Skip to content

Un jeune homme qui a enregistré une relation sexuelle à l’insu de sa partenaire est condamné à lui verser 32 000 $ en dommages-intérêts

Résumé de décision : L.D. c. J.V., EYB 2015-250090 (C.S., 12 mars 2015)
Un jeune homme qui a enregistré une relation sexuelle à l’insu de sa partenaire est condamné à lui verser 32 000 $ en dommages-intérêts

Les parties se sont fréquentées pendant quelque temps, alors qu'elles étaient au début de la vingtaine. À l'hiver 2011, elles ont eu une discussion sur les enregistrements vidéo d'ébats sexuels impliquant le défendeur que celui-ci possède. La demanderesse a même visionné quelques minutes d'une de ces vidéos. Elle s'était alors assurée auprès du défendeur qu'il n'enregistrerait pas leurs relations sexuelles. Quelque temps plus tard, alors qu'elle se trouvait chez le défendeur et que celui-ci était absent, elle a pris les clés USB placées dans sa chambre et elle est montée au rez-de-chaussée pour les visionner sur l'ordinateur. Elle dit qu'elle était curieuse de voir le « trip à trois » dont le défendeur lui avait parlé. C'est à ce moment qu'elle est tombée sur l’enregistrement d'une relation sexuelle qu'elle avait eue avec le défendeur. Les deux colocataires de ce dernier, qui sont des amies de la demanderesse et qui étaient arrivées pendant le visionnement des vidéos, ont aussi vu l'enregistrement litigieux. La demanderesse dit qu'elle a immédiatement supprimé le fichier. Elle était très en colère. Elle n'a pas voulu parler au défendeur. À la Saint-Valentin, les parties ont repris leurs fréquentations. Elles y ont mis un terme définitif à l'été. La demanderesse explique que cette histoire d'enregistrement vidéo aurait été terminée sans aucune suite, si ce n'est qu'elle a été abordée subséquemment par MD, une connaissance commune des parties, qui lui a dit avoir vu la vidéo en question. Aussi, SV, une connaissance Facebook, lui a envoyé des messages à ce sujet.

Il n'y a pas véritablement de litige sur l'absence de consentement de la demanderesse à l'enregistrement. Quoique la défense écrite insinue l'assentiment de la demanderesse, la preuve a révélé que cet enregistrement a été fait de façon subreptice, par un appareil photo sur lequel le défendeur avait désactivé le voyant indiquant que l'appareil est en marche. On ne peut prétendre que les discussions antérieures à ce sujet puissent constituer un quelconque consentement à un tel enregistrement. Les parties admettent également le contenu de l'enregistrement, quoiqu'elles n'aient pas jugé opportun de le produire devant le tribunal. La preuve testimoniale révèle une vidéo d'une durée de trois à cinq minutes, représentant une relation intime entre les parties. Il ne fait aucun doute que cet enregistrement, fait à l'insu de la demanderesse, porte atteinte à son droit au respect à la vie privée et à ses droits à l'honneur et à la dignité.

