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Affaire R. c. Goulet : rejet de la requête en arrêt des procédures pour délais déraisonnables

Par Mazen Raad, docteur en droit privé, professeur de droit
Affaire R. c. Goulet : rejet de la requête en arrêt des procédures pour délais déraisonnables

S’inspirant très fortement des enseignements délivrés par l’arrêt Cody1 de la Cour suprême du Canada et l’affaire R. c. Charron2, le jugement de rejet du 26 octobre 2017 de la Cour du Québec rappelle qu’il n’est pas aisé de demander automatiquement l’arrêt des procédures criminelles pour violation du délai raisonnable de jugement. Précisément, parce que le délai déraisonnable s’apprécie in concreto, c’est-à-dire au regard des circonstances propres à chaque affaire, telles les circonstances inévitables3, la complexité de l’affaire4, les conditions de déroulement de la procédure5, le comportement des parties tout au long de celle-ci6, le préjudice subi par l’accusé en raison du délai déraisonnable7, le dysfonctionnement de la justice inhérent au manque de ressources institutionnelles8, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments.

  • R. c. Goulet, 2017 QCCQ 12217

Le 4 octobre 2017, une personne accusée de conduite avec les facultés affaiblies et de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, soumet à l’examen de la Cour du Québec une requête en arrêt des procédures pour délais déraisonnables, au motif que la durée de la procédure a excédé de 19 mois le délai raisonnable de jugement, ce qui constitue une violation suffisamment caractérisée d’un droit constitutionnel consacré par l’article 11 b) de la Charte canadienne des droits et libertés, mais aussi de l’arrêt Jordan9 de la Cour suprême du Canada ayant fixé le plafond du délai raisonnable à 18 mois, s’agissant des procédures diligentées sans enquête préliminaire, comme c’est précisément le cas en l’espèce. L’article précité prévoit, en effet, que « tout inculpé a le droit (…) d’être jugé dans un délai raisonnable (…) ». Cela signifie qu’une attente trop longue peut ainsi être assimilée par le justiciable à un refus de juger et entrer dans le champ d’application des dispositions de l’article 24(1) de la Charte, qui énonce que « toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances (…) ».

La bonne compréhension du jugement nécessite d’exposer, en détail, les faits de l’espèce. À la suite d’une dénonciation déposée le 11 août 2014 contre l’accusée, celle-ci choisit de se faire représenter par une avocate afin d’assurer sa défense au cours de la comparution du 24 septembre 2014. Mais, pour une raison inconnue, l’audience est reportée au 20 janvier 2015, date à laquelle son avocate sollicite une date de procès d’une durée de quatre heures. Le tribunal lui propose alors deux dates différentes, l’une au mois de juillet 2015, l’autre au mois d’octobre de la même année, parmi lesquelles elle choisit celle qui lui convient le mieux. Le procès est donc fixé au 20 octobre 2015, à cela près que 11 jours avant la date prévue pour l’audience, et contre toute attente, l’avocate est nommée juge à la Cour municipale de Laval, ce qui contraint l’accusée à demander le report du procès au 5 février 2016, afin de mandater un avocat. À compter de cette date-là, l’avocate nouvellement constituée décide, de concert avec le poursuivant, de demander successivement l’ajournement du procès, d’abord, au 19 mai 2016, ensuite, au 4 octobre 2016, puis, au 6 octobre 2016, en asseyant visiblement ce choix sur la nécessité d’attendre le prononcé d’un jugement dans un autre dossier, dont la solution serait soi-disant transposable à la présente affaire. Sauf que la décision tant attendue ne voit jamais le jour et l’avocate se voit à nouveau dans l’obligation de solliciter la fixation du procès au 26 mai 2017, cette fois-ci pour une durée de deux heures. Plus curieux encore, l’accusée dépose le 8 mai 2017 une requête en exclusion de la preuve, avant que le poursuivant ne présente à son tour une demande de remise le 19 mai 2017, au motif que son principal témoin, une policière en arrêt de travail pour cause de grossesse à risque, est dans l’impossibilité de venir témoigner à la barre. Le procès est, une fois pour toutes, reporté au 4 octobre 2017, mais les demandes de l’accusée n’en finissent pas de rebondir, voire de réserver des surprises à la juge. Au cours de cette audience, en effet, le nouvel avocat de l’accusée, s’étant substitué à sa collègue, formule verbalement une demande en récusation pour défaut d’impartialité que la juge rejette sèchement. D’où la requête en arrêt des procédures pour délais déraisonnables, faisant état de délais excessifs à hauteur de 37 mois entre la « date de dénonciation » de l’accusée et « l’audience du 4 octobre 2017 ».

