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Option Consommateurs c. Banque Nationale du Canada : Le « reliquat » et sa pertinence dans le cadre d’une entente visant à régler un recours collectif

Par Shaun Finn, BCF, Avocats d’affaires
Option Consommateurs c. Banque Nationale du Canada : Le « reliquat » et sa pertinence dans le cadre d’une entente visant à régler un recours collectif

 

I. Introduction

Dans le cadre d’un règlement de recours collectif, si la partie défenderesse est en mesure de chiffrer le montant global qui est dû aux membres du groupe et procède directement au paiement de ceux-ci, toute balance ou somme excédentaire sera considérée un « reliquat » et sera redevable, en partie, au Fonds d’aide aux recours collectifs (le « Fonds »). Voilà un des enseignements qui se dégage de la décision Option consommateurs c. Banque Nationale du Canada1.

II. Les faits

En 2003, six recours collectifs sont déposés à l’encontre d’institutions financières alléguant différents manquements à la Loi sur la protection du consommateur, y compris l’imposition prétendument illégale de frais d’avance de fonds pour des transactions conclues au Canada ou à l’étranger.

La requérante, Option Consommateurs, s’entend avec la Banque Nationale du Canada (la « Banque ») afin de régler deux de ces recours collectifs.

Selon l’entente de règlement, la Banque s’engage à verser une somme globale de 4 millions $ qui ira à indemniser les membres de groupes et à couvrir tous les frais d’administration et d’avis.

L’indemnisation en question n’exige aucune démarche de la part des membres. Comme ces derniers sont pour la plupart des clients actifs de la Banque, un crédit sera directement versé dans leurs comptes.

De plus, l’entente de règlement prévoit que toute « somme excédentaire » (i.e., toute somme qui, pour des raisons de troncature ou de logistique, ne peut être versée aux comptes admissibles) sera remise au Fonds.

L’entente de règlement prévoit également une « indemnité indirecte » de 30 000 $ pour Option Consommateurs et de 10 000 $ pour Pro Bono Québec, un organisme à but non lucratif offrant des services juridiques gratuits.

Pour sa part, le Fonds s’objecte au règlement.

Dans un premier temps, le Fonds estime que l’entente de règlement envisage une forme de recouvrement collectif2. Selon lui, toutes sommes qui ne sont pas réclamées ou distribuées dans le cadre d’un recouvrement collectif constituent, non pas des sommes excédentaires, mais plutôt un « reliquat ».

Or, le législateur a mis en place un régime règlementaire qui précise le pourcentage du reliquat qui peut être exigé par le Fonds3. Ce régime est impératif et ne peut être contourné de façon conventionnelle.

Dans un second temps, le Fonds prétend que l’indemnité indirecte qui serait versée à Pro Bono Québec fait aussi partie du reliquat et ne peut échapper aux exigences impératives de la règlementation.

III. La décision (L’honorable Chantal Corriveau)

Dans son raisonnement, le tribunal reconnaît l’importance « d’être vigilant dans le cadre de l’approbation de transaction afin de s’assurer du respect de la loi et des règlements dans toutes leurs composantes »4. Il reconnaît aussi « qu’une transaction ne doit être rédigée et conçue afin de contourner la loi »5.

Adoptant l’analyse préconisée par le Fonds, le tribunal conclut que le versement direct d’un montant déterminé aux membres est un recouvrement collectif et que « [l’]accumulation de sommes non déposées, résultant de la transaction, constitue dans les faits bel et bien un reliquat »6.

Toutefois, comme l’entente de règlement prévoit que toute somme excédentaire (et donc tout reliquat) ira au Fonds, le tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir à cet égard.

Quant aux indemnités indirectes, le tribunal qualifie ces versements de reliquats au sens de l’article 1034 C.p.c., lesquels sont donc « soumis à un prélèvement par le Fonds »7. Il ajoute qu’il s’agit de montants « destinés aux membres ne pouvant leur être versés »8.

Le tribunal décide ainsi de suspendre l’homologation de l’entente de règlement et de « laisser aux parties le soin de renégocier les termes de leur transaction afin que celle-ci respecte les dispositions législatives »9.

