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Les dommages punitifs comme arme de dissuasion massive : Biondi c. Syndicats des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301)

Par Me Shaun Finn, BCF, Avocats d’affaires
Les dommages punitifs comme arme de dissuasion massive : <i>Biondi</i> c. <i>Syndicats des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301)</i>

I. Introduction

Dans l’affaire Biondi c. Syndicats des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301)1, la Cour supérieure envoie un message clair. En matière d’actions collectives, si la conduite d’un défendeur s’avère grave, délibérée et antisociale – tant au moment de la faute que par la suite –, il peut s’attendre à payer des dommages punitifs considérables afin de prévenir une récidive.

II. Le contexte

En 2004, une nouvelle convention collective est imposée par voie d’arbitrage aux membres du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-3010) (le « syndicat »).

Insatisfaits de cette nouvelle convention collective, les membres du syndicat entreprennent des moyens de pression qui ont pour effet « de retarder les opérations de déglaçage des trottoirs et d’épandage d’abrasifs sur la chaussée et les trottoirs dans l’arrondissement Ville-Marie »2.

Ces gestes sont d’ailleurs encouragés par le syndicat lui-même.

Les moyens de pression sont utilisés entre le 5 et le 12 décembre 2004, une période particulièrement inclémente.

La requérante Grace Biondi, qui tombe violemment sur un trottoir glacé durant cette période et subit comme conséquences des ecchymoses, saignements de nez et maux de tête, demande l’autorisation d’exercer une action collective pour le compte de toutes les personnes ayant souffert de préjudices occasionnés par les moyens de pression illégaux.

L’action collective est autorisée par la Cour supérieure en 2005.

Le 3 septembre 2010, la Cour supérieure accueille l’action collective sur le fond3. Outre des dommages compensatoires (à être liquidés individuellement), elle ordonne que le syndicat verse 2 M$ à titre de dommages punitifs aux membres du groupe, et ce, en raison d’atteintes intentionnelles à l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne4.

Commentant le comportement du syndicat et de ses membres, la Cour écrit :

[171] Le Syndicat a-t-il agi en toute connaissance des conséquences immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables que sa conduite pouvait engendrer. La réponse à cette question est oui. Il ne fait aucun doute que le défaut d’entretien des trottoirs du centre-ville pendant une semaine où les conditions climatiques étaient hasardeuses – pluie, neige, verglas – allait entraîner des chutes et, conséquemment des blessures pour de nombreux piétons. Malgré la prévisibilité des conséquences de son geste et faisant fi de l’ordonnance du Conseil des services essentiels, le Syndicat, en toute connaissance de cause, a choisi de saboter le déroulement normal des opérations d’épandage d’abrasifs, faisant ainsi un nombre important de victimes. (Nos soulignements)

La Cour ajoute ce qui suit :

[177] Sans aucun doute, la conduite du Syndicat a été répréhensible à maints égards. Par son comportement téméraire et d’une insouciance inouïe, il a tenu les citoyens de Montréal en otage pendant plus d’une semaine. Il ne s’en est jamais excusé. Bien au contraire. Ses agents et dirigeants ont tenté de justifier leur conduite en pointant du doigt la Ville de Montréal à qui ils attribuent tous les torts. Devant le Tribunal, ils ont affirmé ce qu’il savait être faux, ont nié l’évidence et tu ce qu’ils avaient choisi de ne pas dire. Aucun des témoins n’était crédible.

[178] Le Syndicat a fait fi de la décision du Conseil des services essentiels et s’est inscrit dans l’illégalité en toute connaissance de cause. Il n’a pensé ni aux victimes ni à leur vulnérabilité. Il s’est engagé dans une partie de fier-à-bras avec la Ville sans se soucier des conséquences de ses gestes. (Nos soulignements)

Toutefois, l’ordonnance de dommages punitifs est infirmée en appel puisque le montant des condamnations en dommages compensatoires n’était pas encore connu à l’époque. En effet, selon la Cour d’appel, « [à] l’occasion de l’octroi de dommages punitifs, la capacité de payer du débiteur constitue une donnée importante »5.

