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Scandale des commandites : Jacques Corriveau est condamné à quatre ans de prison

Résumé de décision : R. c. Corriveau, EYB 2017-275382 (C.S., 25 janvier 2017)
Scandale des commandites : Jacques Corriveau est condamné à quatre ans de prison

L'accusé est étroitement associé au scandale des commandites qui fit la manchette au milieu des années 2000. Le 30 octobre 1995, le référendum québécois sur la souveraineté éventuelle du Québec se solde par un résultat serré des tenants du non. En réaction à ce résultat, le gouvernement fédéral instaure discrètement, en 1996, un programme de commandites visant à accroître la visibilité du Canada au sein de la population du Québec, notamment dans les régions. Ce programme, géré par Charles Guité, un haut fonctionnaire au ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux du Canada, verse des subventions importantes aux organisateurs d'événements communautaires, sportifs et culturels en échange de marques de visibilité comme des affiches, des bannières et des objets promotionnels affichant en évidence le logotype Canada. Parmi ces organisateurs, on compte Jean Brault à la tête de GroupAction Marketing inc. (GroupAction) et Luc Lemay à la tête de Groupe Polygone Éditeurs inc. (Polygone), Expour inc. et Expour 2000 inc. (collectivement Expour). L'accusé, qui est depuis longtemps un membre influent de l'aile québécoise du Parti libéral du Canada (PLC), exploite PluriDesign Canada inc. (PluriDesign), une entreprise de services de design produisant notamment des affiches électorales pour le PLC. Fort de ses entrées auprès du premier ministre et d'autres membres influents du gouvernement, il convient avec MM. Brault et Lemay de leur obtenir des versements du gouvernement fédéral sous l'égide du programme des commandites en contrepartie d'une commission secrète de 17,5 %. C'est ainsi qu'entre avril 1997 et juin 2003, l'accusé obtient dans le cadre du programme des commandites quelque 38 millions de dollars en faveur de Polygone et d'Expour pour des dizaines d'événements, d'émissions et de publications et qu'il perçoit en retour quelque 6,7 millions de dollars en commissions secrètes. Pour cacher la vraie nature de ces commissions, PluriDesign adresse des factures fictives à Polygone et Expour pour des services inexistants fondés sur des contrats bidon. Dans le cas de GroupAction, l'accusé obtient de cette société une somme additionnelle de près d'un million de dollars en échange de l'obtention du contrat de gestion des commandites octroyées à Polygone et à Expour. À aucun moment, l'accusé ne s'est conformé aux dispositions législatives encadrant les activités des lobbyistes. Des accusations criminelles ont été portées contre lui en décembre 2013. Le procès proprement dit s'étend de la mi-septembre au 1er novembre 2016. À cette dernière date, un jury déclare l'accusé coupable de trafic d'influence, de faux et de recyclage des produits de la criminalité. Le temps est venu de déterminer la peine appropriée. Les parties ne s'entendent pas sur la peine touchant à la limitation de liberté de l'accusé. Le ministère public réclame des peines d'emprisonnement de trois à cinq ans pour les infractions de trafic d'influence et de faux et une peine d'emprisonnement de cinq ans pour l'infraction de recyclage des produits de la criminalité, lesquelles peines seraient purgées de façon concurrente. De son côté, l'accusé suggère un sursis de peine et, si cette suggestion n'est pas retenue, un emprisonnement ferme de 12 à 15 mois ou, à la rigueur, un emprisonnement de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité.

D'entrée de jeu, précisons que les parties ont présenté des suggestions communes quant à certaines ordonnances de nature financière, lesquelles suggestions ont été entérinées par la Cour. Il est question ici d'une ordonnance de restitution et d'une ordonnance imposant une amende compensatoire (1 490 485 $) en vertu du paragraphe 462.37(3) C.cr. Ces deux ordonnances font partie de la peine et sont prises en compte dans le présent exercice de détermination de la peine appropriée.

Parmi les autres acteurs du scandale des commandites, MM. Brault, Guité et Coffin se sont vu imposer respectivement des peines d'emprisonnement de 30 mois, 42 mois et 18 mois. Ces précédents n'ont cependant pas d'application ici, car ils visaient des accusations de fraude. En l'espèce, il est question de trafic d'influence. Cette infraction appartient à un groupe de quatre infractions qui sont réunies à l'article 121 C.cr., sous le vocable « Fraudes envers le gouvernement », et qui sont assujetties à un emprisonnement maximal de cinq ans. Si la jurisprudence offre des exemples assez nombreux de peines imposées dans le cas des trois autres infractions qui sont visées par l'article 121 C.cr. et qui tournent autour de la notion de corruption de fonctionnaire, il est admis de part et d'autre que cette jurisprudence est très rare en matière de trafic d'influence. D'où l'intérêt certain de l'arrêt Corbeil, lequel concerne un trafic d'influence pour une somme de 50 000 $. Dans cet arrêt, la Cour d'appel du Québec opine, en obiter, que le crime de trafic d'influence est un crime très grave qui exige normalement une peine de détention dans la collectivité sinon en établissement. La Cour d'appel ajoute que la corruption dans l'administration publique est une forme de gangrène et les tribunaux doivent sévir pour en éviter la propagation. Comme on l'a souvent répété, ce genre de crime est de nature à accroître le cynisme et la méfiance chez les citoyens et à entraîner chez ces derniers un désabusement à l'égard des institutions publiques qui sont à la base de la vie démocratique. Selon les auteurs Ruby, Chan et Hasan, en matière de trafic d'influence, nos tribunaux considèrent la détention comme la règle, le sursis de peine étant l'exception, même à l'égard de délinquants ayant jusque-là une bonne feuille de route, à cause de l'importance nécessaire de la réprobation et de l'effet dissuasif général.

