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La Cour d’appel confirme un jugement qui décide que le Barreau du Québec a l’intérêt requis pour contester la constitutionnalité de dispositions législatives instaurant des peines minimales d’emprisonnement

Résumé de décision : Canada (Procureur général) c. Barreau du Québec, EYB 2014-245452 (C.A., 4 décembre 2014)
La Cour d’appel confirme un jugement qui décide que le Barreau du Québec a l’intérêt requis pour contester la constitutionnalité de dispositions législatives instaurant des peines minimales d’emprison

Les juges Vézina, Savard et Vauclair.  Le 13 mars 2012, a été sanctionnée la Loi sur la sécurité des rues et des communautés (la Loi), qui, notamment, modifie le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances en prévoyant des peines minimales d'emprisonnement pour certaines infractions, et en renforçant la peine minimale d'emprisonnement déjà prévue pour d'autres infractions. Huit mois plus tard, le Barreau du Québec a déposé une requête en jugement déclaratoire dans laquelle il demande à la Cour supérieure de se pencher sur la constitutionnalité des dispositions de la Loi qui portent sur les peines minimales; il plaide que ces dispositions, qui imposent en bloc près de 94 peines minimales d'emprisonnement, contreviennent aux articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et violent les principes de l'indépendance judiciaire et de la séparation des pouvoirs. Le procureur général du Canada (PGC) a présenté à l'encontre de cette demande une requête en irrecevabilité fondée sur l'article 165(3) C.p.c.; il soutenait que le Barreau n'avait manifestement pas l'intérêt pour agir, n'étant visé par aucune des dispositions en cause. Le juge de première instance a rejeté cette prétention, d'où le présent pourvoi.

Le juge, après avoir étudié les trois facteurs à prendre en compte lorsqu'il s'agit de juger de la qualité pour agir dans l'intérêt public, a conclu que ceux-ci étaient tous présents en l'instance et il a donc décidé que le Barreau avait l'intérêt requis pour présenter la requête en jugement déclaratoire litigieuse. Le PGC ne conteste pas la présence du premier facteur, soit l'existence d'une «question justiciable sérieuse», à tout le moins quant aux arguments du Barreau fondés sur les articles 12 et 15 de la Charte. Il conteste cependant le bien-fondé de l'argument fondé sur l'article 7, estimant que cet argument est superflu, vu la contestation basée sur l'article 12. Il plaide que le législateur peut validement adopter des peines minimales obligatoires, sans enfreindre l'indépendance judiciaire et la séparation des pouvoirs. À bon droit, le juge a estimé que, au stade de la présentation d'une requête en irrecevabilité, il ne lui appartenait pas de décider du bien-fondé ou non de la thèse avancée par la partie demanderesse. Ayant conclu que la requête du Barreau faisait état d'au moins une question sérieuse (ce que le PGC reconnaît), le juge décide qu'il n'a pas à continuer son analyse pour faire un examen minutieux de chacun des autres arguments plaidés par le Barreau. Ce faisant, il n'a commis aucune erreur justifiant une intervention de la présente Cour.

Le second facteur à considérer est l'intérêt réel ou véritable de la partie demanderesse dans l'issue de la question. Le juge a conclu que ce facteur était également présent en l'espèce. Il estime que le Barreau, en soulevant la question sérieuse précédemment déterminée, assume son rôle sociétal, rôle qui constitue une dimension essentielle de sa mission de protection du public énoncée à l'article 23 du Code des professions. Il ajoute que la contestation du Barreau se trouve également au coeur de sa mission de défense de la primauté du droit. Ici encore, le juge ne commet aucune erreur qui justifierait une intervention de la Cour d'appel. Il a appliqué les bons critères juridiques. Contrairement à ce que plaide le PGC, le rôle de protection du public assumé par le Barreau du Québec ne se limite pas au seul contrôle de ses membres ou à sa fonction en tant qu'ordre professionnel des avocats.

Finalement, le juge énonce correctement les principes devant le guider dans son analyse du troisième facteur (manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux) et il les soupèse judicieusement. Il apprécie aussi ce troisième facteur en lien avec les deux autres et avec les objectifs sous-jacents aux limites traditionnelles. Le PGC lui reproche d'avoir omis de tenir compte du fait que la contestation, au sein d'un même recours, de chacune des 94 peines minimales, au regard de l'article 12 de la Charte, occupera une grande partie du débat et nécessitera une utilisation déraisonnable des ressources judiciaires alors même qu'il n'y a aucun intérêt à traiter cette question globalement. En fait, le PGC aurait préféré que le juge décide que la question de la constitutionnalité des dispositions en litige devait être soumise par un accusé qui possède de plein droit la qualité pour contester une des 94 peines en cause, de façon à ce que la contestation de celles-ci se fasse au cas par cas. Il a tort. Le juge a tenu compte de cet élément, mais il a situé plus globalement le coeur du litige soulevé par le Barreau. Il mentionne, à la lumière des pouvoirs confiés aux tribunaux, qu'une saine gestion de ce dossier permettra qu'il soit entendu dans un délai raisonnable et d'une manière qui favorisera l'économie des ressources judiciaires. À l'audience, le PGC reconnaît d'ailleurs que, bien que la Loi ait été sanctionnée il y a de cela plus de deux ans, les tribunaux québécois n'ont pas encore eu à se prononcer sur la constitutionnalité de l'une des peines litigieuses. Or, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Dowtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, rendu par la Cour suprême en 2012, le juge Cromwell écrit que «[…] le fait que de nombreuses contestations pourraient être ou aient été engagées, ou l'ont été, dans le cadre de poursuites en matière criminelle pourrait en fait corroborer la thèse selon laquelle une demande exhaustive de jugement déclaratoire est en fait une manière plus raisonnable et efficace d'en arriver à un règlement définitif des questions soulevées».

En réalité, le PGC invite ici la Cour d'appel à refaire l'exercice à la place du juge de première instance et à y substituer sa propre discrétion. Or, tel n'est pas le rôle de cette Cour en l'absence d'une erreur de droit, pas plus que ce n'est son rôle, dans le cadre d'une requête fondée sur l'article 165(3) C.p.c., de se prononcer sur les chances de succès du recours de la partie intimée.

L'appel du PGC est rejeté.


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