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Jurisprudence en matière de marques : POINT ZERO condamnée à près de 100 000 $ pour avoir copié la griffe de jeans de DIESEL

Par Me Sébastien Lapointe, Holmested & Associés s.e.n.c.r.l./LLP
Jurisprudence en matière de marques : POINT ZERO condamnée à près de 100 000 $ pour avoir copié la griffe de jeans de DIESEL

La Cour supérieure rendait il y a quelques jours un jugement intéressant en matière de marques de commerce. La décision en question, Diesel s.p.a. et Diesel Canada inc. c. Benisti Import-Export inc. et Maurice Benisti (C.S.) du 14 mars 2016 (EYB 2016-263315), aura eu pour résultat une condamnation des défendeurs à des dommages compensatoires de plus 50 000 $ et des dommages punitifs totalisant 40 000 $, en lien avec l’utilisation d’une griffe de jeans quasi identique à la griffe des jeans DIESEL.

En 2010, les sociétés possédant et exploitant la marque de commerce notoire « DIESEL » (notamment pour des jeans) déposent un recours contre leur concurrente canadienne BENISTI IMPORT-EXPORT INC. (une société opérant sous le nom « POINT ZERO »). On cherche ainsi à obtenir des injonctions et des dommages de diverses natures liés à de la contrefaçon et de la concurrence déloyale par POINT ZERO. Le recours de DIESEL vise ici à protéger sa marque de commerce présentée comme un dessin « DIESEL INDUSTRY Denim Division », telle qu’utilisée par DIESEL depuis 1988 et enregistrée depuis 2007 (le « logo Diesel »). Le lettrage sur ce logo est accompagné à droite d’un « D » stylisé en rouge. En pratique, ce logo est utilisé comme suit :

 

Ce que DIESEL reproche à POINT ZERO, c’est essentiellement son inclusion sur certains de ses jeans, peut-être à compter de 1999, d’un logo qu’on estime trop similaire au sien et dont le texte se lit « POINT ZERO CO. Denim Division » (le « logo Point Zero »). Ce logo est aussi présenté en diagonale et accompagné à droite d’un « P » stylisé rouge. En pratique, ce logo est utilisé comme suit :

 

POINT ZERO cesse de mettre en marché son jean lié au logo Point Zero en 2010-2011.

ANALYSE DE CONFUSION

Selon le tribunal, les deux logos en présence comportent une forte ressemblance, incluant les mêmes couleurs, la même configuration des mots, certains mots identiques et le même positionnement sur la poche de jean en question. En fait, le tribunal conclut que ce que ces logos ont de frappant n’est pas leurs mots, mais tout le reste, à savoir leur configuration, leurs couleurs, leur présentation graphique en diagonale, dont des mots superposés et un mini-logo en rouge sur la droite. Ce faisant, le tribunal n’a aucune difficulté à conclure qu’un consommateur moyen pressé confondrait aisément les deux logos. Conclusion : oui, le logo Point Zero contrefait le logo Diesel. Reste ensuite à voir dans quelle mesure cela implique la responsabilité de POINT ZERO et de son principal dirigeant.

RÉCLAMATION QUANT À LA PÉRIODE D’AVANT 2005

Puisque le logo Diesel n’est déposé que depuis 2005, c’est à compter de ce moment seulement que DIESEL peut prétendre à la contrefaçon de sa marque selon la Loi sur les marques de commerce. Entre 1999 et 2004, la protection du logo Diesel doit passer par la concurrence déloyale et le délit civil de commercialisation trompeuse (« passing off », en anglais) ou d’imitation frauduleuse d’une marque non déposée (sous l’art. 7 de la Loi sur les marques de commerce et l’art. 1457 C.c.Q.). À ce sujet, le tribunal conclut que les trois éléments requis pour étayer une telle réclamation sont réunis, ouvrant ainsi la porte à la réclamation de DIESEL en concurrence déloyale et commercialisation trompeuse, pour la période de 1999 à 2004.

RÉCLAMATION QUANT À LA PÉRIODE D’APRÈS 2005

Pour la seconde période pertinente (2005-2011), l’analyse à faire repose plus simplement sur la contrefaçon de la marque enregistrée de DIESEL. La question qui se pose s’avère donc de déterminer si l’usage du logo Point Zero était susceptible de causer de la confusion avec le logo Diesel. Du point de vue des dommages compensatoires, DIESEL réclame les profits générés par POINT ZERO relativement aux biens litigieux. La preuve démontre la vente de 4340 jeans visés par POINT ZERO, pour un revenu brut de 104 160 $. Reste alors au tribunal à déterminer la marge de profit, que POINT ZERO fixerait à 25 % et que DIESEL, elle, fixerait plutôt à 50 %. Parce que POINT ZERO fait défaut de fournir les détails suffisants pour étayer ses affirmations (quant au fait que ses coûts de production étaient plus élevés que pour les biens pareils habituels), le tribunal estime n’avoir d’autre choix que d’appliquer le taux de 50 % prôné par DIESEL, entraînant une condamnation quant aux profits de 52 080,00 $.

En plus des profits, DIESEL réclame aussi des dommages punitifs à POINT ZERO, à cause de l’atteinte illicite à ses droits. Le tribunal québécois considère cette réclamation comme justifiée par la Charte des droits et libertés de la personne, vu l’interaction entre le droit à la jouissance paisible de ses biens (art. 6) et le droit aux dommages-intérêts punitifs pour une atteinte illicite et intentionnelle (art. 49). De plus, le tribunal prend note de la possibilité additionnelle qu’offre l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce d’accorder des dommages punitifs dans certains cas. En continuant à commercialiser ses produits sous la marque en question de 2005 à 2011, POINT ZERO a fait preuve de mauvaise foi et d’« un mépris cynique » pour les droits de DIESEL, selon le tribunal. Pour le tribunal, le risque apparaît calculé, qui nous permet de conclure qu’il y a eu ici faute illicite et intentionnelle, ce qui donne bien droit à DIESEL à des dommages punitifs. Étant donné la commercialisation d’ampleur restreinte, les dommages réels aussi limités et le fait que POINT ZERO a collaboré en cessant de fabriquer ses biens litigieux dès le début du litige, le tribunal limite les dommages punitifs à 20 000 $.

Notons que cette décision implique aussi accessoirement une condamnation personnelle du président (et seul administrateur) de POINT ZERO (M. Maurice Benisti), à cause de sa faute extracontractuelle, comme âme dirigeante de POINT ZERO. En plus d’une condamnation solidaire quant aux dommages non punitifs, le tribunal le condamne personnellement à payer 20 000 $ à titre de dommages punitifs (pour un total de 40 000 $ dans cette affaire).

Le tribunal octroie aussi évidemment l’injonction permanente interdisant à POINT ZERO de continuer à utiliser le logo Point Zero.

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