L’ordonnance était ainsi prématurée.

III. La décision de la Cour supérieure (l’honorable Grenier)

Maintenant que le processus de recouvrement est essentiellement terminé et que le montant global des réclamations individuelles est connu (du moins, de façon approximative), la question se pose : le syndicat devrait-il être tenu de payer 2 M$ en dommages punitifs, ou plutôt une somme majorée ou moindre ?

La Cour supérieure conclut que le montant initial de 2 M$ demeure approprié dans les circonstances.

Dans son analyse, la Cour tient compte de l’article 1621 C.c.Q., qui prévoit que les dommages punitifs ont « une « fonction préventive » et qu’ils « s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu », entre autres choses.

La Cour tient également compte de la jurisprudence pertinente, dont les arrêts Richard c. Time6 et Cinar Corporation c. Robinson7 de la Cour suprême du Canada. Ces décisions rappellent que la gravité de la faute est le facteur le plus important lorsque vient le temps d’ordonner ou de refuser des dommages punitifs, bien qu’« une myriade d’éléments contextuels » puisse aussi être invoquée à bon escient8. Le comportement du défendeur doit être apprécié dans son ensemble, tant au moment de la faute qu’après sa commission. De plus, les dommages punitifs « sont évalués en fonction des fins auxquelles ils sont utilisés : la prévention, la dissuasion et la dénonciation »9.

Appliquant ces enseignements aux faits de l’espèce, la Cour est d’avis que le comportement du défendeur milite en faveur de dommages punitifs élevés. Elle estime que ce comportement, qu’elle qualifie de grave, délibéré et antisocial, était calculé dans le but de « procurer des avantages stratégiques et politiques en provoquant la Ville [de Montréal] et en s’en prenant aux citoyens de cette ville qui devenaient ainsi les otages d’un chantage politique cynique et impudent [...] »10.

Quant au quantum des dommages punitifs, la Cour se penche sur plusieurs facteurs, dont l’insouciance démontrée par le syndicat :

[25] Le Tribunal est d’avis qu’un effort délibéré doit être consenti pour contrer avec succès la répétition d’événements déplorables et nuisibles au plan social et, vu sous cet angle, la somme de 2 000 000 $ adjugée par le Tribunal en 2010 semble tout à fait appropriée. Les facteurs pris en considération sont : 1) l’extrême gravité de la faute ; 2) l’importance de dommages occasionnés par cette faute ; 3) la capacité de payer du Syndicat (une somme de 3 343 000 $ a été approvisionnée pour faire face à une condamnation éventuelle) ; 4) le fait que la somme des dommages compensatoires soit inférieure à celle qui avait fait l’objet de prévision en 2010 et qu’elle soit assumée pour moitié par la Ville et 5) l’absence d’excuse, le témoignage du représentant du Syndicat indiquant, par son manque de fiabilité et par le ton de provocation qu’on y décèle un refus délibéré de reconnaître le caractère inadmissible des gestes posés par le Syndicat et ses membres en 2007. Aucune excuse n’a été formulée aucun regret n’a été montré à l’égard d’une conduite qui transgresse les règles élémentaires de la vie en société. Cette insouciance est regrettable et ne présage rien de bon. (Nos soulignements)

La Cour refuse cependant de majorer la somme puisque, selon l’arrêt Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, « la nature des dommages-intérêts punitifs n’est pas de compenser la victime, mais d’arrêter un montant à titre préventif dont la quotité ne peut être déterminée avant le jugement »11. Il serait donc illogique que ces dommages portent intérêts rétroactivement.

