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Une avocate est condamnée à payer les honoraires extrajudiciaires facturés par l’avocat de la partie adverse pour une journée d’audience perdue en raison de l’absence de l’avocate, aux prises avec un conflit d’horaires

Résumé de décision : Riolo Vaccaro c. Duret, EYB 2015-247740 (C.A., 5 février 2015)
Une avocate est condamnée à payer les honoraires extrajudiciaires facturés par l’avocat de la partie adverse pour une journée d’audience perdue en raison de l’absence de l’avocate, aux prises avec un

Aux prises avec un conflit d'horaire, le 28 octobre 2013, l'appelante, qui représente la défense en première instance, ne se présente pas au procès intenté par les intimés, étant retenue toute la journée pour une cause procédant devant la Régie du logement. À la demande des intimés, le juge de première instance condamne l'appelante à payer les honoraires extrajudiciaires pour le temps inutilement passé devant le tribunal le 28 octobre 2013. L'appelante se pourvoit.

L'appel est rejeté et la condamnation prononcée en première instance est confirmée, quoique pour d'autres motifs que ceux émis en première instance. En effet, le contexte de la présente l'affaire ne se prête pas à l'application des articles 54.1 à 54.6 C.p.c. , dispositions visant en principe les parties au litige et non leurs avocats. Ici, il n'est question ni « d'une demande en justice ou d'un acte de procédure » qui serait mal fondé, frivole ou dilatoire ni d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il ne s'agit pas non plus d'un usage de la procédure « de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore, du détournement des fins de la justice ».

Il est vrai que l'appelante ne s'est pas présentée devant la Cour supérieure alors qu'elle y était dûment convoquée; qu'elle n'a pas pris les mesures qui lui auraient permis d'y être et qu'elle a indûment tardé à informer le juge coordonnateur de la difficulté dans laquelle elle se trouvait. Le juge de première instance, à juste titre, considère que les explications qu'elle a fournies sont insuffisantes, explications qu'elle reprend devant la Cour lors de l'audience d'appel, et qui ne sont guère plus convaincantes. Son comportement dénote en effet un manque de jugement et une désorganisation blâmables. Toutefois, s'agissant d'un événement isolé et tenant compte de l'ensemble de la preuve, la faute de l'appelante n'atteint pas le niveau de gravité requis pour que l'on puisse parler d'abus au sens de l'article 54.1 C.p.c.

Par ailleurs, les articles 54.1 à 54.6 C.p.c. n'ont pas pour vocation première de réprimer ou sanctionner les fautes déontologiques de ce genre.

De plus, l'erreur est humaine, tout comme le sont l'inadvertance ou l'inattention et le manque ponctuel de jugement. De là à parler d'abus au sens du second alinéa de l'article 54.2 C.p.c., il y a un (grand) pas que la Cour, en l'espèce, ne franchira pas.

Néanmoins, l'avocat qui, sans raison, sans prévenir (ou sans prévenir en temps utile) et sans y être autorisé, ne se présente pas devant une cour de justice lorsqu'il y est convoqué commet une faute et doit s'attendre à une sanction, laquelle trouve son assise dans les pouvoirs généraux du tribunal consacrés par l'article 46 C.p.c. Cette sanction est à la fois « punitive dans son imposition et compensatoire dans son effet ». Elle prendra le plus souvent la forme d'une réprimande, assortie ou non d'une indemnité accordée à la partie adverse pour la réparation totale ou partielle du préjudice engendré par la faute de l'avocat. La condamnation peut être prononcée sommairement, après que l'avocat eut l'occasion de se faire entendre, d'expliquer son absence et de faire valoir les raisons pour lesquelles son comportement ne devrait pas être jugé fautif ou, s'il l'est, mériterait clémence.

Il y a lieu de conclure que la condamnation prononcée contre l'appelante, en même temps punitive et compensatoire, répond à cette exigence procédurale. Il est vrai que, en raison de l'application que le juge a faite de l'article 54.2 C.p.c., il a été décidé dès le matin du 29 octobre que, à première vue, la conduite de l'appelante était fautive et qu'elle devrait s'en justifier. Cette décision préliminaire, cependant, a été prononcée après que l'appelante eut été entendue et eut présenté ses observations au juge. Cette même décision préliminaire, par ailleurs, renvoyait la détermination finale à plus tard et donnait ainsi à l'appelante une seconde occasion de contrer les reproches qu'on lui adressait. Donc, le 31 octobre 2013, à l'issue du procès, l'appelante a pu se défendre, preuve à l'appui. Cependant, pouvait-elle craindre que la décision préliminaire n'ait un effet irrémédiable sur le jugement à venir et que le juge ne soit partial et préjugé? Les notes sténographiques de l'audience du 31 octobre de même que le jugement prononcé par la suite ne démontrent aucunement que le juge s'est fermé aux explications que lui a fournies l'appelante lors de son témoignage ni qu'il les a écartées du revers de la main, sans les considérer. Au contraire, elle a pu expliquer tout ce qu'il y avait à expliquer et, manifestement, le juge a statué comme s'il reprenait l'affaire de novo.

