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La Cour d’appel confirme que l’ex-lieutenante-gouverneure Lise Thibault devra purger une peine d’emprisonnement de 18 mois

Résumé de décision : Thibault c. La Reine, EYB 2016-262452 (C.A., 24 février 2016)
La Cour d’appel confirme que l’ex-lieutenante-gouverneure Lise Thibault devra purger une peine d’emprisonnement de 18 mois

L'accusée, l'ex-lieutenante-gouverneure du Québec, a été autorisée à se pourvoir contre la peine d'emprisonnement de 18 mois qui lui a été imposée après qu'elle eut reconnu sa culpabilité à des accusations d'abus de confiance et de fraude. Elle fait valoir essentiellement que la peine est excessive. Selon elle, le juge de première instance a commis cinq erreurs. Le ministère public souhaite, de son côté, être autorisé à appeler de la peine. Il soutient que celle-ci est nettement déraisonnable eu égard à la gravité des infractions commises, à la préméditation ainsi qu'au poste prestigieux qu'occupait l'accusée. Il suggère aussi l'idée que la peine s'écarte de celles qui sont applicables dans des situations semblables.

Les tribunaux d'appel doivent faire preuve d'une grande déférence envers les conclusions des juges de première instance en matière de peine. Traditionnellement, leurs interventions se limitent à quatre cas : 1) une erreur de principe ; 2) l'omission de prendre en considération un facteur pertinent ou l'insistance trop grande sur les facteurs appropriés ; 3) une erreur manifeste dans l'appréciation de la preuve ; 4) la peine se situe en dehors des limites acceptables et est nettement déraisonnable. Dans l'arrêt R. c. Lacasse, la Cour suprême du Canada mentionne cependant que ce ne sont pas toutes les erreurs de ce genre, quel que soit leur impact sur le raisonnement du juge de première instance, qui autorisent une cour d'appel à intervenir. De l'avis du plus haut tribunal du pays, la présence d'une erreur de principe, l'omission de tenir compte d'un facteur pertinent ou encore la considération erronée d'un facteur aggravant ou atténuant ne justifiera l'intervention d'une cour d'appel que lorsqu'il appert du jugement de première instance qu'une telle erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine. Notre Cour affirmait d'ailleurs récemment l'idée que l'erreur, pour être retenue, devait avoir un impact déterminant dans la décision du juge de première instance.

Examinons les erreurs que l'accusée reproche au juge de première instance. Dans un premier temps, l'accusée soutient que le juge a trop insisté sur les objectifs d'exemplarité et de dissuasion et que, compte tenu de son mode de vie, il aurait dû conclure que l'emprisonnement avec sursis était une peine adéquate. Le juge privilégie l'incarcération compte tenu, entre autres, du poste prestigieux qu'occupait l'accusée. Cette position est conforme aux principes retenus par notre Cour dans l'arrêt R. c. Coffin et par la Cour d'appel de l'Ontario dans les arrêts R. v. Pierce, R. v. Wismayer et R. v. Bogart. L'accusée ne nous convainc donc pas que le juge a commis une erreur dans l'appréciation de sa situation et de l'objectif d'exemplarité.

L'accusée soutient, dans un deuxième temps, que la couverture médiatique générée par son procès était « exagérée, biaisée et qu'elle n'avait pour but que de l'humilier, la ridiculiser et l'accabler ». Puisqu'elle en a été grandement affectée, il était, selon elle, du devoir du juge d'y voir un facteur atténuant. Le juge a noté qu'en raison de la forte médiatisation des événements, l'accusée vivait pratiquement recluse chez elle et devait avoir un suivi médical en raison de crises d'angoisse. Il a ensuite retenu les enseignements de l'arrêt Marchessault c. La Reine dans lequel notre Cour considère la relation entre la couverture médiatique et le statut de personnalité publique d'un accusé. L'accusée ne nous convainc pas, eu égard aux circonstances particulières de l'affaire, que le juge a commis une erreur de principe en ne considérant pas que la médiatisation de l'affaire devait être considérée comme un facteur atténuant.

Dans un troisième temps, l'accusée soutient que le juge a commis une erreur de principe en lui reprochant les stratégies qu'elle a adoptées au cours du procès. Cette prétention ne peut être retenue. Il est bien reconnu que les moyens de défense utilisés et la façon de les déployer n'ont, en règle générale, aucune incidence sur la détermination de la peine. Ici, toutefois, les propos du juge visaient non pas la façon dont l'accusée avait mené sa défense, mais plutôt l'argument relatif à la très grande médiatisation du procès. Rien ne nous permet de conclure que les propos du juge ont pu avoir une incidence déterminante sur la peine.