IV. Commentaire

Le message de l’affaire Biondi est clair et se résume facilement : dans une action collective, comme dans toute autre poursuite, une atteinte illicite et intentionnelle à la Charte québécoise peut inviter une ordonnance de dommages punitifs. Comme les dommages punitifs jouent un rôle dissuasif, l’ampleur de cette ordonnance sera influencée par plusieurs considérations dont la gravité de la faute, le préjudice subi, la capacité de payer du défendeur, le montant des dommages compensatoires et l’absence d’excuse. Sera particulièrement outrageant pour un tribunal un état d’esprit insouciant qui ne démontre aucune empathie que ce soit. Mais ce n’est pas uniquement le comportement et l’attitude du défendeur au moment de la faute qui entrent en ligne de compte. Les gestes qu’il pose par la suite sont tout aussi pertinents. Afin de décider si un défendeur mérite une dissuasion ou une dénonciation exemplaire, une analyse globale de ses agissements est nécessaire. Pour cette raison, une simple expression de regret, si elle est jugée sincère, peut mitiger les effets d’une ordonnance de dommages punitifs et aider à rehausser l’image publique du défendeur.


1 2016 QCCS 83
2 Biondi c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), 2005 CanLII 46360, par. 1.
3 Biondi c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), 2010 QCCS 4073.
4 RLRQ, c. C-12 [Charte québécoise].
5 Montréal (Ville de) c. Biondi, 2013 QCCA 404, par. 145 (j. Rochette).
6 [2012] 1 R.C.S. 265.
7 [2013] 3 R.C.S. 1168.
8 Supra, note 6, par. 200.
9 Supra, note 7, par. 136.
10 Supra, note 1, par. 23.
11 2009 QCCA 2201, par. 152 (nos soulignements).

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About the Author

Shaun E. Finn

Shaun E. Finn
Avocat, BCF, Avocats d’affaires

Shaun E. Finn est un avocat du service montréalais du litige de BCF et coresponsable de l'équipe stratégique en défense d’actions collectives du cabinet. Sa pratique comprend des dossiers complexes en litige commercial et en actions collectives.

Après avoir été stagiaire et auxiliaire juridique à la Cour d’appel du Québec, en 2004, Me Finn a plaidé au Tribunal administratif du Québec, à la Cour municipale, au Tribunal canadien du commerce extérieur, à la Cour supérieure du Québec, à la Cour d’appel du Québec, et à la Cour d’appel fédérale.

Dans le cadre de son travail en actions collectives, Me Finn a représenté des sociétés et institutions défenderesses dans les secteurs de la responsabilité de produits, des sinistres collectifs, de la protection des consommateurs, du respect de la vie privée et des valeurs mobilières. Il a été cité par divers tribunaux, dont la Cour supérieure du Québec, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada. Il a également été interviewé par Law Times, Investment Executive et par National pour faire valoir son point de vue sur les tendances nationales en matière d’actions collectives.

Me Finn a écrit deux ouvrages portant sur le recours collectif :

Recours singulier et collectif : Redéfinir le recours collectif comme procédure particulière
(Montréal : Yvon Blais, 2011)

Class Actions in Quebec: Notes for Non-residents
(Montréal : Carswell, 2014)

Il prépare actuellement une deuxième édition de Recours singulier et collectif, dont la publication est prévue au printemps de 2016.

Me Finn est auteur collaborateur de Defending Class Actions in Canada (2e, 3e et 4e éd.) et a publié plusieurs articles juridiques dans la Revue du Barreau canadien, le Revue canadienne des recours collectifs, la Revue générale de droit, Développements récents, Class Action Defence Quarterly, La référence et le blogue juridique des Éditions Yvon Blais (une société Thomson Reuters).

Me Finn enseigne également en matière d’actions collectives à la Faculté de droit de l’Université McGill à titre de chargé de cours.

Me Finn est titulaire d’un B.C.L. et d’un LL.B. de l’Université McGill, ainsi que d’un LL.M de l’Université Laval. Avant ses études en droit, il a obtenu un B.A en Société et culture occidentales au Liberal Arts College de l’Université Concordia, et a terminé des études de cycle supérieur en journalisme (Dip. Journ.) et en littérature anglaise (M.A.).