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Les droits dans le patrimoine familial ne sont pas des créances prouvables en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité

Résumé de décision : Faillite de T. (R.), EYB 2017-276914 (C.A., 6 mars 2017)
Les droits dans le patrimoine familial ne sont pas des créances prouvables en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité

Les juges Guy Gagnon et Dominique Bélanger.

L'appelant (monsieur) porte en appel un jugement rejetant sa demande en appel d'une décision du syndic de faillite intimé (le syndic) et cherchant à faire déclarer que les droits obtenus par son ex-épouse (madame), la mise en cause, dans le partage du patrimoine familial prononcé dans un jugement de divorce sont des réclamations prouvables dans sa faillite.

Le juge Mainville s'est livré à une étude soignée des différentes questions en litige soulevées par monsieur. Nous sommes d'accord avec lui pour dire que la faillite de cette partie n'est pas venue contrer les effets du partage du patrimoine familial portant sur les meubles et les véhicules automobiles des époux. La même conclusion s'impose à l'égard du partage des gains inscrits en application du régime de rentes du Québec ainsi que pour les droits accumulés sous le régime de retraite de l'employeur. Ces actifs visés par le partage ne peuvent se transformer en réclamations prouvables au sens de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la LFI), comme le souhaiterait monsieur. Cependant, nous sommes en désaccord avec l'idée avancée par notre collègue selon laquelle une partie du régime enregistré d'épargne-retraite de monsieur (le REER) attribuée à madame à l'occasion du partage du patrimoine familial, et ce, avant que ce dernier ne fasse cession de ses biens, constituerait, dans ce contexte, une réclamation prouvable au sens de la LFI. La notion de réclamation prouvable implique l'existence d'une créance. Le partage en nature intervenu entre les parties fait qu'il ne peut s'agir ici d'une créance au sens où l'entend la loi. Nous sommes plutôt d'avis que la mise en cause détient un droit de propriété dans le bien attribué tel que consacré par le jugement de divorce.

La logique de monsieur au soutien de sa demande repose sur l'insaisissabilité de son REER, de sorte qu'il ne devrait pas être inclus parmi les actifs partageables entre ses créanciers. Monsieur allègue aussi que madame détiendrait une simple créance prouvable correspondant à la valeur du droit transféré avant la faillite.

Selon cette thèse, monsieur pourrait en toute légalité récupérer ce bien dont la propriété avait déjà été attribuée à madame par l'effet du jugement de divorce. Monsieur, du seul fait de sa faillite, pourrait ainsi enrichir son patrimoine d'autant, son REER, selon ce que suggère le dossier, étant incessible et insaisissable. Madame, à qui l'on aurait dénié la propriété des droits accumulés, devrait en guise de compensation se contenter de présenter au syndic sa créance (réclamation prouvable) équivalant à la valeur du droit ainsi perdu. La loi n'a pu vouloir un résultat aussi inique.