Dans un quatrième temps, l'accusée soutient que le juge a erré en ne retenant pas que son âge avancé, 76 ans au moment du jugement, son état de santé de même que son handicap physique justifiaient l'emprisonnement avec sursis. Il est vrai que la Cour suprême du Canada nous enseigne dans l'arrêt R. c. M. (C.A.) que, dans la détermination d'une peine appropriée, le juge devrait prendre en compte l'âge du délinquant dans l'application des principes pertinents. Lorsque l'expectative de vie du délinquant est limitée, les objectifs de détermination de la peine perdent leur valeur fonctionnelle. Dans une telle situation, la discrétion du juge doit être utilisée avec circonspection. Ce dernier doit se garder d'imposer une peine d'une durée déterminée qui dépasse de beaucoup le nombre d'années qu'il reste au délinquant à vivre. Dans l'arrêt R. c. Côté, notre Cour a aussi retenu que l'âge d'un délinquant peut être considéré comme un facteur atténuant, en précisant toutefois que même si la mauvaise santé d'un délinquant peut constituer un facteur atténuant, elle ne constitue généralement pas un facteur d'allègement de la peine, sauf dans des situations exceptionnelles lorsque, par exemple, le délinquant souffre d'un cancer incurable et que son décès est imminent. Ainsi, un cancer incurable, le sida en phase terminale, des problèmes psychiatriques, une dystrophie musculaire ou une maladie morbide constituent des facteurs d'allègement liés à l'état de santé. Cependant, les effets d'un infarctus tout comme la perspective d'une opération chirurgicale suivie d'une période de convalescence ou un cancer en traitement ne sont pas des afflictions de nature à rendre non indiquée toute incarcération. Lorsque les services carcéraux ne sont pas en mesure de répondre au besoin particulier qu'engendre l'état de santé d'un délinquant, l'emprisonnement avec sursis peut être considéré comme une solution de rechange à l'emprisonnement. Tel n'est pas le cas ici. Il n'y a pas au dossier de preuve médicale établissant l'état de santé précis de l'accusée. Rien ne permet de croire que cet état requiert des soins particuliers qui ne pourraient être prodigués à l'accusée si elle était incarcérée. On peut comprendre que, vu la preuve restreinte présentée à ce sujet, l'état de santé de l'accusée et son handicap physique ne pouvaient, aux yeux du juge, constituer un facteur déterminant justifiant de recourir à l'emprisonnement avec sursis.

Dans un cinquième et dernier temps, l'accusée soutient que le juge a commis une erreur de principe en ne distinguant pas les actes de fraude commis entre le 30 janvier 1997 et le 14 septembre 2004 de ceux commis après le 15 septembre 2004. Il faut savoir que, jusqu'au 15 septembre 2004, toute fraude dont la valeur dépassait 1 000 $ constituait un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de dix ans. La disposition ne faisait pas référence aux facteurs à prendre en compte lors du prononcé de la peine. Le législateur a modifié l'article 380 C.cr. en 2004 en portant la peine maximale à 14 ans au regard d'une fraude dont la valeur de l'objet dépasse 5 000 $. Il instaurait en même temps un régime particulier en ce qui concerne les facteurs aggravants et les facteurs atténuants à l'égard de la détermination de la peine. Ces dispositions ont été de nouveau modifiées en 2011. L'accusée soutient que, en appliquant la même analyse à tous les actes de fraude qui lui étaient reprochés, indépendamment de leur date, le juge a commis une erreur déterminante puisque l'alinéa 11i) de la Charte canadienne des droits et libertés permet à tout inculpé de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l'infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l'infraction et celui de la sentence. L'accusée reproche ainsi au juge de ne pas avoir distingué les situations différentes qui lui étaient présentées en se limitant à prononcer une peine totale, appliquant à chacun des chefs d'accusation les mêmes critères, ceux édictés par les modifications législatives de 2004 et de 2011. Il aurait été préférable que le juge détermine la peine appropriée pour chacun des chefs d'accusation et décide ensuite de leur caractère concurrent ou consécutif. Le juge aurait ainsi pu expliquer pourquoi il a fixé des peines de 18 mois relativement aux fraudes survenues avant la modification législative de 2004, alors que la gravité objective de ces infractions était moindre. Toutefois, si l'on considère l'ensemble du jugement de première instance, les facteurs que le juge a pris en compte, l'analyse soignée qu'il a exposée au regard de son choix de privilégier l'emprisonnement, les facteurs qu'il a appliqués en référence à l'article 718 C.cr. et les principes rappelés par notre Cour en 1994 dans l'arrêt Lévesque c. Québec (Procureur général), il est clair que l'erreur reprochée n'a pas un effet déterminant sur la peine totale imposée. En ce sens, il ne nous est pas démontré que les droits constitutionnels de l'accusée ont été violés.

De son côté, le ministère public souhaite nous convaincre que la peine juste et adéquate, laquelle tient compte des principes de proportionnalité de la peine et d'harmonisation des peines, est un emprisonnement de quatre ans, soit la peine qu'il réclamait lors de ses observations sur la peine. Le ministère public nous invite, en somme, à réexaminer ses arguments et à en tirer une conclusion différente de celle du juge de première instance. Ce n'est cependant pas là notre rôle. Le juge a soupesé la gravité des infractions, dont la préméditation et la position de confiance de l'accusée. Il a aussi longuement considéré les facteurs aggravants et les facteurs atténuants. Il a également tenu compte du principe de l'harmonisation des peines. L'appel du ministère public est manifestement voué à l'échec.

Pour ces motifs, l'appel interjeté par l'accusée et la requête pour permission d'appeler présentée par le ministère public sont rejetés.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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