de la défense, renonciation tardive à l'enquête préliminaire) et ont renoncé à invoquer un délai d'un mois. Mais même en soustrayant ces sept mois des 73 mois qui se sont écoulés depuis le dépôt des accusations, nous sommes encore plus de deux fois au-dessus du nouveau plafond de 30 mois.

Pour le ministère public, ce délai est raisonnable, vu l'existence d'une circonstance exceptionnelle, soit l'arrestation de Benoît Roberge, ce policier qui a consacré la plus grande partie de sa carrière à la lutte au crime organisé et qui était à l'origine de l'enquête. Selon la Cour suprême, une circonstance exceptionnelle est une circonstance indépendante de la volonté du ministère public, c’est-à-dire qu’elle est raisonnablement imprévue ou raisonnablement inévitable et que l’avocat du ministère public ne peut raisonnablement remédier aux délais lorsqu’ils surviennent. L'arrestation d'un policier ayant été impliqué dès le début dans une longue enquête au coeur d'un dossier répond sans doute à cette définition. Une fois le plafond dépassé, le ministère public ne peut toutefois se contenter d'invoquer cette circonstance exceptionnelle. Celui-ci doit aussi démontrer qu'il a pris les mesures raisonnables qui étaient à sa portée pour éviter et régler le problème avant que le délai maximal applicable ne soit dépassé. En l'espèce, le ministère public n'a pas pris les mesures raisonnables qui étaient à sa portée pour régler le problème que cette circonstance exceptionnelle comportait. À notre avis, le ministère public aurait pu et aurait dû solliciter une gestion d'instance au lendemain de l'arrestation du policier Roberge, laquelle est survenue le 5 octobre 2013. Absolument rien ne l'en empêchait. Le ministère public, qui savait depuis le 9 octobre 2013 que les accusés cherchaient à obtenir les rapports de sources, n'a rien fait non plus pour faire désigner un juge qui aurait pu statuer sur cette demande plus rapidement. Cette procédure n'a eu lieu qu'en février 2015. Et ce n'est que le 22 mai 2015, soit 19 mois après l'arrestation du policier Roberge, que le ministère public a présenté l'affidavit expurgé des informations de la source initiale contrôlée par le policier. Nous estimons que le ministère public, qui a toujours prétendu que l'affidavit résisterait à toute attaque malgré l'arrestation du policier, aurait pu et aurait dû faire une telle annonce dès le mois d'octobre 2013. Le ministère public ne pouvait pas, après l'arrestation du policier, continuer à faire cheminer les dossiers comme si cette arrestation n'avait jamais eu lieu et attendre simplement que les avocats de la défense annoncent leurs requêtes. Cette attitude a contribué largement à la longueur des délais.

Certains diront qu'il est facile, après coup, de distribuer des cartons rouges et qu'il est insensé de laisser une gestion d'instance se prolonger sur 21 mois. La soussignée est la première à le reconnaître et à se répéter que les choses auraient pu se passer autrement. Cependant, ceci n'aide en rien l'analyse. Selon la Cour suprême, le ministère public doit toujours être prêt à atténuer le délai découlant d'une circonstance exceptionnelle distincte. Il doit en être de même du système de justice. Dans la mesure de ce qui est raisonnable, le ministère public et le système judiciaire devraient être en mesure de donner la priorité aux causes dont le déroulement a été défaillant en raison d'événements imprévus. Cela n'a pas été le cas ici. Malheureusement, les dossiers ont été traités comme un autre, en fonction des disponibilités de chaque intervenant.

Une affaire complexe pourrait également constituer une circonstance exceptionnelle, selon la Cour suprême. Dans la présente affaire, nous convenons que la criminalité exposée est importante. Nous ne sommes toutefois pas certains de pouvoir attribuer cette caractéristique de complexité à la présente affaire. Hormis le nombre d'accusés, dont la plupart sont représentés par le même avocat, l'affaire ne soulève pas de questions de droit complexes et inédites, et le litige est assez simple.

Nous sommes parfaitement conscients de la mise en garde que la Cour suprême a faite et selon laquelle un arrêt de procédures ne saurait être prononcé presque automatiquement. Cependant, en soupesant toutes les considérations exposées dans la présente décision, nous ne voyons aucune autre issue que l'arrêt définitif des procédures dans chacun des dossiers.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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