Notre collègue voit dans le paragraphe 74 du jugement de divorce la preuve de l'existence d'un droit de créance. Or, cette conclusion, qui ordonne à monsieur de signer les documents nécessaires pour effectuer le roulement d'une partie de ses REER à ceux de madame n'est que l'expression d'un droit de propriété déjà attribué à madame dont les formalités restent à remplir pour en informer l'administrateur du régime et pour en effectuer le transfert au moyen d'un roulement fiscal. Le régime québécois en matière de partage du patrimoine familial constitue un régime hybride et complet en lui-même. Les parties n'ont pas soutenu que ce régime se basait strictement sur un système de compensation, sous-entendant par là la naissance d'une relation créancier-débiteur en cas d'exécution du patrimoine familial. L'article 420 C.c.Q. prévoit notamment que certains biens peuvent être attribués à l'un des époux, lors du partage. Or, la jurisprudence (dont l'arrêt T.D. c. R.N.) et la doctrine s'entendent pour dire que le partage d'un régime de retraite est constitutif d'un droit de propriété pour la partie du régime ainsi partagé. Cela dit, le transfert des droits accumulés issus d'un REER n'exige pas d'être précédé d'une évaluation de leur valeur véritable ni d'une reddition de comptes de la part de l'administrateur du régime, comme cela pourrait être le cas pour un fonds de retraite public à participation conjointe employeur-employé. Le partage en nature des droits accumulés dans un REER est somme toute une opération plus simple. Par ailleurs, il existe bien peu de rapports entre les droits accumulés dans un REER et la valeur véritable de ces droits une fois que le bien est passé aux mains d'un nouveau bénéficiaire. Cette valeur véritable est pratiquement impossible à déterminer au moment du transfert puisqu'elle est largement tributaire de différents facteurs, dont la situation fiscale du bénéficiaire des droits dans le REER transféré au moment de sa liquidation, la forme que prendra sa liquidation et le régime fiscal qui lui sera alors applicable. En cette matière, il s'agit plutôt de l'exécution d'un partage en nature portant sur un bien selon les termes de l'entente intervenue entre les parties ou ordonnée par un tribunal compétent. Les droits accumulés dans un REER sont ainsi transférés au jour du jugement de divorce dans la mesure prévue au partage. Ce transfert est complet dès le partage prononcé, ce qui est d'autant plus vrai lorsque le jugement, comme en l'espèce, est exécutoire nonobstant appel. Il est ici important de ne pas confondre les droits de madame dans la partie du REER qui lui a été attribuée avec les formalités qui s'en suivent. Résumée à sa plus simple expression, l'attribution du REER à madame consistait à la concrétisation de son droit dans ce bien du patrimoine familial au moment du prononcé du jugement qui a mis fin au mariage. Le roulement à intervenir dont parle notre collègue dans ses motifs n'est autre chose que le véhicule fiscal par lequel le bien sera transféré libre d'impôt. Or, les modalités de transfert d'un REER ne permettent pas de définir autrement le droit attribué à madame ni d'en changer la nature véritable. L'on pourrait rétorquer à ce qui précède que l'arrêt T.D. c. R.N. portait sur un régime de retraite public et ne serait donc pas applicable à la situation de l'espèce. Il est vrai que les régimes publics sont habituellement assortis d'une réglementation exhaustive qui prévoit le cas du partage des droits accumulés. Dans le contexte d'un régime privé, cette réglementation est habituellement suppléée par les modalités de l'entente intervenue entre les parties et les termes du jugement l'entérinant. Le véhicule fiscal choisi pour permettre le transfert des droits accumulés dans le REER fait également partie de l'équation au moment du transfert du titre. Bref, que ce soit un régime de retraite public ou privé, l'enjeu demeure le même : il s'agit du partage des droits accumulés dans le régime, quel qu'il soit. Comme l'explique le juge Giroux dans l'arrêt T.D. c. R.N., ce partage ne peut conduire à une relation créancier-débiteur.

En résumé, monsieur a consenti à céder à madame un bien faisant partie du patrimoine familial. Le jugement de la Cour supérieure a constaté l'entente et a ordonné de s'y conformer. Dès lors, et sans autre formalité, le droit de madame à l'égard de la partie du REER qui lui a été ainsi attribuée était acquis. L'ordonnance faite à monsieur de signer les documents nécessaires en vue de constater le transfert de propriété et d'en informer l'administrateur du régime n'est que la suite logique des choses.

La doctrine s'appuyant sur l'article 67(1)b.3) LFI ne manque pas de noter que, dans la situation des parties, les droits accumulés dans un REER composant le patrimoine familial échappent à la saisine du syndic. Il découle de ce qui précède que la mise en cause ne détient aucune créance prouvable. Elle est, à compter du jugement de divorce, l'unique propriétaire des droits accumulés dans le REER partagé selon l'entente entérinée par le tribunal. Pour ces raisons, la conclusion du jugement de première instance portant sur le REER, objet du partage, devrait également être maintenue.

Le juge Robert M. Mainville, dissident.

L'interaction entre les droits des conjoints lors de la dissolution d'un mariage et la libération d'un failli sous la LFI est épineuse. Depuis les modifications de 1997, le paragraphe 121(4) LFI prévoit expressément que les dettes et obligations alimentaires sont des réclamations prouvables et les alinéas 178(1)b) et c) disposent que celles-ci survivent à l'ordonnance de libération. La loi accorde aussi une certaine priorité pour une pension alimentaire qui s'accumule dans l'année avant la faillite.