L'appelante a bénéficié du temps nécessaire à la préparation de sa défense. Certes, informée le matin du 29 octobre de ce qu'elle devra répondre à une demande visant à faire déclarer sa conduite abusive, mais tenue par ailleurs de représenter ses clients dans le procès qui commence ce jour-là et se terminera le 31 octobre, elle n'a pas eu beaucoup de temps pour mûrir sa défense. Les circonstances, on peut le concéder, n'étaient pas propices à la sérénité. D'un autre côté, l'affaire n'avait rien de complexe, l'appelante était la seule à être en pleine possession des faits justifiant son comportement et elle a d'ailleurs fourni toutes les explications qu'il lui était possible de donner, explications qu'elle reprend du reste dans son mémoire d'appel et de même à l'audience devant la Cour. Sur tous ces plans, l'équité procédurale, dans sa substance, a donc été respectée.

Par ailleurs, bien que les qualificatifs employés par le juge pour décrire le comportement de l'appelante soient durs, il reste qu'elle a commis une faute, faute résultant d'une série de décisions irréfléchies. Elle s'est elle-même, par manque d'organisation, placée dans une situation de conflit d'horaire; elle n'a pas tenté de résoudre ce problème dès qu'elle en a pris conscience, se contentant plutôt d'espérer qu'un heureux coup du sort comme le règlement amiable de l'un ou l'autre de ses dossiers résoudra la situation; elle n'a agi qu'à la toute dernière minute, acculée au pied du mur, ne prenant pas les moyens requis pour aviser le tribunal de la difficulté dans laquelle elle s'était placée et se trouvant en fin de compte à imposer unilatéralement au juge et à la partie adverse la solution qu'elle estimait appropriée. Le fait que l'appelante pratique seule ne peut, en soi, l'excuser ni justifier sa conduite. La pratique en solitaire requiert des précautions qui ne semblent pas avoir été prises en l'espèce. Par ailleurs, l'appelante a de l'expérience. Elle est membre du Barreau du Québec depuis 20 ans et elle fréquente régulièrement les tribunaux. Dans ce contexte, son manque de diligence et de transparence, notamment envers le juge coordonnateur, ne joue pas en sa faveur.

L'appelante ne peut pas non plus reprocher à son confrère de n'avoir pas consenti à sa demande initiale de remise ou au report du début du procès au 29 octobre. L'avocat des intimés s'est montré intransigeant, peut-être, mais il n'était pas tenu d'acquiescer à une requête de dernière minute concernant un procès de quatre jours (son consentement, de toute façon, n'aurait pas lié le tribunal). Quant à ce qui s'est produit le 28 octobre même, l'on ne peut aucunement reprocher au juge d'avoir cherché une solution avant de constater, au milieu de l'après-midi, que, l'heure avançant et l'appelante n'étant toujours pas disponible, il convenait d'ajourner l'affaire au lendemain.

Sans doute ne s'agit-il pas de se montrer impitoyable et de sanctionner implacablement tout retard ou toute absence, même injustifiés et fautifs. Une condamnation comme celle de l'espèce devrait normalement demeurer l'exception. La conduite de l'appelante, cependant, n'est pas propice à une manifestation d'indulgence.

Ajoutons que l'appelante n'a respecté ni l'autorité de la Cour supérieure et de ses juges ni le principe de préséance et, en pratique, elle a fait perdre au juge des heures précieuses qui auraient pu être consacrées à d'autres tâches, au bénéfice d'autres justiciables. L'organisation des rôles au sein d'un tribunal d'instance, en l'espèce la Cour supérieure, est une affaire délicate et complexe et elle ne peut fonctionner que si les avocats en respectent scrupuleusement les règles.

Par ailleurs, le comportement fautif de l'appelante a également causé préjudice aux intimés, tenus de verser à leur avocat des honoraires extrajudiciaires pour une journée (ou presque) inutilement passée au palais de justice de Longueuil. L'on peut parler ici d'une faute civile qui engendre un préjudice susceptible d'être indemnisé.

Quant à la question de savoir si la réparation accordée par le juge aux intimés était raisonnable, ce n'est jamais qu'avec prudence, et non sans en vérifier d'abord les justificatifs, que l'on peut ordonner à une personne de payer les honoraires extrajudiciaires d'une autre. Or, en l'espèce, le juge a pu constater lui-même le temps perdu par l'avocat des intimés le 28 octobre. De plus, le taux horaire exigé et le nombre d'heures réclamé n'ont rien d'excessif. L'appelante fait cependant valoir que l'on n'aurait pas dû indemniser les intimés au-delà de la fin de l'audience du 28 octobre (qui s'est terminée à 14 h 41), mais vu l'heure de leur arrivée au palais de justice et les conséquences qui s'ensuivaient nécessairement de l'ajournement, l'on ne peut voir d'erreur révisable dans cette conclusion du juge. Pour le reste, il suffira de dire que, ayant considéré toutes les circonstances (incluant le fait que le procès n'a pas été prolongé par suite de l'absence de l'appelante), le juge, en fixant le montant des dommages, a exercé son pouvoir d'appréciation discrétionnaire d'une manière qui n'appelle pas l'intervention de la Cour. Au total, la condamnation de 2 400 $ est sévère, mais n'est pas disproportionnée et elle ne peut donner prise à réformation.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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