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L’assurance des copropriétés divises : nouvelles règles applicables à partir du 13 décembre 2018… et de nombreux questionnements

Me Clément Lucas, de Grandpré Joli-Cœur
L’assurance des copropriétés divises : nouvelles règles applicables à partir du 13 décembre 2018… et de nombreux questionnements

Bien que peu d’articles y soient consacrés dans le Code civil du Québec, l’assurance en copropriété divise comporte bien des particularités1. Il s’agit d’un domaine d’activité en soi.

La législation actuelle n’est pas parfaite. Les objectifs fixés par le législateur, lors de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, à savoir : « éviter les problèmes juridiques et pratiques liés aux assurances insuffisantes, à la responsabilité des réparations en cas de sinistre, aux conflits entre experts relativement à l’évaluation du préjudice, etc. »2, n’ont malheureusement pas été pleinement atteints.

D’aucuns avaient appelé à une réforme globale de la copropriété divise, incluant le volet des assurances3. Cet appel a été partiellement entendu puisqu’à la toute fin de la dernière session parlementaire, une loi a été adoptée et sanctionnée le 13 juin 20184, dont un volet a trait à l’assurance des copropriétés divises5.

La quasi-totalité de ces dispositions voit son entrée en vigueur conditionnée à l’adoption d’un ou plusieurs règlements par le gouvernement6. Toutefois, et pour certaines d’entre elles, la date d’entrée en vigueur est d’ores et déjà connue, à savoir le 13 décembre 2018.

Ainsi, quatre nouveaux articles seront insérés au Code civil du Québec et applicables, dès cette date, aux sinistres qui surviendraient dans le contexte d’une copropriété divise. Ces articles se lisent comme suit :

« 1074.1 Lorsque survient un sinistre mettant en jeu la garantie prévue par un contrat d’assurance de biens souscrit par le syndicat et que celui-ci décide de ne pas se prévaloir de cette assurance, il doit avec diligence voir à la réparation des dommages causés aux biens assurés.

Le syndicat qui ne se prévaut pas d’une assurance ne peut poursuivre les personnes suivantes pour les dommages pour lesquels, autrement, il aurait été indemnisé par cette assurance :

  1. un copropriétaire;
  2. une personne qui fait partie de la maison d’un copropriétaire;
  3. une personne à l’égard de laquelle le syndicat est tenu de souscrire une assurance en couvrant la responsabilité. »

« 1074.2 Les sommes engagées par le syndicat pour le paiement des franchises et la réparation du préjudice occasionné aux biens dans lesquels celui-ci a un intérêt assurable ne peuvent être recouvrées des copropriétaires autrement que par leur contribution aux charges communes, sous réserve des dommages-intérêts qu’il peut obtenir du copropriétaire tenu de réparer le préjudice causé par sa faute.

Est réputée non écrite toute stipulation qui déroge aux dispositions du premier alinéa. »

« 1074.3 Lorsque des assurances contre les mêmes risques et couvrant les mêmes biens ont été souscrites séparément par le syndicat et un copropriétaire, celles souscrites par le syndicat constituent des assurances en première ligne. »

« 1075.1 Un assureur ne peut, malgré l’article 2472, être subrogé dans les droits de l’une des personnes suivantes à l’encontre d’une autre de celles-ci :

  1. le syndicat;
  2. un copropriétaire;
  3. une personne qui fait partie de la maison d’un copropriétaire;
  4. une personne à l’égard de laquelle le syndicat est tenu de souscrire une assurance couvrant la responsabilité.

Il est fait exception à cette règle lorsqu’il s’agit d’un préjudice corporel ou moral ou que le préjudice est dû à une faute intentionnelle ou à une faute lourde. »

Ces articles frappent par leur spécificité, par rapport aux règles générales applicables en matière d’assurance :

  • tout assuré a l’obligation légale de déclarer à son assureur tout sinistre de nature à mettre en jeu la garantie, dès qu’il en a connaissance7
  • tout intéressé peut faire cette déclaration8

Dans le contexte d’une copropriété divise, ces règles s’étaient traduites de la façon suivante : un syndicat assuré, aux termes de la police d’assurance qu’il a l’obligation de souscrire légalement9, doit déclarer à son assureur tout sinistre pouvant avoir endommagé des parties communes ou des parties privatives10. Tout intéressé, incluant le copropriétaire sinistré, pouvait effectuer cette déclaration en lieu et place du syndicat, advenant que celui-ci refuse de le faire11.

