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Une agente des services correctionnels qui savait qu’un détenu se faisait agresser et qui n’a rien fait pour le protéger est reconnue coupable de négligence criminelle causant des lésions corporelles

Résumé de décision : R. c. Fouquet, EYB 2015-252839 (C.Q., 12 mai 2015)
Résumé de décision extrait de La référence

L'accusée fait face à des accusations de voies de fait causant des lésions corporelles et de négligence criminelle causant des lésions corporelles. Les événements à la base de ces accusations sont survenus à l'Établissement de détention de Québec le 6 avril 2012. À cette date, l'accusée était agente des services correctionnels dans cette prison et le plaignant, qui était détenu pour des infractions d'ordre sexuel commises à l'égard d'un enfant âgé de moins de 16 ans, a été agressé dans sa cellule par d'autres détenus alors qu'il était sous la responsabilité de l'accusée. Cette dernière nie la commission des infractions reprochées.

Plusieurs éléments du témoignage de l'accusée entachent sa crédibilité. Ce témoignage révèle de nombreuses contradictions entre ce que l'accusée affirme maintenant et ce qu'elle a déclaré à l'enquêteur en avril 2012. De plus, à de nombreuses reprises au cours de son témoignage, l'accusée n'a pas répondu aux questions ou nié l'évidence. L'accusée ne peut donc être crue et son témoignage ne suscite aucun doute raisonnable.

La preuve présentée par le ministère public est fiable. Les agents correctionnels ont témoigné sobrement, dans un souci évident de rapporter fidèlement les faits dont ils ont été témoins. Ils confirment tous que l'accusée aurait dû accéder à la demande du plaignant, qui souhaitait être isolé dans sa cellule pour sa protection. Ce dernier a également témoigné de manière claire sur l'agression dont il a été victime. Le détenu Dany Arsenault a en outre été témoin de l'agression. Malgré son langage imagé et un peu exagéré, il est apparu crédible sur l'observation qu'il a faite de l'accusée alors qu'elle était dans la console et que le plaignant était agressé. Quant au détenu Yves Bilodeau-Lavoie, il est un de ceux qui ont agressé le plaignant. Même s'il a été réticent à témoigner, sa narration des événements est apparue crédible. Son explication au sujet de sa motivation à porter plainte contre l'accusée est aussi apparue vraisemblable. Il considérait comme injuste que les agresseurs paient pour leurs actes et que l'accusée, qui savait que le plaignant serait agressé si elle parlait aux autres détenus des infractions sexuelles qui lui étaient reprochées, soit épargnée. De surcroît, toutes les démarches de l'accusée pour empêcher les détenus de porter plainte contre elle démontrent qu'elle ne voulait pas que les autorités enquêtent sur son comportement.

Reste à savoir si le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels des infractions reprochées.En ce qui a trait d'abord à la négligence criminelle, le ministère public doit prouver que l'accusée a omis de faire quelque chose qu'il était de son devoir d'accomplir, qu'en omettant d'agir, l'accusée a démontré une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui et que, par négligence criminelle, l'accusée a causé des lésions corporelles au plaignant. L'analyse doit être contextuelle et le comportement de l'accusée doit révéler un écart de conduite marqué. Cette analyse du comportement doit être conduite en fonction d'un critère objectif, ce qui signifie que l'on doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que la conduite de l'accusée est entièrement et à tous égards hors-norme. L'on doit donc apprécier cette conduite par rapport à celle de la personne raisonnable et décider si cette personne raisonnable, placée dans la même situation, aurait été consciente du risque créé par le comportement de l'accusée.

Le double statut d'agent de la paix et d'agent des services correctionnels impose à ces derniers un devoir général de protection des personnes qui sont sous leur garde. Or, il ressort nettement de la preuve que l'accusée savait que le plaignant était en train de se faire agresser par d'autres détenus et qu'elle n'a rien fait pour le protéger. L'accusée soutient qu'aussitôt qu'elle a vu l'attroupement devant la cellule du plaignant, elle a refermé les portes des cellules. La preuve démontre plutôt qu'elle a laissé les détenus entrer et sortir de la cellule du plaignant, sachant que ce dernier était agressé, jusqu'à ce qu'un détenu lui demande de fermer la porte de la cellule avant que le plaignant ne soit tué.

Le détenu Camil Lapointe a parlé à l'accusée environ une heure avant les événements et a laissé entendre qu'il pourrait survenir quelque chose au plaignant. L'accusée avait confiance en ce détenu. Elle savait aussi que les détenus parlaient du plaignant durant le repas du soir. Elle savait également que les détenus accusés d'infractions d'ordre sexuel sur une personne mineure sont à risque d'être battu par les autres détenus et que l'heure des repas est un bon moment pour commettre des agressions puisque les agents des services correctionnels sont moins nombreux. Elle savait en outre qu'à la console, elle ne pouvait voir dans la cellule du plaignant et ne pouvait entendre ce qui s'y passait. Elle savait par ailleurs que le plaignant avait peur et que c'est pour cette raison qu'il lui avait demandé d'être isolé dans sa cellule, ce qu'elle lui a refusé en lui répondant « d'assumer ses délits ». L'ensemble de la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que la conduite de l'accusée, qui avait le devoir de protéger le plaignant, constitue une dérogation marquée à la norme de conduite d'une personne raisonnable. La personne raisonnable, placée dans la même situation, aurait été consciente du risque que le comportement de l'accusée entraînait à l'égard de la vie ou de la sécurité du plaignant.

Enfin, l'acte négligent doit avoir entraîné les lésions corporelles. Il n'est pas nécessaire que la négligence soit la seule cause, ni même la cause directe des lésions corporelles ; elle doit toutefois y avoir contribué de façon appréciable. En l'espèce, la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que la négligence criminelle de l'accusée a contribué de manière importante et appréciable aux lésions corporelles subies par le plaignant.

Considérant l'ensemble de la preuve, le ministère public a démontré hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de la négligence criminelle.

En ce qui a trait aux voies de fait, le ministère public soutient que l'accusée a participé à leur commission à titre de complice au sens de l'article 21 C.cr. L'actus reus de l'aide ou de l'encouragement consiste à accomplir ou omettre d'accomplir une chose qui aide ou encourage l'auteur de l'infraction à commettre cette dernière. Cela suppose que l'accusé connaît l'intention de l'auteur principal. La personne qui n'est pas partie à une infraction lorsque l'auteur principal commence à la commettre peut le devenir tant que la perpétration de l'infraction n'a pas pris fin. En l'espèce, il ressort de la preuve que certains détenus connaissaient les infractions reprochées au plaignant, et les sous-entendus de l'accusée ont confirmé cette information. Le refus de cette dernière d'isoler le plaignant dans sa cellule a permis aux détenus de l'agresser. L'inaction de l'accusée, au moment où le plaignant était agressé, avait manifestement pour but d'aider les détenus à perpétrer l'infraction. L'accusée avait le devoir d'agir pour protéger le plaignant, et son omission d'agir a favorisé la commission de l'infraction.

Considérant l'ensemble de la preuve, le ministère public a démontré hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels des voies de fait ayant causé des lésions corporelles.

En vertu de la règle interdisant les condamnations multiples, l'on ne peut déclarer un accusé coupable de deux infractions qui visent en fait des comportements identiques. Autrement dit, l'accusé ne peut être déclaré coupable deux fois pour la même affaire. Ici, l'infraction de négligence criminelle englobe davantage l'ensemble des actions et omissions de l'accusée. Cette dernière est donc déclarée coupable de cette infraction et un arrêt conditionnel des procédures est ordonné à l'égard de l'infraction de voies de fait.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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