Pour justifier le temps mis à traiter le dossier, la juge relève des éléments qui lui sont extrinsèques, comme son caractère imprévisible en raison de circonstances exceptionnelles insurmontables, mais aussi intrinsèques, tels l’absence de tout acte de procédure manifestant la volonté de l’accusée de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable.

Premièrement, la juge note que l’indisponibilité, au mois de juillet 2015, de la première avocate de l’accusée ainsi que son imprédictible nomination au sein de la magistrature ont, à elles seules, entraîné un retard de 7 mois. Deuxièmement, la juge remarque que l’accusée s’est complu dans une période d’inaction qu’elle illustre en faisant référence tant à un délai de 33 mois et 24 jours, qui se serait écoulé sans le moindre acte de procédure, qu’à l’inanité des demandes d’ajournement qui ont inexplicablement perduré jusqu’en mai 2017. De fait, depuis le « cesser d’occuper » de la première avocate, le tort de l’accusée était d’avoir contribué à retarder d’environ 1 an et 2 mois l’audience de son procès. Or ce temps perdu inutilement ne pouvait que lui être imputable. La Cour n’a pas à pallier les carences de l’accusé, qui n’userait par exemple pas de son droit d’exiger la tenue du procès10. Enfin, l’élément le plus déterminant pour la juge est sans doute lié au fait, d’une part, que l’accusée a présenté une requête en exclusion de la preuve « seulement 18 jours avant la date d’audience du mois de mai 2017 », alors qu’elle aurait dû la signifier dans un « délai d’au moins 30 jours », ainsi que le prescrit l’article 104 du Règlement de la Cour du Québec ; d’autre part, que son avocat a présenté une demande de récusation dans le seul dessein de suspendre techniquement l’instance, sans pour autant justifier - plus amplement par des motifs précis et circonstanciés - le défaut d’impartialité de la juge. L’on relèvera, à cet égard, qu’au sens de l’arrêt Québec (Poursuites criminelles et pénales) c. Jodoin11 du 12 mai 2017 de la Cour suprême du Canada, une requête de nature à entraver l’exercice ou l’administration de la justice pourrait être jugée abusive et donner lieu à une condamnation aux dépens. Mais, en l’espèce, la juge s’est contentée de dire que la requête en récusation était « dénuée de fondement, frivole et illégitime ». Troisièmement, la juge observe que le délai de 4 mois entre l’audience du 26 mai 2017 et celle du 4 octobre 2017 était justifié par une circonstance exceptionnelle tenant à l’absence d’un témoin-clé. Quant au « grief fait au poursuivant de s’être abstenu de proposer l’admission du témoignage de la policière afin d’éviter le report du procès » formulé par l’avocat de la défense, il laisse songeur. En effet, admettre un devoir d’avertir son adversaire, jusqu’ici silencieux, de la nécessité de solliciter une telle admission en procédure paraît excessif, d’autant plus que la question des admissions n’a pas été envisagée par la défense lors de la demande de remise du poursuivant au mois de mai 2017, ni d’ailleurs au cours de l’audience du 4 octobre 2017. Bien qu’il ait été regrettable que l’accusée n’ait pas pu faire valoir ses observations sur la demande de remise du poursuivant, cela n’a pas porté une atteinte irrémédiable à l’équité globale de la procédure dirigée contre elle.