Toutefois, cette réalité juridique s’arrimait mal avec la réalité du marché de l’assurance en copropriété divise, aux prises avec une diminution du nombre d’assureurs et une augmentation généralisée des primes et des franchises. Dans ce contexte, plusieurs syndicats se retrouvaient pris « entre l’arbre et l’écorce ». De par la Loi, ils étaient tenus de déclarer tout sinistre, tout en devant gérer adéquatement les finances du syndicat et notamment éviter d’aggraver indûment l’accroissement des primes d’assurance.

Le législateur semble donc, avec l’article 1074.1, avoir créé la possibilité pour le syndicat de ne pas se prévaloir de la garantie d’assurance. Cette possibilité doit, toutefois, être mise en lien avec l’article 2470 du Code civil du Québec. En d’autres termes, le syndicat sera toujours, à notre avis, tenu de déclarer le sinistre à son assureur. Il ne sera toutefois pas tenu de réclamer l’application des garanties. La distinction a toute son importance.

Dans un tel cas, le syndicat devra, en quelque sorte, se comporter comme son propre assureur en veillant, avec diligence, à la réparation des dommages causés aux biens assurés. Également et à la seule lecture de l’article 1074.1, on semble comprendre que le syndicat n’aura plus aucun recours contre un copropriétaire et une personne faisant partie de sa maison12. Une troisième catégorie de personnes est exclue, à savoir les personnes à l’égard desquelles le syndicat est tenu de souscrire une assurance couvrant leur responsabilité, ce qui inclut les administrateurs, les officiers d’assemblée et le gérant.

Toutefois, l’article suivant, soit l’article 1074.2, semble indiquer quelque chose de contradictoire, préservant au syndicat le droit d’obtenir d’un copropriétaire des dommages-intérêts pour le préjudice causé. Cette réserve vise non seulement les sommes engagées par le syndicat pour le « paiement des franchises »13, mais également la « réparation du préjudice occasionné au bien dans lequel celui-ci a un intérêt assurable ».

Il est difficile, à ce stade-ci, de savoir ce que recouvre cette dernière formulation. On pense, par exemple, au cas d’une exclusion stipulée dans la police d’assurance du syndicat. Est-ce qu’elle s’étend au cas des sommes dépensées par un syndicat, advenant que celui-ci ait choisi de ne pas réclamer le bénéfice des garanties stipulées au contrat d’assurance ? C’est pour le moment l’inconnu. Chose certaine, soit il y a une contradiction entre les articles 1074.1 et 1074.2, que seule la jurisprudence va permettre d’aplanir, soit ces articles sont une incitation pour tout syndicat à réclamer à son assureur, ce qui semble aller à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur! En effet, en cas de réclamation, le syndicat aura plus de droits de recours que s’il choisit de ne pas réclamer.

L’article 1075.1 a, quant à lui, trait au recours subrogatoire de l’assureur. Là encore, en dérogeant, à notre avis, au droit commun de l’assurance, ce recours est fortement limité. L’article 1075.1 ne parlant que de « l’assureur », sans précisions, on peut penser que tant l’assureur d’un copropriétaire que l’assureur d’un syndicat sont visés. Le recours subrogatoire de ceux-ci est exclu à l’égard du syndicat, d’un copropriétaire, d’une personne faisant partie de sa maison et d’une personne à l’égard de laquelle le syndicat est tenu de souscrire une assurance en couvrant la responsabilité.