La preuve au niveau de la communication ou de la diffusion est limitée. La demanderesse croyait avoir effacé le fichier contenant l'enregistrement, mais, de toute évidence, il a continué d'exister sur la clé USB. L'amie de la demanderesse qui est une des colocataires du défendeur a subtilisé cette clé en prévision du procès. Le fichier était encore dedans. Toutefois, le défendeur nie catégoriquement avoir mis l'enregistrement sur Internet et il n'y a aucune preuve voulant que l'enregistrement s'y soit retrouvé. Le défendeur nie aussi catégoriquement avoir montré la vidéo à quiconque, notamment à MD ou à SV. Le tribunal le croit lorsqu'il dit qu'il n'a pas montré l'enregistrement à SV, mais pas lorsqu'il dit qu'il ne l'a pas montré à MD. Le tribunal est en effet convaincu que MD a visionné l'enregistrement, compte tenu de la conversation Facebook et de sa déclaration à la demanderesse. Sa façon de qualifier ce qu'il a vu, malgré son état d'ébriété au moment de la rencontre avec la demanderesse, ajoute de la vraisemblance à cette prétention. Par ailleurs, même si c'est de façon inopinée que les amies de la demanderesse, RR et MGG, ont vu l'enregistrement, cette diffusion ou communication est quand même la responsabilité du défendeur. En effet, au-delà de la faute commise en enregistrant à l'insu de la demanderesse la relation intime, une fois enregistré, le fichier aurait dû être protégé. Afin que le droit à la vie privée puisse être protégé, une personne en possession des renseignements personnels, tel un enregistrement vidéo, doit en assurer la confidentialité, en proportion notamment de leur sensibilité et de leur support. Même si la chambre du défendeur n'est occupée que par lui et qu'elle dispose d'une porte, la preuve a démontré que tous les résidents et visiteurs de l'appartement peuvent y entrer facilement. Le défendeur, en n'ayant pas protégé adéquatement, par des moyens physiques ou informatiques, l'enregistrement vidéo, a notamment permis sa diffusion à RR et MGG. Cela constitue une autre faute.

Il ne fait aucun doute que l'enregistrement de relations intimes à l'insu de son ou sa partenaire constitue un geste particulièrement ignoble. On porte, de cette façon, atteinte à la dignité, l'honneur et la vie privée d'une personne dans ce qu'elle a de plus intime. Il s'agit d'un geste dégradant pour son auteur et horrifiant pour sa victime. Le tribunal croit la demanderesse lorsqu'elle affirme se sentir souillée et dévalorisée. Elle avait une attente très élevée au niveau du respect de sa vie privée alors qu'elle avait des relations intimes avec sa fréquentation. Elle ne pouvait imaginer d'aucune façon que ces relations puissent être enregistrées, d'autant plus qu'elle avait demandé au défendeur de ne pas le faire et qu'il lui avait répondu qu'il ne le ferait pas. Il est tout à fait compréhensible qu'elle ait très mal vécu cette trahison. Il est compréhensible aussi qu'elle ait ressenti une colère très intense au moment de la découverte inopinée de cette vidéo, qu'elle ait subi une crise, et qu'elle ait vécu de l'angoisse et de l'anxiété par la suite. Le geste posé par le défendeur est répugnant et le tribunal ne peut que s'indigner devant une telle façon de procéder. Tenant compte de la jurisprudence, le tribunal octroie à la demanderesse, pour le préjudice moral résultant de l'enregistrement illicite, des dommages moraux de 20 000 $.

Pour le préjudice moral résultant de la diffusion, qui a été restreinte à trois personnes seulement, le tribunal accorde 3 000 $. Une somme de 5 000 $ est toutefois accordée pour compenser le sentiment de crainte et d'angoisse au sujet de la diffusion ultérieure de la vidéo. En effet, la preuve démontre que le défendeur a conservé la clé USB litigieuse et qu'il n'a pas protégé l'enregistrement litigieux malgré sa découverte par la demanderesse et sa réaction. La preuve en est que sa colocataire, amie de la demanderesse, a pu récupérer la clé pour le procès et que le fichier est toujours là. Ceci peut donner lieu à une crainte raisonnable que d'autres copies existent et circulent ou, du moins, risquent de circuler dans l'entourage des parties, et qu'elles pourraient se retrouver à tout moment sur Internet, accessibles à tous. Finalement, une somme de 1 000 $ est accordée pour le préjudice découlant de l'atteinte à la réputation de la demanderesse. En tout, c'est donc un montant de 29 000 $ qui est accordé à titre de dommages moraux.

