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Excès de vitesse constaté par un cinémomètre photographique fixe : une preuve inadmissible et illégale

Résumé de décision : Québec (Directeur des poursuites criminelles et pénales) c. Bove, EYB 2016-273381 (C.Q., 28 novembre 2016)
Excès de vitesse constaté par un cinémomètre photographique fixe : une preuve inadmissible et illégale

Le poursuivant reproche à la défenderesse d'avoir circulé à une vitesse de 141 km/h dans une zone de 70 km/h, commettant ainsi l'infraction prévue à l'article 329 du Code de la sécurité routière (C.s.r.). Lors de l'instruction, rendue au stade des plaidoiries, le poursuivant demande la permission de retirer le constat d'infraction en vertu de l'article 12 du Code de procédure pénale (C.p.p.). La défenderesse s'oppose à la demande de retrait du poursuivant et demande un acquittement.

L'article 12 C.p.p. reconnaît que le pouvoir de retirer un constat d'infraction est un élément essentiel à l'exercice judicieux de la discrétion de poursuivre conférée à un poursuivant. Ce dernier se doit de tenir compte de tous les éléments antérieurs et postérieurs à la délivrance d'un constat d'infraction lorsqu'il décide de maintenir ou non une poursuite pénale. De plus, tout au long du processus judiciaire, le poursuivant doit demeurer objectif et maintenir une ouverture d'esprit afin d'éviter les erreurs judiciaires. Cette discrétion du poursuivant est d'autant plus importante que, désormais, un agent de la paix ou une personne chargée de l'application d'une loi peut amorcer le processus judiciaire en signifiant un constat d'infraction, et ce, sans un contrôle préalable du poursuivant. Avant l'instruction, le poursuivant jouit d'une totale discrétion pour retirer tout constat d'infraction. L'exercice de cette discrétion ne peut être révisé par un tribunal à moins que l'on se retrouve dans un cas d'abus de procédure. Cependant, une fois que l'instruction a débuté, le poursuivant se doit d'obtenir la permission du tribunal. À ce stade, ce n'est qu'exceptionnellement qu'un retrait doit être autorisé pour ne pas fausser l'équité procédurale. Cela dit, devant une demande de retrait, le tribunal se doit de tenir compte d'un ensemble de facteurs, tout en se rappelant que chaque cas est un cas d'espèce. Le tribunal doit d'abord soupeser le motif invoqué par le poursuivant. Par exemple, s'agit-il d'un motif d'ordre humanitaire, d'un motif lié à l'absence d'un témoin, d'un motif lié à une considération purement technique ou procédurale ? Ensuite, le tribunal doit considérer le moment où est formulée la demande de retrait. Cette demande survient-elle lors de la présentation de la preuve à charge après qu'un fait nouveau eut été révélé par un témoin ? Aussi, le tribunal doit considérer l'intérêt de la justice et analyser l'utilité de continuer ou non le procès, ainsi que le risque de préjudice que peut subir un défendeur. Finalement, le tribunal doit bien sûr tenir compte du consentement ou non du défendeur.

Dans la présente affaire, on ne peut permettre au poursuivant de retirer le constat d'infraction. D'une part, la demande est formulée tardivement. Le poursuivant avait l'occasion d'agir plus tôt. En effet, il a eu l'opportunité d'entendre le contre-interrogatoire de l'agente Fleurançois et a eu le bénéfice de s'entretenir avec celle-ci avant de déclarer sa preuve close. En agissant ainsi, il indiquait qu'il était satisfait de sa preuve. D'autre part, le poursuivant ajoute dans son argumentation écrite qu'il demande la permission de retirer le constat d'infraction en raison de l'incapacité de l'agente Fleurançois de confirmer la présence d'un panneau de signalisation limitant la circulation routière à 70 km/h lors de l'infraction. Or, lors des plaidoiries verbales, le poursuivant basait sa demande sur l'ensemble du témoignage de l'agente Fleurançois. Enfin, puisque le dossier est apparu sur le rôle à six reprises, que la défenderesse a retenu les services d'avocats pour la représenter et qu'un procès avec audition de témoin a eu lieu, nous considérons qu'une saine administration de la justice milite en faveur d'une décision sur le fond, d'autant que la demande de retrait semble motivée par le fait d'empêcher le tribunal d'examiner la prétention de la défenderesse selon laquelle la preuve en matière de cinémomètre photographique fixe est basée sur une preuve par ouï-dire illégale et inadmissible.