Ainsi, le législateur vise à mettre un terme à un débat qui avait cours quant à savoir si le copropriétaire était assimilable à un assuré aux termes de la police d’assurance du syndicat, dans la mesure où ce copropriétaire participe avec les autres au paiement de la prime d’assurance. Ce débat semble toutefois avoir été largement réglé par une décision récente de la Cour supérieure, rendue quelques jours après l’adoption de la Loi14. Cependant, le recours demeure légalement ouvert en cas de préjudice corporel ou moral et en cas de faute intentionnelle ou de faute lourde. Étonnamment, on ne trouve pas la même réserve à l’article 1074.2. En outre, on ne voit pas pourquoi l’assureur du copropriétaire se trouverait dans la même situation que celui du syndicat. Le syndicat ne paie pas la prime d’assurance des copropriétaires. Il n’est pas assimilable à un assuré sur la police de ceux-ci15.

Bref, cette réforme partielle laisse beaucoup de questions en suspens. Il est fort probable que les tribunaux devront les examiner, à moins que le législateur ne bonifie l’exercice rapidement.


1.Yves JOLI-CŒUR et Clément LUCAS, « Les particularités de l’assurance en copropriété divise », dans : Développements récents en droit de la copropriété divise (2016), Barreau du Québec, Service de la formation continue, à la page 5.
2.Commentaires du ministre de la Justice, Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, c. 57.
3. Yves JOLI-CŒUR, La copropriété divise : une réforme s’impose ! Comment assurer la pérennité des immeubles et la protection des copropriétaires, 2017, Wilson & Lafleur, p. 45 et s.
4. Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières (ci-après appelée la « Loi »), L.Q. 2018, c. 23.
5. Art. 636 à 653 de la Loi.
6. Art. 814 de la Loi.
7. Art. 2470, C.c.Q.
8. Ibid.
9. Art. 1073, C.c.Q.
10. Pourvu que les dommages affectent plus que des améliorations à celles-ci.
11. Nadkarni c. Syndicat des copropriétaires du 2237 Madison, 2014 QCCS 6231 (CanLII); voir plus particulièrement les paragraphes 30 et s.
12. Un parallèle avec l’alinéa 2 de l’article 2474 du Code civil du Québec semble ici avoir été fait.
13. Ce qui implique nécessairement qu’une réclamation a été faite auprès de l’assureur du syndicat.
14. Compagnie d’assurance Missisquoi c. Aviva Canada inc., 2018 QCCS 2760 (CanLII).
15. En France, une convention existe afin d’assurer le règlement rapide des services et notamment d’aborder la question de la subrogation entre assureurs dans les sinistres de faible importance; à ce sujet, voir : Yves JOLI-CŒUR, La copropriété divise : une réforme s’impose ! Comment assurer la pérennité des immeubles et la protection des copropriétaires, précité note 3, p. 74.

 

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À propos de l'auteur

Me Clément Lucas est avocat associé au sein du cabinet De Grandpré Jolicoeur s.e.n.c.r.l. (DJC).

Il représente et conseille dans les divers domaines du droit immobilier et notamment en droit de la copropriété divise ou indivise. Il intervient tant devant les différentes instances judiciaires que les instances d’arbitrage qui sont un important volet de pratique en  copropriété.

Me Clément Lucas est également arbitre notamment en copropriété et dans le cadre des arbitrages de plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (GAMM). Il est également accrédité par l’Institut de médiation et d’arbitrage du Québec (IMAQ) et par le Ministère de la justice du Québec (MJQ).

Me Clément Lucas agit occasionnellement comme avocat-conseil dans le cadre de procédures d’appel ou nécessitant une expertise en droit immobilier et spécialement en droit de la copropriété divise ou indivise. Il agit également comme maître de stage et mentor auprès de ses pairs et anime à cet égard les formations internes. Il agit également comme formateur ou présentateur à l’externe pour la magistrature, le public, les membres d’autres ordres professionnels.

À cet égard, il a dispensé de la formation ou effectué des présentations devant certains Tribunaux, l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec, la Chambre d’assurance de dommages, le Barreau du Québec et à présent l’Association du Barreau Canadien. Les formations données portent ou ont porté sur divers sujets et notamment celui de l’assurance en copropriété divise, la médiation et l’arbitrage en copropriété ou encore la planification des grands travaux en copropriété.

Il est l’auteur ou le co-auteur de divers ouvrages et articles de doctrine, dont la chronique mensuelle des Actualités juridiques en copropriété.