Dans la présente affaire, les infractions se sont étalées sur une longue période, soit six ans. En outre, si l'accusé n'était pas le seul acteur du scandale des commandites, il en était tout de même une cheville ouvrière et centrale. Comme l'a mentionné le commissaire Gomery dans le cadre de la commission d'enquête sur le programme des commandites, l'accusé a été « l'acteur central d'un dispositif bien huilé de pots-de-vin ». De plus, mû par l'appât du gain et la cupidité, l'accusé a tiré personnellement profit de la commission des infractions. L'accusé témoigne qu'il ignorait que les actes reprochés étaient illégaux. Non seulement nul n'est censé ignorer la loi, mais l'accusé a mis en place un système relativement sophistiqué impliquant la rédaction et la signature de 14 faux contrats de service et l'émission de 265 fausses factures. Ce qui ressort ici, c'est la préméditation évidente et la planification soignée de ce dispositif bien huilé de pots-de-vin, et pas du tout la supposée ignorance de son caractère illégal.

L'accusé a connu un parcours d'honnête homme jusqu'au printemps 1997 et depuis juin 2003. Il n'a pas le profil d'un escroc, et il a peut-être succombé à l'occasion qui fait le larron. Il est vrai aussi que l'accusé a toujours été un actif pour la société. Cela dit, la jurisprudence n'accorde pas un poids très lourd à la bonne réputation et l'absence d'antécédents judiciaires en face d'un stratagème planifié s'échelonnant sur plusieurs années. Par ailleurs, l'accusé souhaite un allégement de peine du fait de son âge (bientôt 84 ans) et de son état de sa santé. Dans l'affaire de l'ex-lieutenante-gouverneure Lise Thibault, la Cour d'appel a estimé que l'âge (76 ans) et l'état de santé de l'accusée ne venaient pas rendre la peine de prison inappropriée, rappelant que seuls des cas bien précis, comme un cancer incurable, un sida en phase terminale, des problèmes psychiatriques, de la dystrophie musculaire, constituent des facteurs d'allègement de la peine. Or, rien de tel dans le cas présent. Le cas de M. Brault est également instructif. Malgré un état de santé critique, il fut quand même condamné à 30 mois de pénitencier pour une fraude de 1,2 million de dollars. Bref, l'âge et l'état de santé peuvent avoir un certain impact, mais un impact somme toute limité. Cela dit, il est clair que le risque de récidive est nul, vu l'âge avancé de l'accusé.

L'absence de remords constitue, elle, un facteur neutre. Il en est de même des délais préinculpatoires et postinculpatoires. En l'absence de conduite répréhensible de la part de l'État et compte tenu du fait que l'accusé était en liberté pendant ces délais et profitait des fruits de la criminalité, il y a lieu effectivement de considérer ces délais comme un élément neutre. La confiscation d'actifs et l'imposition d'une amende compensatoire sont aussi classées comme un facteur neutre. Ces ordonnances visent à retourner au trésor public des sommes d'argent qui appartiennent aux contribuables. L'acceptation volontaire de ces mesures par l'accusé dépend en bonne part du fait que l'État avait obtenu des ordonnances de blocage de ces actifs. De plus, l'accusé a joui de ces sommes d'argent pendant deux décennies.

La nature des infractions et leur durée, les montants en jeu, le caractère sophistiqué du stratagème et les efforts importants faits par l'accusé pour garder ce stratagème secret militent en faveur d'une peine exemplaire. La nécessité de dénoncer cette conduite délétère pour la vie démocratique doit ici primer. Le temps où les crimes économiques écopaient d'une peine « économique » est révolu. Considérant les principes et les objectifs de détermination de la peine, les circonstances aggravantes et atténuantes, l'objectif de réprobation, l'effet dissuasif général et l'harmonisation des peines, une peine de quatre ans de pénitencier pour chacune des infractions -- les peines sont concurrentes entre elles -- constitue une peine appropriée. En sus des ordonnances de nature financière qui ont été entérinées, l'accusé est donc condamné à une peine d'emprisonnement globale de quatre ans. En ce qui a trait à l'amende compensatoire de 1 490 485 $, l'accusé aura un délai de dix ans pour la payer. À défaut de paiement, une peine d'emprisonnement de dix ans consécutive à toute autre peine s'ajouterait. Enfin, l'accusé devra payer, dans un délai de 60 jours, une suramende compensatoire de 200 $ pour chacune des infractions.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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