La défenderesse doit-elle être acquittée de l'infraction reprochée ? Il y a lieu de répondre à cette question par l'affirmative.

Dans le but de changer le comportement des conducteurs en matière de vitesse, les différents législateurs provinciaux ont introduit l'utilisation des cinémomètres photographiques. Cet appareil, fixe ou mobile, permet de prendre et d'enregistrer la localisation ainsi que la vitesse d'un véhicule au moment de la captation d'une image. En vue d'en faciliter la poursuite, le législateur québécois a créé une présomption d'exactitude, à défaut de toute preuve contraire, concernant l'image obtenue, la vitesse enregistrée, les informations relatives à la plaque d'immatriculation du véhicule, l'endroit, l'heure et la date à laquelle l'image a été captée.

En l'espèce, le poursuivant a fait la preuve que la défenderesse est la propriétaire du véhicule capté par le cinémomètre photographique. En effet, le certificat émanant de la Société de l'assurance automobile du Québec respecte les conditions prévues à l'article 67 C.p.p. et démontre qu'au moment de l'infraction, la défenderesse est la propriétaire du véhicule capté par le cinémomètre photographique. La preuve du poursuivant démontre en outre que le constat d'infraction a été transmis à la défenderesse dans le délai prescrit par l'article 592.1 C.s.r. (30 jours suivant la date de la commission de l'infraction). Par contre, le poursuivant ne prouve pas la présence d'un panneau de signalisation indiquant la limite de vitesse permise (70 km/h), un élément essentiel de l'infraction. L'agente Fleurançois se limite à indiquer dans son rapport d'infraction avoir personnellement constaté la présence d'un panneau indiquant la vitesse maximale à 100 mètres du lieu de l'infraction. Elle ne précise pas si le panneau est situé en amont ou en aval du lieu d'infraction. Par ailleurs, lors de son contre-interrogatoire, l'agente Fleurançois a démenti cette attestation lorsqu'elle a admis n'avoir jamais visité le site en question ni avoir vérifié personnellement la présence du panneau de signalisation indiquant la vitesse permise. L'agente Fleurançois explique qu'il est prévu légalement qu'un policier inspecte les sites des cinémomètres photographiques tous les sept jours pour s'assurer de la présence effective des panneaux. Elle ajoute qu'un tableau à cet effet, confectionné par une tierce personne, est disponible sur son lieu de travail. C'est sur ce tableau qu'elle s'appuie pour affirmer qu'un panneau était présent au moment de l'infraction. Cette partie du témoignage de l'agente Fleurançois est basée sur une preuve par ouï-dire. Par conséquent, celui-ci n'a aucune valeur probante.