Par contre, aucune disposition de la LFI ne traite directement des réclamations au titre de l'égalisation ou de la division de l'actif des conjoints qui sont prévues par les lois provinciales dans les cas d'une dissolution d'un mariage. Dans son rapport publié en novembre 2003, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a bien cerné le problème et a émis certaines recommandations, dont celle que la faillite ne suspende ni n'éteigne de réclamation au titre de l'égalisation ou de la division de l'actif exempté en vertu des lois provinciales ou territoriales pertinentes. Certaines recommandations ont été incorporées à la LFI, notamment l'exclusion des biens détenus dans un REER du patrimoine attribué aux créanciers du failli. Pourtant, comme le signale le juge LeBel de la Cour suprême du Canada dans Schreyer c. Schreyer, la plupart des recommandations concernant l'effet d'une faillite sur le partage des biens à la suite de la dissolution d'un mariage n'ont pas été suivies et en « attendant que le législateur modifie la loi, les conjoints créanciers doivent être conscients non seulement des pièges que comporte la LFI, mais aussi de l'importance des voies de droit qu'elle offre en pareilles situations ». L'effet de la LFI sur les droits des conjoints en cas de dissolution du mariage a d'ailleurs fait l'objet d'une analyse attentive dans cet arrêt, basé sur le droit manitobain. Le juge LeBel écrit qu'un régime de compensation demande l'évaluation de l'actif familial et une reddition de comptes. Aucun des conjoints n'acquiert un intérêt propriétal ou bénéficiaire dans l'actif de l'autre. Des éléments d'actif ne sont cédés qu'au stade de la réparation, comme mode d'acquittement ou d'exécution du jugement, conformément à la convention conclue entre les parties ou à l'ordonnance rendue par le tribunal de la famille dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

Le régime québécois relatif au patrimoine familial est un régime de compensation similaire en certains aspects au régime manitobain dont il était question dans Schreyer c. Schreyer. En effet, le droit sur le patrimoine familial est un droit de créance général et personnel, et non un droit de propriété, tel que le juge Baudouin l'a déjà énoncé très clairement dans l'arrêt Droit de la famille -- 977. Cette approche a été constamment reprise par la Cour. Il en résulte que si le mariage emporte constitution d'un patrimoine familial, le partage ne s'ouvre qu'au moment du décès de l'un des époux ou lors de l'introduction de l'instance en vertu de laquelle il est statué sur la séparation de corps, le divorce ou la nullité du mariage, selon le cas. Cette créance est exécutée soit en numéraire, soit par dation en paiement. Cela a d'importantes incidences en cas de faillite de l'un des époux.

Lorsque la faillite de l'époux qui est propriétaire de biens faisant partie du patrimoine familial survient avant l'introduction d'une instance en séparation de corps, en divorce ou en nullité de mariage, le conjoint du failli n'est titulaire d'aucune réclamation prouvable en matière de faillite puisque sa créance sur le partage du patrimoine familial n'est pas encore ouverte. Inversement, la libération de l'époux failli ne libère pas ce dernier à l'égard du partage du patrimoine familial lors de son décès subséquent ou de procédures matrimoniales subséquentes, puisqu'il ne s'agit pas alors d'une réclamation prouvable en matière de faillite. Lors de procédures subséquentes en séparation de corps, en divorce ou en nullité de mariage, le partage du patrimoine familial pourra s'effectuer à l'égard de l'ensemble des biens qui constituent alors le patrimoine familial, y compris à l'égard des régimes de retraite qui ont échappé aux créanciers de la faillite par l'effet des alinéas 67(1)b) et b.3) LFI

Par contre, si l'introduction de l'instance en vertu de laquelle il est statué sur la séparation de corps, le divorce ou la nullité du mariage survient avant la faillite de l'époux, la créance résultant du partage du patrimoine familial s'ouvre. Trois situations sont alors envisageables. Premièrement, si le jugement prononçant le partage du patrimoine familial est rendu et la mise en oeuvre du partage a eu lieu avant la faillite (soit au moyen d'un versement en numéraire, d'une dation en paiement ou d'une combinaison des deux), le partage est alors complété et la faillite subséquente de l'un des époux ne peut avoir pour effet de remettre en question cette mise en oeuvre, sous réserve des cas de fraude. Deuxièmement, si les recours en séparation de corps, de divorce ou en nullité de mariage ont été exercés, mais qu'aucun jugement statuant sur le partage du patrimoine familial n'est intervenu avant la faillite, les parties se trouvent dans une situation similaire à celle dont était saisie la Cour suprême du Canada dans Schreyer c. Schreyer. Le partage du patrimoine familial pourrait alors constituer une réclamation prouvable en matière de faillite. Dans un tel cas -- et sous réserve des dispositions particulières du droit québécois portant sur les régimes de retraite qui sont abordées plus loin --, il appartiendra à l'époux créancier de s'adresser au tribunal sous l'article 69.4 LFI pour lever la suspension des recours judiciaires entrepris afin de procéder au partage du patrimoine familial et d'en assurer l'exécution.

