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Négligence des héritiers en l’absence d’inventaire

Extrait d’un commentaire sur l’article 800 C.c.Q.

Par Michel Beauchamp, Beauchamp & Gilbert notaires
Négligence des héritiers en l’absence d’inventaire

DÉLAI

Lorsque le liquidateur ne respecte pas son devoir d’effectuer l’inventaire, les articles 640 et 800 C.c.Q. imposent aux héritiers cette obligation de faire l’inventaire. En effet, selon l’article 640 C.c.Q., est présumé avoir accepté la succession, le successible, sachant que le liquidateur refuse ou néglige de faire inventaire, néglige lui-même de procéder à l’inventaire ou de demander au tribunal soit de remplacer le liquidateur, soit de lui enjoindre de le faire dans les 60 jours qui suivent l’expiration du délai de délibération de six mois [voir l’art. 632 C.c.Q.]. Le successible devient dès lors un héritier [art. 619 C.c.Q.]. L’article 800 C.c.Q. s’applique alors. Selon cette disposition, les héritiers qui, sachant que le liquidateur refuse ou néglige de faire inventaire, négligent eux-mêmes, dans les 60 jours qui suivent l’expiration du délai de délibération de six mois [voir l’art. 632 C.c.Q.], soit de procéder à l’inventaire, soit de demander au tribunal de remplacer le liquidateur ou de lui enjoindre de procéder à l’inventaire, sont tenus au paiement des dettes de la succession au-delà de la valeur des biens qu’ils recueillent.

Or, le législateur ne fixe aucun délai pour le liquidateur pour dresser l’inventaire1. Comment faut-il alors conjuguer l’action des successibles et des héritiers en cas de négligence ou refus d’agir du liquidateur ?

Sur la question du délai, dans la pratique, on entend souvent que le liquidateur dispose d’un délai de six mois à compter du décès pour produire l’inventaire du défunt. Cette position est fondée principalement sur le délai strict de six mois accordé aux successibles pour exercer leur droit d’option2 [voir l’art. 632 C.c.Q.].

D’autres estiment que le liquidateur doit plutôt effectuer l’inventaire à l’intérieur d’un délai de huit mois suivant le décès. Cette dernière thèse est basée sur l’article 800 C.c.Q. Dans Spengler (Succession de)3, dans le cadre d’une demande en jugement déclaratoire présentée par les liquidateurs requérants, le tribunal est appelé à se prononcer sur la clause suivante contenue dans un testament rédigé en 2005 :

… each … share … to be made over to him or to her in complete ownership as soon as reasonably possible after twenty-four (24) months from the date of my death…

[…]

Until the distribution of the above mentioned assets to my beneficiaries, under no circumstances shall my Liquidators and Trustees disclose to any of my beneficiaries the value or contents of my succession and the trust herein created nor shall they provide any of said beneficiaries with any financial statements thereof.

Même si le tribunal concède d’abord que la loi ne prévoit aucun délai pour faire inventaire, il estime toutefois que des dispositions du Code civil du Québec limitent indirectement le délai pour confectionner l’inventaire :

Ainsi, l’article 632 C.c.Q. accorde un délai de délibération de 6 mois à un successible, à compter du jour où son choix s’est ouvert, pour délibérer et exercer son option et, selon Beaulne, « … l’idée sous-jacente semble être que le liquidateur fait normalement inventaire dans le délai de délibération accordé aux successibles, auquel on pourrait vraisemblablement ajouter le délai supplémentaire de 60 jours prévu à l’article 800 C.c.Q. ».

Certaines causes peuvent en effet retarder la confection de l’inventaire mais elles sont des exceptions à la volonté du législateur à l’effet que le liquidateur agisse dans les meilleurs délais.

L’objectif recherché par la confection d’un inventaire de même que son rapport avec la reddition de compte justifient l’obligation de diligence associée à sa préparation ; elle s’infère aussi des dispositions de l’article 800 C.c.Q. qui prévoient : […]4

Ainsi, selon le tribunal, la clause testamentaire en litige restreint les obligations des requérants tel que prévu au Code civil du Québec en empêchant la confection et la remise de l’inventaire ainsi que la reddition de compte annuelle, dans un délai répondant à la volonté et aux exigences du législateur5. Étant donné que le tribunal est d’avis que les dispositions du Code civil ont préséance sur la clause testamentaire, il déclare que celle-ci est réputée non écrite.