IV. Commentaire de l’auteur

Les recours collectifs aboutissent souvent à une entente de règlement. La raison d’être d’une telle entente est, pour la partie demanderesse, d’obtenir une indemnisation suffisante pour les membres du groupe et, pour la partie défenderesse, de mettre fin définitivement au litige sans admission de responsabilité et en échange d’une somme raisonnable. Pourtant, les parties ne sont pas seules dans leurs démarches. Elles doivent également se soucier du tribunal et du Fonds, qui peut avoir son mot à dire. La décision commentée souligne l’importance de qualifier un règlement selon les conceptions consacrées du Code de procédure civile. Bien que la transaction en cause soit principalement un mécanisme de paiement direct plutôt qu’un recouvrement collectif au sens classique, le tribunal a néanmoins conclu que les parties ne pouvaient pour autant innover et écarter la loi applicable. Cette approche formaliste rappelle l’importance : i) de bien identifier le ou les mode(s) de recouvrement prévu par la convention et ses/leurs conséquences règlementaires; ii) de communiquer avec le Fonds préalablement; et iii) d’obtenir ses commentaires écrits avant le processus d’homologation. Autrement, le tribunal pourrait toujours, suite à l’invitation du Fonds ou de son propre chef, suspendre la procédure ou encore refuser d’entériner le règlement. Les conséquences d’un tel refus seraient importantes pour les parties, les membres du groupe et même le système judiciaire, qui favorise les règlements et qui retient la proportionnalité comme principe directeur10.


1 2015 QCCS 4380.
2 Art. 1031 C.p.c.
3 Règlement sur le pourcentage prélevé par le Fonds d’aide aux recours collectifs, RLRQ, c. R-2.1, r. 2.
4 Supra note 1 au par. 25.
5 Ibid au par. 32.
6 Ibid au par. 36.
7 Ibid au par. 55.
8 Ibid.
9 Ibid au par. 64.
10 Art. 4.2 C.c.Q.

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© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.

About the Author

Shaun E. Finn

Shaun E. Finn
Avocat, BCF, Avocats d’affaires

Shaun E. Finn est un avocat du service montréalais du litige de BCF et coresponsable de l'équipe stratégique en défense d’actions collectives du cabinet. Sa pratique comprend des dossiers complexes en litige commercial et en actions collectives.

Après avoir été stagiaire et auxiliaire juridique à la Cour d’appel du Québec, en 2004, Me Finn a plaidé au Tribunal administratif du Québec, à la Cour municipale, au Tribunal canadien du commerce extérieur, à la Cour supérieure du Québec, à la Cour d’appel du Québec, et à la Cour d’appel fédérale.

Dans le cadre de son travail en actions collectives, Me Finn a représenté des sociétés et institutions défenderesses dans les secteurs de la responsabilité de produits, des sinistres collectifs, de la protection des consommateurs, du respect de la vie privée et des valeurs mobilières. Il a été cité par divers tribunaux, dont la Cour supérieure du Québec, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada. Il a également été interviewé par Law Times, Investment Executive et par National pour faire valoir son point de vue sur les tendances nationales en matière d’actions collectives.

Me Finn a écrit deux ouvrages portant sur le recours collectif :

Recours singulier et collectif : Redéfinir le recours collectif comme procédure particulière
(Montréal : Yvon Blais, 2011)

Class Actions in Quebec: Notes for Non-residents
(Montréal : Carswell, 2014)

Il prépare actuellement une deuxième édition de Recours singulier et collectif, dont la publication est prévue au printemps de 2016.

Me Finn est auteur collaborateur de Defending Class Actions in Canada (2e, 3e et 4e éd.) et a publié plusieurs articles juridiques dans la Revue du Barreau canadien, le Revue canadienne des recours collectifs, la Revue générale de droit, Développements récents, Class Action Defence Quarterly, La référence et le blogue juridique des Éditions Yvon Blais (une société Thomson Reuters).

Me Finn enseigne également en matière d’actions collectives à la Faculté de droit de l’Université McGill à titre de chargé de cours.

Me Finn est titulaire d’un B.C.L. et d’un LL.B. de l’Université McGill, ainsi que d’un LL.M de l’Université Laval. Avant ses études en droit, il a obtenu un B.A en Société et culture occidentales au Liberal Arts College de l’Université Concordia, et a terminé des études de cycle supérieur en journalisme (Dip. Journ.) et en littérature anglaise (M.A.).