Mais il y a plus. L'article 1 du Règlement sur les conditions et les modalités d’utilisation des cinémomètres photographiques et des systèmes photographiques de contrôle de circulation aux feux rouges (le Règlement) prévoit qu'un cinémomètre photographique ne peut être utilisé que s'il a fait l'objet d'une validation, dans un délai prévu par son fabricant et par un agent de la paix ayant reçu une formation appropriée, permettant d'assurer la précision de la mesure de vitesse et l'exactitude des informations apparaissant sur l'image obtenue par l'appareil. De plus, le cinémomètre photographique doit avoir fait l'objet d'une inspection, au cours de 75 jours précédant la date de son utilisation soit par son fournisseur, soit par son fabricant, soit par toute autre personne autorisée. Également, un agent de la paix ayant reçu une formation appropriée doit avoir vérifié le cinémomètre photographique dans les sept jours précédant son utilisation. Pour démontrer le respect de l'ensemble de ces exigences, l'agente Fleurançois atteste, dans son rapport d'infraction, qu'elle a personnellement constaté que le cinémomètre photographique avait été utilisé conformément au Règlement. Or, cette attestation se révèle totalement fausse. En effet, lors de son contre-interrogatoire, l'agente Fleurançois admet qu'elle n'est pas une technicienne qualifiée et qu'elle n'a reçu aucune formation appropriée lui permettant d'effectuer des vérifications sur un cinémomètre photographique. De plus, l'agente Fleurançois ne fait qu'une affirmation générale voulant qu'à l'époque, l'appareil ait été inspecté par le fournisseur tous les 60 jours, sans pouvoir indiquer les vérifications effectuées par ce dernier. Par ailleurs, l'agente Fleurançois ajoute qu'elle sait que chaque semaine des policiers effectuent des tests sur les appareils pour s'assurer que le système fonctionne bien, mais elle n'est pas en mesure de spécifier de quels tests il s'agit. En fait, l'attestation apposée par l'agente Fleurançois sur son rapport d'infraction s'appuie entièrement sur des informations recueillies et constatées par de tierces personnes. Non seulement il s'agit d'une preuve par ouï-dire n'ayant aucune valeur probante, mais également d'une transgression flagrante des critères de l'article 62 C.p.p. Force est donc de conclure qu'en l'espèce, il n'y a aucune preuve démontrant que le cinémomètre photographique utilisé respecte les conditions prévues au Règlement.

Reste à savoir si, ainsi que le demande la défenderesse, le poursuivant doit être condamné aux frais pour une poursuite abusive ou manifestement mal fondée. Pour les motifs qui suivent, nous ne le croyons pas.

D'abord, rappelons que la règle audi alteram partem s'applique au poursuivant. Or, la demande de la défenderesse n'a pas été formulée en temps utile pour permettre à celui-ci d'y répondre adéquatement et de présenter une preuve, s'il le jugeait à propos. Ensuite, lors des plaidoiries, la défenderesse indique clairement qu'elle ne blâme nullement la procureure du poursuivant dans la conduite de ce dossier. On ne peut qu'être d'accord avec cette affirmation. La procureure du poursuivant pouvait légitimement s'appuyer sur la présomption d'exactitude édictée par le législateur, ainsi que sur l'attestation de l'agente Fleurançois inscrite au rapport d'infraction. Elle pouvait également présumer que Me Jean-Guy Moulin était raisonnablement convaincu de pouvoir établir la culpabilité de la défenderesse lorsqu'il a signé le constat d'infraction. Cela dit, nous déplorons que la Sûreté du Québec ait mis en place un système de confection de rapport d'infraction basé essentiellement sur une preuve par ouï-dire, et ce, en totale violation des exigences édictées par l'article 62 C.p.p. Nous sommes également perplexes que le Bureau des infractions et amendes ait autorisé qu'un tel système soit mis en place ou qu'il le tolère, d'autant que les amendes prévues et auxquelles les justiciables se trouvent confrontés sont substantielles. Ceci explique sûrement pourquoi certains n'hésitent pas à associer le système des cinémomètres photographiques à une « vache à lait » utilisée pour générer des revenus. Par ailleurs, bien que la procédure suivie en matière de cinémomètre photographique ait déjà été explicitée dans l'affaire 9071-3298 Québec inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, cela ne démontre pas que le poursuivant était pleinement conscient que sa preuve pour ce type de dossier est basée sur une preuve inadmissible et illégale. En effet, le jugement rendu dans cette affaire porte sur une demande de divulgation supplémentaire de preuve, et non sur la suffisance ou la légalité de la preuve présentée par le poursuivant lors d'un procès. Toutefois, en raison du présent jugement, le poursuivant sait maintenant que la preuve dont il dispose pour les poursuites concernant les cinémomètres photographiques fixes repose sur une preuve déficiente. À l'avenir, les défendeurs pourront, en toute légitimité, s'adresser au tribunal pour demander que le poursuivant soit condamné aux frais si ce dernier persiste à déposer une preuve qu'il sait illégale. À moins, bien sûr, que le poursuivant prenne les mesures qui s'imposent pour bonifier sa preuve.

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