Ainsi, bien qu’au départ, le délai brut ait été de 37 mois et 24 jours, celui-ci s’est trouvé petit à petit réduit, d’abord, à 26 mois et 24 jours, puis, à 22 mois et 24 jours, pour être finalement fixé à 17 mois et 24 jours, soit donc en deçà du plafond du délai raisonnable fixé pour les procédures sans enquête préliminaire. Il appartenait dès lors à la défense de démontrer que les conditions posées par la jurisprudence aux fins de caractériser l’excessivité de la durée de la procédure étaient réunies : d’une part, que « le délai excède de façon manifeste ce qui est raisonnablement nécessaire » ; d’autre part, et en tout état de cause, que « des mesures proactives traduisent la volonté du requérant de remédier aux difficultés liées au dépassement du délai raisonnable tout au long de la procédure ». Or force est de constater qu’en l’espèce, à aucun moment de la procédure la juge n’a relevé des mesures de nature à caractériser les diligences raisonnables de l’accusée, de sorte que la défense a échoué à démontrer que le délai de 17 mois et 24 jours était excessivement déraisonnable. La juge a donc estimé opportunément que ce constat était suffisant pour caractériser les carences de l’accusée. Autant dire qu’au regard de constatations – nombreuses et développées – faites par la juge, il n’est pas surprenant que la requête en arrêt des procédures de l’accusée ait été rejetée.

Le jugement rapporté nous enseigne que si toute décision de justice doit être rendue dans un délai raisonnable, faute de quoi l’arrêt des procédures et la réparation du préjudice s’imposent au juge en vertu des articles 11 b) et 24 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés, toute procédure longue ne donne pas automatiquement lieu à une décision rendue dans un délai déraisonnable. Ce n’est pas tant la longueur de la procédure qui constitue le fait générateur du dommage, mais la longueur injustifiée. C’est dans ce dernier cas qu’apparaît une véritable conduite déraisonnable du ministère public ou un fonctionnement défectueux de la justice.


1 R. c. Cody, 2009 B.C.C.A. 123, note 7 au para 38.
2 R. c. Charron, 2017 QCCS 4073 au para 80.
3 R. c. Manaserri, 2016 O.N.C.A 703.
4 R. c. Antoine, 2017 QCCS 1325.
5 R. c. Vassel, 2016 CSC 26, [2016] 1 R.C.S. 625 au para 3 ; R. c. Godin, 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3 au para 18.
6 R. c. Williamson, 2016 CSC 28, [2016] 1 R.C.S. 741 au para 26.
7 Ibid., para 30.
8 R. c. Tran, 2012 O.N.C.A. 18, 288 C.C.C. (3d) 177; R. c. Schertzer, 2009 O.N.C.A. 742, 248 C.C.C. (3d) 270.
9 R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631 au para 46. Cet arrêt a fixé le plafond du délai raisonnable à 18 mois en cas de procédure sans enquête préliminaire et à 30 mois, s’agissant d’une procédure exigeant la tenue de ce type d’enquête. Il est, par ailleurs, à noter que la Cour supérieure du Québec n’a pas hésité à en faire application en matière civile. Voir, St-Amour c. Major, 2017 QCCS 2352 ; Commission de la construction du Québec c. 9114-0137 Québec inc., 2016 QCCS 6722 aux para 20-21.
10 Une telle attitude manifeste une volonté de renoncer au bénéfice de la loi, y compris de la jurisprudence relative au délai raisonnable. Voir, par exemple, Béliveau c. R., 2016 QCCA 1549 au para 114.
11 Québec (Poursuites criminelles et pénales) c. Jodoin, 2017 CSC 26.

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Docteur en droit privé et titulaire d’une maîtrise en droit des affaires, membre du Comité de lecture de la Revue québécoise de droit international et auteur de plusieurs chroniques de jurisprudence, M. Raad est actuellement professeur de droit à la Cité collégiale d’Ottawa où il enseigne aux étudiants de baccalauréat le droit criminel et la procédure criminelle. Auparavant, il a enseigné un cours de droit privé à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa. M. Raad a également travaillé à la Cour supérieure du Québec et à la Cour fédérale du Canada.