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La Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et permettant la poursuite de la négociation ainsi que le renouvellement de la convention collective des salariés assurant la prestation de ces services juridiques qui, notamment, interdit aux avocats et aux notaires de l’État québécois d’exercer leur droit de grève et leur ordonne de retourner au travail, est déclarée inconstitutionnelle

Résumé de décision : Avocats et notaires de l'État québécois c. Procureure générale du Québec, EYB 2019-316718, C.S., 18 septembre 2019
La Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et permettant la poursuite de la négociation ainsi que le renouvellement de la convention collective des

POURVOI en contrôle judiciaire. ACCUEILLI.

La demanderesse (LANEQ) demande au tribunal de déclarer inconstitutionnelle la Loi assurant la continuité de la prestation des services juridiques au sein du gouvernement et permettant la poursuite de la négociation ainsi que le renouvellement de la convention collective des salariés assurant la prestation de ces services juridiques (la Loi), adoptée le 28 février 2017. Celle-ci interdit aux avocats et notaires de l'État d'exercer leur droit de grève et leur ordonne de retourner au travail. Elle prévoit aussi un mécanisme de poursuite des négociations et un processus de médiation post-adoption. Enfin, elle détermine que, à défaut d'entente, la convention collective expirée en 2015 est renouvelée, sauf quant aux échelles salariales, primes et allocations, lesquelles seront celles fixées par la Loi.

LANEQ a raison de plaider que la Loi constitue une entrave substantielle à la liberté d'association de ses membres en ce qui concerne le droit à la négociation collective et sa composante, le droit de grève. L'obligation pour les juristes de maintenir les services essentiels n'est pas ici remise en cause. Durant leur grève, tous les services essentiels ont été fournis dans le respect des décisions rendues par le TAT. C'est donc le reliquat du droit de grève qui est retiré par la Loi. Or, les art. 4 à 10 de la Loi, en ce qu'ils interdisent de façon totale l'exercice du droit de grève pendant trois ans, perturbent l'équilibre des rapports de force entre les employés et l'employeur de telle sorte qu'il y a interférence de façon substantielle dans le processus véritable de négociation. Les arguments de la PGQ voulant qu'il n'y ait pas entrave au droit de négociation lorsque le processus de négociation véritable a été pleinement exercé ou lorsque les parties sont dans une impasse telle que la grève ne contribue plus aux négociations ne sont pas retenus. Lorsque le retrait total du droit de grève est adéquatement compensé par un processus de règlement des différends impartial et efficace, il permet la poursuite d'un processus véritable de négociation collective, ce qui respecte les droits garantis par les Chartes. Ce n'est pas le cas ici. Depuis l'adoption de la Loi, le rapport de force est brisé : le gouvernement est soustrait à la pression créée par la grève.

L'entrave à la liberté d'association ayant été démontrée, il faut maintenant passer à la deuxième étape du test et se demander si cette entrave est justifiée au sens de l'article premier de la Charte canadienne et de l'art. 9.1 de la Charte québécoise.