Avec égard, nous ne souscrivons pas à ces opinions. En fait, nous estimons que le liquidateur n’est pas obligé de dresser l’inventaire dans un délai en particulier6. Tout en étant en accord avec le fait qu’il est de l’intérêt autant du liquidateur, des légataires, des héritiers et des créanciers de procéder le plus rapidement possible à la détermination du patrimoine successoral, il demeure qu’il est, dans la majorité des cas, impossible de dresser un inventaire successoral précis dans un délai de six ou huit mois7. En effet, il existe plusieurs raisons qui peuvent expliquer l’impossibilité du liquidateur de confectionner l’inventaire successoral dans le délai prévu pour opter prévu à l’article 632 C.c.Q.8. Ces motifs découlent, notamment, des délais liés au droit d’option en matière de liquidation des droits matrimoniaux9, des délais nécessaires pour liquider une succession dans laquelle se trouvent des biens à l’étranger et des délais liés à l’accomplissement des formalités fiscales.

Cela étant dit, nous reconnaissons évidemment que le successible qui n’a pas renoncé à la succession dans le délai prévu ou qui, par négligence, n’a pas demandé au tribunal de remplacer ou de contraindre un liquidateur à agir est présumé avoir accepté la succession, ce qui entraîne la responsabilité aux dettes au-delà de la valeur des biens recueillis [art. 640 et 800 C.c.Q.]. Cependant, soulignons que la sanction prévue par l’article 800 C.c.Q., soit l’obligation des héritiers au paiement des dettes de la succession au-delà de la valeur des biens recueillis, ne s’applique pas automatiquement dès l’expiration du délai de huit mois. En fait, à notre avis, pour que la sanction de l’article 800 C.c.Q. s’applique, il faut la demander et démontrer la réunion des éléments suivants :

  • les héritiers savent que le liquidateur refuse ou néglige de faire inventaire ; et
  • les héritiers négligent eux-mêmes, dans les 60 jours qui suivent l’expiration du délai de délibération de six mois, de procéder eux-mêmes à l’inventaire ou, encore, de demander au tribunal de remplacer le liquidateur ou de lui enjoindre de procéder à l’inventaire [voir les art. 791 et 792 C.c.Q.].

Ainsi, pour que la sanction de l’article 800 C.c.Q. s’applique, il faut démontrer la négligence du liquidateur ainsi que celle des héritiers. Il s’agit ici d’une négligence qui s’apparente à de la mauvaise foi, et non à un liquidateur ou à des successibles qui ne sont pas en mesure d’obtenir toutes les informations requises pour dresser un inventaire10.

Par ailleurs, en pratique, si le liquidateur agit avec diligence, mais qu’il n’est pas en mesure d’obtenir tous les renseignements requis dans le délai de six mois, nous estimons qu’il devrait alors aviser par écrit toutes les parties concernées du retard et des causes l’empêchant de finaliser son inventaire. Il pourra les informer des renseignements qu’il possède actuellement et de ceux qui lui manquent pour terminer de dresser un inventaire complet. Cela rassurera les héritiers et leur démontrera qu’il n’est pas négligent et qu’il ne refuse pas de dresser l’inventaire.

Ainsi, les héritiers n’auront pas à exercer une action contre lui pour éviter d’être eux-mêmes pénalisés par l’article 800 C.c.Q. En bref, nous estimons que le liquidateur qui fournit aux héritiers tous les renseignements et documents pertinents et qui agit avec prudence et honnêteté ne devrait pas être sanctionné pour son défaut de produire un inventaire11.

Précisons aussi que, contrairement au délai d’option qui peut être prolongé12, le législateur n’a prévu aucune disposition qui permet au liquidateur de demander une prolongation de délai pour faire inventaire, ce qui semble logique, puisque le législateur n’a fixé aucun délai pour le confectionner. Ainsi, il est inutile, pour les héritiers et le liquidateur, de demander au tribunal une prolongation de délai pour faire l’inventaire.


1 En doctrine, voir, notamment, Jacques BEAULNE, La liquidation des successions, mis à jour par Michel BEAUCHAMP, « coll. Bleue », Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, no 531 ; Michel BEAUCHAMP, « Chronique – L’inventaire successoral », dans Repères, juin 2014, La référence, EYB2014REP1551.

