Skip to content

À la suite de l’incendie d’un restaurant, l’assureur est tenu d’indemniser l’assurée pour des revenus non déclarés au fisc

Résumé de décision : Eggsotique Café inc. c. Promutuel Lanaudière, société mutuelle d'assurances générales EYB 2015-247445 (C.S., 28 janvier 2015)
À la suite de l’incendie d’un restaurant, l’assureur est tenu d’indemniser l’assurée pour des revenus non déclarés au fisc

France Corbeil (Corbeil) a fait l'acquisition d'un immeuble afin d'y ouvrir un restaurant. Elle a ainsi mis sur pied l'entreprise de restauration assurée. Quelques années plus tard, un incendie d'origine criminelle est survenu dans le restaurant. L'assureur ayant refusé leur réclamation, Corbeil et l'assurée requièrent le paiement de l'indemnité d'assurance due en raison du sinistre et des dommages moraux. L'assureur, de son côté, se porte demandeur reconventionnel et, alléguant que Corbeil est impliquée dans l'incendie, il lui réclame le remboursement des sommes versées à l'ancien propriétaire de l'immeuble et créancier hypothécaire qui était partie au même contrat d'assurance.

Les caméras de surveillance ont permis de découvrir que deux individus non identifiables avaient mis le feu au restaurant. Il semble également que le système d'alarme n'aurait pas été activé, qu'il n'y avait pas de trace d'effraction et que les lieux étaient familiers aux incendiaires. C'est sur ces éléments que l'assureur s'appuie pour confirmer l'implication de Corbeil. Or, il existe une tout autre possibilité qu'il s'est contenté d'écarter. Il ressort de la preuve que Corbeil s'est aperçue, quelques jours avant l'incendie, qu'il manquait de l'argent dans la petite caisse. Après avoir regardé les enregistrements des caméras de surveillance, elle s'est rendu compte que trois employés responsables de faire le ménage de nuit, soit deux frères et la conjointe de l'un d'eux, commettaient des vols. Elle a porté plainte à la police et a confronté un des voleurs. La veille du sinistre, une entente de remboursement est intervenue avec un des employés fautifs. Celui-ci avait la clé de l'établissement, connaissait bien les lieux et le code du système d'alarme. Il avait également des antécédents criminels pour vol et recel. Ainsi, les éléments retenus contre Corbeil pour prouver son implication peuvent tout aussi bien s'appliquer à lui.

L'assureur reproche à Corbeil son manque de collaboration. Plusieurs allégations contenues dans la défense sont cependant inexactes, notamment quant au fait qu'elle ne se serait pas présentée au restaurant le jour de l'incendie et qu'elle aurait refusé de passer le test du polygraphe. Elle a, en fait, dans un premier temps, accepté de se soumettre à un tel test, mais a finalement reçu des instructions de son avocat lui suggérant de refuser. En outre, le témoignage de l'enquêteur de l'assureur est parsemé de contradictions, en particulier quant à l'aspect concernant les visites des lieux qu'il aurait faites en présence de Corbeil.

La situation financière précaire de l'assurée est un élément plus déterminant soulevé par l'assureur. Il appert, toutefois, que Corbeil était convaincue de pouvoir redresser la situation. Dans les mois et les semaines qui ont précédé l'incendie, elle avait réduit le nombre d'employés, embauché une gérante et mis en place des stratégies de marketing. Elle avait également passé une commande de bières et acheté des caisses d'encre la veille. Ces gestes concordent mal avec la planification d'un incendie. L'argument de l'assureur voulant qu'elle fût la seule à avoir un avantage à ce que le sinistre survienne est mal fondé. Le restaurant était son seul gagne-pain. Même si elle avait reçu l'indemnité d'assurance en temps opportun, elle aurait quand même dû vendre l'immeuble dans lequel se trouvait le restaurant pour pouvoir rembourser son institution financière. La seule personne qui semble avoir tiré un certain bénéfice de toute cette malheureuse affaire est l'ancien propriétaire et créancier hypothécaire qui a racheté l'immeuble lors de sa vente en justice, l'a revendu et a obtenu le paiement de sa créance et l'indemnisation de l'assureur.

Somme toute, l'assureur n'a pas réussi à prouver que Corbeil est responsable de l'incendie. Les circonstances qu'il a soulevées ne constituent pas des présomptions graves, précises et concordantes. La possibilité qu'un des employés pris en flagrant délit ait agi par esprit de vengeance est beaucoup plus probable. L'assureur est donc tenu d'indemniser l'assurée.

Corbeil a perdu sa seule source de revenus. Il lui est alors devenu impossible de s'acquitter de ses obligations financières. Elle n'a pas pu débourser les sommes nécessaires à la remise en état du restaurant ou à la réparation des équipements endommagés. La situation aurait été bien différente, n'eût été le refus de mauvaise foi d'indemniser de l'assureur. Les équipements ayant disparu, ils ne peuvent plus être réparés. C'est l'assureur qui est responsable de cet état de fait. Contrairement à ce qu'il voudrait, ce n'est pas que le coût des réparations admis à la somme de 337 872 $ qu'il doit verser, mais bien la valeur de remplacement des équipements, soit 526 872 $. Un montant de 322 942,75 $, correspondant à la valeur des améliorations locatives et la somme de 1 950 $ pour la perte de documents importants sont également dus à l'assurée.

Les experts comptables des deux parties ont admis l'existence de revenus non déclarés de 201 404 $. Sur la base de ces revenus, la perte de l'assurée a été calculée à 192 070 $ pour douze mois. De ce montant doivent toutefois être soustraits les montants des taxes fédérales et provinciales qui n'auraient pas dû être comptabilisés. La valeur de la perte est donc de 178 267 $. Comme il ne s'agit pas de revenus provenant d'activités illégales, l'assurée a droit au remboursement de cette somme. S'il y a lieu, c'est aux gouvernements concernés que revient le pouvoir de prendre les mesures considérées comme appropriées. La police d'assurance mentionne que l'indemnisation est basée sur la perte de bénéfice brut. À aucun endroit, il n'est indiqué que le calcul de cette perte serait restreint aux montants inclus dans les états financiers. L'obligation de l'assurée se limite à la tenue comptable des informations nécessaires à l'appréciation des dommages par l'assureur, ce qui, en l'espèce, a été fait à la satisfaction de l'expert mandaté par celui-ci. La police précise également que la durée maximum de la période d'indemnisation est de douze mois consécutifs. Puisque l'assureur a attendu cinq mois avant d'aviser l'assurée de son refus de l'indemniser et qu'il a été impossible de rouvrir le restaurant par sa faute, la perte de revenus doit être calculée en fonction de la durée maximale prévue à la police. Ainsi, c'est un montant total de 1 030 031,75 $ que l'assureur est condamné à verser à l'assurée.

Le sinistre et le refus injustifié de l'assureur d'indemniser l'assurée ont été la cause des multiples difficultés rencontrées par Corbeil. Elle a dû accepter des paniers de nourriture afin de faire vivre ses trois enfants mineurs. Une indemnisation rapide lui aurait évité de nombreux tracas et elle n'aurait peut-être pas perdu son immeuble. En réparation des dommages moraux subis, un montant de 10 000 $ lui est accordé.

Pour ces motifs, l'assureur est condamné à payer 1 030 031,75 $ à l'assurée et 10 000 $ à Corbeil.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

Ouvrir une session | Demander un essai gratuit

Également d’intérêt
© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.