Il y a lieu également de condamner le défendeur à payer des dommages-intérêts punitifs. Celui-ci aurait dû savoir, compte tenu de la relation existant entre les parties et, surtout, du visionnement antérieur de l'enregistrement vidéo impliquant son ex-petite amie, quelle serait la réaction de la demanderesse à cet égard. Il explique qu'il a voulu bien faire, qu'il n'a gardé que le « beau » de l'enregistrement de la relation intime, que celle-ci s'est faite « toute en douceur », et que l'enregistrement ne démontrait que l'amour entre les deux protagonistes. Le tribunal en conclut que le défendeur a singulièrement manqué de jugement, mais que son geste n'a pas été dicté par quelque vengeance ou haine, la recherche de profit ou autre intention malveillante. Par ailleurs, la preuve démontre que la situation financière du défendeur est modeste, avec des revenus oscillant entre 9 000 $ et 13 000 $ bruts. Cependant, il travaillait alors à temps partiel, la plupart du temps, et sa capacité de gains, dans un emploi à temps plein, serait de toute évidence plus élevée. Le tribunal tient aussi compte de l'attitude du défendeur. Bien que celui-ci se soit confondu en excuses au moment de la découverte de la vidéo par la demanderesse, à l'audience, il avait une attitude plutôt neutre. Il n'a exprimé aucun regret ni n'a montré de contrition. Il ne s'est pas excusé de façon explicite auprès de la demanderesse. Par contre, il n'a pas non plus semblé agressif ou revendicateur. Le tribunal a plutôt constaté de la tristesse et de la résignation de sa part. Sa défense visait surtout l'étendue des dommages, qu'il qualifiait d'« astronomiques » (la demanderesse réclamait 80 000 $ en tout) et il affirmait ne pas vouloir payer pour ce qu'il n'avait pas fait, notamment la diffusion de la vidéo. Tenant compte de tous ces facteurs, le tribunal fixe à 3 000 $ le montant des dommages exemplaires qui devront être payés ici.

La demanderesse exige que le défendeur efface et détruise tout enregistrement la concernant, qu'il ne communique plus avec elle, ni directement ni indirectement, et qu'il ne s'approche pas à moins de 500 mètres de sa résidence, de son lieu de travail ou d'elle-même. Le défendeur consent à toutes ces ordonnances, sauf la dernière. La preuve n'a révélé aucune agressivité ni même animosité de sa part. Il n'y a pas un iota de preuve ni même d'allégations de rancoeur de sa part. Au contraire, les parties se sont revues à quelques reprises, sans aucune conséquence néfaste. Il semble donc que la demande visant la demanderesse elle-même soit exagérée et difficilement exécutoire. Les parties fréquentent le même milieu et risquent de se croiser dans les soirées ou les bars de Montréal. Si, d'aventure, la situation se détériorait à l'avenir, la demanderesse pourrait s'adresser au tribunal pour obtenir des ordonnances appropriées.

La demanderesse souhaite aussi rendre anonyme ce litige et demande la banalisation de son nom advenant la publication de ce jugement ainsi que du plumitif. Le défendeur y consent, mais, en dépit de ce consentement mutuel, le tribunal ne peut accorder une telle demande que de façon exceptionnelle et dans les cas qui le justifient seulement, car le principe général établi par la législation est la publicité des débats judiciaires. Les parties n'ont pas demandé la protection de la confidentialité dès le début des procédures. Elles n'ont pas demandé d'exercer le recours de façon anonyme et, depuis plus de trois ans, ce dossier évolue de façon tout à fait publique et transparente. Or, la Cour supérieure a déjà déterminé qu'il n'y avait pas lieu d'autoriser une partie à utiliser ses initiales si des noms et prénoms apparaissent déjà au plumitif depuis l'institution des procédures. En conséquence, il ne semble pas approprié d'ordonner la banalisation du plumitif. En revanche, il faut éviter d'aggraver le préjudice causé à la victime, et il n'est pas rare que, dans les dossiers de harcèlement sexuel ou d'usage de matériel photographique ou vidéo compromettant, les tribunaux ordonnent la banalisation du nom des parties en cas de diffusion ou publication du jugement. Vu les dommages subis par la demanderesse, le tribunal ne voit aucune raison de s'écarter de cette jurisprudence. Il ordonne donc la banalisation des noms des parties dans le jugement.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

Ouvrir une session | Demander un essai gratuit

You May Also Like
© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.