L'examen fondé sur les Chartes exige des objectifs valides et la proportionnalité. Ici, les objectifs de la Loi sont valides, mais la mesure n'est pas proportionnée. La Cour suprême a déterminé que le test de la proportionnalité implique de répondre aux trois questions suivantes : 1) existe-t-il un lien rationnel entre les moyens choisis et l'objectif ? ; 2) la loi porte-t-elle atteinte de façon minimale au droit violé ? ; et 3) les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la loi sont-ils proportionnels entre eux ? En l'instance, il existe un lien rationnel entre les moyens choisis et les objectifs du gouvernement, mais l'effet des différents éléments de la Loi excède ce qui est raisonnablement nécessaire pour atteindre ces objectifs. Premièrement, il n'y a pas de mécanisme de règlement des différends véritable et efficace : tout d'abord, la durée de la période de négociation/médiation est arbitraire et augmente la pression sur LANEQ, entraînant ainsi un déséquilibre des forces. Ensuite, le processus ne permet pas de redresser l'équilibre des forces. Quant à l'argument de l'impact sur le budget, il ne vaut pas à l'encontre de plusieurs conditions de travail et il peut être contourné. Ajoutons qu'il existe plusieurs moyens de règlement de différends, déjà adoptés par l'État, qui sont moins attentatoires que celui prévu ici. Enfin, le processus de médiation est vicié par l'imposition de facteurs devant être pris en compte par le médiateur et l'exclusion de la question du régime de négociation lors de la période de médiation n'est pas justifiée. Deuxièmement, la durée de trois ans n'est pas soutenue par une justification. Troisièmement, le gouvernement n'a pas présenté de demande concernant une modification des services essentiels. Quatrièmement, le cumul des mesures administratives, civiles et pénales ainsi que la modification des critères d'autorisation de l'action collective prévus dans le C.p.c. sont excessifs ou non justifiés. Enfin, les conditions de travail sont décrétées et inférieures aux dernières offres patronales. Bref, pour le tribunal, l'atteinte ne se limite pas ici à ce qui est raisonnablement nécessaire. On ne peut donc conclure qu'elle est minimale. On ne peut non plus conclure que les effets bénéfiques de la Loi sont supérieurs à ses effets préjudiciables, comme le soutient le PGQ. Pour LANEQ, la privation totale du droit de grève pendant trois ans sans qu'il soit compensé par un véritable mécanisme de règlement des différends, l'imposition de pénalités draconiennes et le décret des conditions de travail des salariés ont des effets d'une sévérité sans commune mesure avec les bénéfices que la Loi cherche à obtenir. Celle-ci s'inscrit dans un contexte historique de relations de travail qui rend illusoire la pratique d'une véritable négociation collective. Dans ce contexte, les effets préjudiciables de la mesure outrepassent ses effets bénéfiques.

Il faut donc conclure que la restriction à la liberté d'association des membres de LANEQ n'est pas justifiée au sens de l'article premier de la Charte canadienne. Bien qu'elle ait permis d'assurer la continuité des services juridiques de l'État, la mesure est disproportionnée quant à ses effets. Le tribunal déclare donc que la Loi est inconstitutionnelle, car elle porte atteinte à la liberté d'association garantie par l'art. 2 al. d) de la Charte canadienne et par l'art. 3 de la Charte québécoise et que cette atteinte n'est pas justifiée dans une société libre et démocratique. Les déclarations d'inconstitutionnalité ont généralement un effet rétroactif. Le PGQ n'a pas demandé la suspension de la déclaration et LANEQ n'a pas fait de demande ou de représentations sur le sujet. Il n'y a donc pas lieu de déroger à la règle générale ; la Loi est déclarée être sans effet depuis la date de son adoption.

LANEQ demande que le gouvernement soit condamné à lui payer 10 000 $ et 1 100 000 $ (1 000 $ par membre x 1 100 membres) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation de l'art. 2 d) de la Charte canadienne. Elle réclame également le paiement d'une somme de 5 500 000 $ (5000 $ par membre x 1 100 membres) à titre de dommages-intérêts punitifs afin de dissuader le gouvernement de récidiver. Ces demandes ne peuvent toutefois être accordées. L'art. 24 de la Charte canadienne offre un recours pour les actes gouvernementaux qui violent des droits garantis par la Charte. La responsabilité ici recherchée n'est pas celle de l'État dans son rôle d'employeur, mais celle du législateur à la suite de l'adoption d'une loi subséquemment déclarée inconstitutionnelle. Or, pour que l'adoption d'une loi constitue un acte fautif engageant la responsabilité civile de l'État, il faut démontrer que le législateur s'est comporté de manière clairement fautive, qu'il a agi de mauvaise foi ou qu'il a abusé de son pouvoir. Une telle preuve n'a pas été faite en l'instance.

LANEQ demande au tribunal de mettre en place « un véritable mécanisme de règlement des différends conforme aux exigences posées par la protection constitutionnelle du droit de grève ». Cette demande doit également être rejetée. Il appartient au législateur de déterminer quand et comment il doit intervenir dans un conflit de travail. Les Chartes ne privent pas l'État de son pouvoir législatif ; elles le balisent.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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