2 Pour une opinion dans ce sens, voir Jacques AUGER, « Les délais en droit successoral », (2009) Entracte, vol. 18, no 3, p. 5 [« C’est le liquidateur qui est tenu de faire inventaire des biens d’une succession. Même si aucun délai ne lui est expressément imposé pour ce faire, la logique du système veut qu’il y procède avant l’expiration du délai de délibération de six mois parce l’inventaire constitue l’outil principal permettant aux successibles d’exercer le droit d’option. Cela est confirmé par l’article 640 C.c.Q. qui reporte sur le successible l’obligation de procéder à l’inventaire à défaut du liquidateur de le faire avant l’expiration de ce délai. »].

3 EYB 2014-246907, 2014 QCCS 6498 (C.S.).

4 Spengler (Succession de), EYB 2014-246907, 2014 QCCS 6498 (C.S.), par. 35 à 38 [italiques dans le texte].

5Spengler (Succession de), EYB 2014-246907, 2014 QCCS 6498 (C.S.), par. 39.

6 Voir aussi Jacques BEAULNE, La liquidation des successions, mis à jour par Michel BEAUCHAMP, « coll. Bleue », Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, no 535 ; Michel BEAUCHAMP, « La liquidation d’une succession insolvable », dans Développements récents en successions et fiducies (2014), Service de la formation continue du Barreau du Québec, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2014, EYB2014DEV2168 ; Michel BEAUCHAMP, « Chronique – L’inventaire successoral », dans Repères, juin 2014, La référence, EYB2014REP1551.

7 Jacques BEAULNE, La liquidation des successions, mis à jour par Michel BEAUCHAMP, « coll. Bleue », Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, no 535 ; Michel BEAUCHAMP, « Chronique – L’inventaire successoral », dans Repères, juin 2014, La référence, EYB2014REP1551.

8 Jacques BEAULNE, La liquidation des successions, mis à jour par Michel BEAUCHAMP, « coll. Bleue », Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, no 537 ; Michel BEAUCHAMP, « Chronique – L’inventaire successoral », dans Repères, juin 2014, La référence, EYB2014REP1551.

9 Voir les art. 422, 469 et 684 C.c.Q.

10 Voir aussi Jacques BEAULNE, La liquidation des successions, mis à jour par Michel BEAUCHAMP, « coll. Bleue », Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, no 534 ; Michel BEAUCHAMP, « Chronique – L’inventaire successoral », dans Repères, juin 2014, La référence, EYB2014REP1551.

11 Jacques BEAULNE, La liquidation des successions, mis à jour par Michel BEAUCHAMP, « coll. Bleue », Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, no 540 ; Michel BEAUCHAMP, « Chronique – L’inventaire successoral », dans Repères, juin 2014, La référence, EYB2014REP1551. Voir aussi Cormier c. Dazé, ès qualités « Liquidateur à la succession Bujold-Cormier », REJB 2001-23534, J.E. 2001-643 (C.S.), par. 108 et 109 (appel rejeté sur requête, C.A. Montréal, 500-09-010746-014, 28 mai 2001).

12 Selon l’art. 633 C.c.Q., « [l]e successible qui connaît sa qualité et ne renonce pas dans le délai de délibération est présumé avoir accepté, sauf prolongation du délai par le tribunal. Celui qui ignorait sa qualité peut être contraint d’opter dans le délai fixé par le tribunal. Le successible qui n’opte pas dans le délai imparti par le tribulan est présumé avoir renoncé.


Ce commentaire est extrait de l’ouvrage La liquidation et le partage de la succession, 2e édition, collection Commentaires sur le Code civil du Québec.

Il est également disponible sur le service de recherche en ligne La référence.

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About the Author

Michel Beauchamp, notaire à Montréal depuis 1989 au sein de l’étude Beauchamp et Gilbert, notaires, S.E.N.C., concentre sa pratique en droit des personnes physiques et des successions.

Diplômé de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, il est également chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et formateur pour la Chambre des notaires du Québec.

Il est régulièrement appelé à donner des conférences pour la Chambre des notaires, le Barreau du Québec, l’Association du Barreau canadien et pour plusieurs centres hospitaliers.

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