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Un greffier spécial soulève d’office la nullité de la clause d’une convention d’honoraires d’avocats prévoyant des intérêts de 24 % l’an

Résumé de décision: Pelletier c. Bisson, EYB 2015-251543 (C.Q., 10 avril 2015)
Résumé de décision extrait de La référence

Par sa requête, une avocate réclame 1043,02 $ pour des services professionnels rendus à son client. Elle a inscrit la cause pour jugement par défaut devant un juge de la Cour du Québec qui a déféré le dossier pour un jugement par le greffier spécial soussigné.

L'avocate demande au tribunal de condamner le client à lui payer 1043,02 $ plus les intérêts au taux de 24 % l'an prévu à l'article 1619 C.c.Q., et ce, à compter du 11 octobre 2014.

L'article 468 in fine C.p.c. permet au tribunal de redresser les impropriétés de termes dans les conclusions, pour donner à celles-ci leur véritable qualification eu égard aux faits allégués. Considérant les faits allégués et la Copie de la convention d'honoraires, pièce P-1, le soussigné redresse proprio motu les impropriétés de termes dans les conclusions.

En vertu de l'article 1617 C.c.Q., les intérêts réclamés doivent l'être au taux convenu entre les parties ou à défaut de convention, au taux légal et ces intérêts sont payables à compter de la mise en demeure. Or, l'avocate ne dépose aucune preuve au dossier que la facture P-2 a été envoyée au client. Par conséquent, ce dernier n'a pas été constitué en demeure par les termes mêmes du contrat conformément au premier alinéa de l'article 1594 C.c.Q. En l'espèce, la « mise en demeure », pièce P-3, a été notifiée au client le 6 décembre 2014 et, par conséquent, celui-ci a été constitué en demeure le 14 décembre 2014, soit à l'expiration du délai prévu.

La convention d'honoraires entre les parties constitue un contrat d'adhésion. En effet, le greffier spécial soussigné est saisi de quelques demandes de la même demanderesse basées sur des conventions d'honoraires rédigées sur un formulaire identique. Le mandant a signé en remplissant les blancs de l'imprimé.

En vertu du premier alinéa de l'article 1379 C.c.Q., le contrat d'adhésion suppose un contrat dont les stipulations essentielles ont été imposées par une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et qui ne pouvaient être librement discutées. En vertu de l'article 1437 C.c.Q., toute clause abusive d'un contrat d'adhésion est nulle et l'obligation qui en découle, réductible. Cependant, cette nullité est relative et le tribunal ne peut pas la soulever d'office en raison de l'article 1420, premier alinéa in fine C.c.Q.

La convention d'honoraires signée par le client prévoit des intérêts au taux de 24 % l'an. Cependant, la facture P-2 ainsi que l'État de compte daté du 30 novembre 2014, pièce P-3, portent la clause suivante : « Nos comptes portent à intérêts au taux de 12 % l'an après 30 jours, conformément à l'article 3.08.07 du Code de déontologie des avocats ». Vu le doute, il y a lieu d'appliquer la règle d'interprétation contra proferentem prévue à l'article 1432 C.c.Q.

Le taux d'intérêt de 24 % l'an dans la convention d'honoraires entre les parties est contraire aux articles 3.08.07 et 3.08.03 du Code de déontologie des avocats (le Code). Ce taux d'intérêt donne un caractère de lucre et de commercialité aux services juridiques.

Les lois réglementant l'exercice des professions comme la Loi sur le Barreau ou le Code sont d'ordre public. L'article 9 C.c.Q. interdit de déroger à une règle qui intéresse l'ordre public sans préciser la sanction qui s'impose à une violation d'une telle règle. Encore ici, la doctrine et la jurisprudence ont établi une hiérarchie des sanctions conformes aux principes véhiculés par les articles 1417 et 1419 C.c.Q.

Dans l'affaire Jolin c. Pageau, la Cour du Québec détermine que la clause d'une convention d'honoraires qui prévoit des intérêts au taux de 24 % l'an en faveur d'un notaire est nulle de nullité absolue. Dans l'arrêt Côté c. Rancourt, la Cour suprême est d'avis que la protection de l'intégrité du système judiciaire relève de l'ordre public général. Le contrat violant cet ordre est frappé de nullité absolue et n'est pas susceptible de confirmation. En l'espèce, l'intérêt général est mis en cause par opposition à la protection d'intérêts particuliers. L'appréciation a été faite considérant le contexte actuel au moment de la mise en oeuvre et par rapport à l'ordre public économique à l'intérieur duquel s'inscrit l'activité contractuelle. Premièrement, l'avocat, en tant qu'officier de justice, joue un rôle essentiel dans notre système de justice sur le plan de la représentation des droits des justiciables devant les tribunaux, mais également à l'étape préalable de règlement à l'amiable des litiges. Deuxièmement, l'ordre public est à la fois législatif et judiciaire. Les tribunaux ont le devoir de le sanctionner et de le modeler en considérant les valeurs fondamentales de la société à un moment donné de son évolution.

Dans le contexte actuel, plus que jamais le problème de l'accessibilité à la justice occupe une place primordiale. En effet, selon les commentaires du ministre de la Justice et du Procureur général du Québec, la matière d'accès à la justice a été la raison d'être des nouvelles dispositions du Code de procédure civile. Notons également le préambule du nouveau Code de déontologie des avocats qui souligne l'importance de cet aspect, y compris pour l'interprétation du Code.

Compte tenu du problème croissant de manque d'accès à la justice, le taux d'intérêt abusif et déraisonnable qu'un avocat réclame dans ses conventions d'honoraires est une anomalie qui, par ses effets, dépasse les intérêts particuliers de son client et devient une préoccupation de la société.

Il y a lieu de se demander si la clause de la convention d'honoraires prévoyant des intérêts au taux de 24 % l'an est une source de droits et d'obligations seulement pour les parties de cette convention. La règle d'office est que le contrat n'a d'effet qu'entre les parties contractantes. C'est un principe fondamental de droit des obligations. Il est surprenant de constater que la clause discutée crée des obligations à la charge des tiers. Il y a plus de 23 000 avocats membres du Barreau du Québec à ce jour et chacun d'entre eux a l'obligation d'agir dans cette situation. Les dispositions du nouveau Code de déontologie des avocats imposent au soussigné une position plus active dans le présent dossier. Étant membre en règle du Barreau du Québec, et puisque je suis lié par le Code de déontologie des avocats et ceci malgré ma fonction juridictionnelle de greffier, j'ai l'obligation d'intervenir ex officio. Dans les circonstances, je crois que c'est plus que la simple protection des intérêts des consommateurs que le Code de déontologie des avocats a voulu protéger et que c'est l'ordre public dans son ensemble qui est en cause.

Par conséquent, comme dans l'affaire Jolin c. Pageau, il y a lieu de considérer que la convention permettant un taux d'intérêt de 24 % l'an constitue une absence de fixation d'intérêts et, par voie de conséquence, ouvre la porte à l'application du taux légal.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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