Finalement, si le jugement prononçant le partage du patrimoine familial est rendu avant la faillite du conjoint débiteur, mais que la mise en oeuvre du partage n'est pas terminée, il faut alors examiner le dispositif du jugement afin de déterminer les droits respectifs des parties.

Il arrive en effet qu'un jugement prononçant le partage du patrimoine familial soit constitutif d'un droit de propriété sur certains biens familiaux, tel que le souligne le juge Baudouin dans Droit de la famille -- 977. Si le jugement prononçant le partage est constitutif d'un droit de propriété sur certains actifs, il ne peut alors s'agir d'une réclamation prouvable en matière de faillite.

Par contre, si le jugement prononce une créance au profit de l'époux débiteur, il pourrait alors s'agir d'une réclamation prouvable en matière de faillite. Dans ce cas -- sous réserve des dispositions particulières du droit québécois portant sur les régimes de retraite --, il appartiendra là encore à l'époux créancier de s'adresser au tribunal en vertu de l'article 69.4 LFI afin de lever la suspension de l'exécution du jugement prononçant le partage du patrimoine familial.

C'est dans cette dernière figure que se situe le dossier dont nous sommes saisis puisqu'un jugement prononçant le partage du patrimoine familial fut prononcé avant que l'appelant fasse cession de ses biens. Il s'agit donc de déterminer l'effet de ce jugement prononçant le partage du patrimoine familial.

Le jugement de divorce prend acte que les meubles et les véhicules automobiles faisant partie du patrimoine familial ont été partagés également à la satisfaction des parties et il déclare ces dernières propriétaires des meubles et véhicules automobiles en leur possession au moment du prononcé du jugement. Ce jugement est manifestement constitutif de propriété à l'égard de ces actifs en la possession de madame. Certains de ces meubles et véhicules étaient probablement déjà la propriété de celle-ci. Quant aux meubles et véhicules dont la propriété était soit indivise entre les conjoints, soit attribuée à monsieur, le jugement opère une dation en paiement en faveur de madame, laquelle a un effet immédiat vu que les biens étaient déjà remis. En l'occurrence, lorsque monsieur a fait cession de ses biens, madame n'avait aucune créance à faire valoir contre lui à l'égard du partage des meubles et des véhicules faisant partie du patrimoine familial. Il n'y a donc aucune réclamation prouvable en matière de faillite à l'égard de ces meubles et véhicules.

Le jugement de divorce ordonne le partage, suivant la loi, des gains inscrits durant le mariage au nom de monsieur et de madame en application de la Loi sur le régime de rentes du Québec (la LRRQ). Sauf le cas exceptionnel où le tribunal décide qu'il n'y aura aucun partage de ces gains -- et tel que le prévoit le C.c.Q. --, le partage est exécuté par Retraite Québec conformément à la LRRQ. Il ne s'agit donc pas ici d'une créance d'un époux envers l'autre, mais de l'exercice d'un droit statutaire d'ordre public qui découle du partage du patrimoine prononcé par le jugement. Retraite Québec est obligée de par la loi d'exécuter le partage des gains inscrits. Cette obligation incombe à Retraite Québec tant sous le C.c.Q. que sous la LRRQ ; elle doit être mise en oeuvre par cette dernière selon les exigences et conditions prévues à cette loi. En conclusion, madame n'a aucune réclamation prouvable en matière de faillite à l'égard de monsieur résultant du partage des gains inscrits sous la LRRQ prononcé par le jugement de divorce et la LFI n'a aucun effet sur ce partage.

Le jugement de divorce ordonne également que la moitié de la valeur des droits accumulés par monsieur au titre de son régime de retraite auprès de la compagnie A (200 292,32 $ au 12 avril 2013) soit transférée à madame plus l'intérêt couru depuis le 12 avril 2013 au taux prescrit par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (la LRCR). Il ne s'agit pas d'une réclamation prouvable en matière de faillite puisque l'effet du jugement de divorce est de déclencher le mécanisme statutaire de partage des droits accumulés par l'appelant sous le régime de retraite de la compagnie A que le comité de retraite de ce régime doit respecter. Quoique les parties n'aient pas produit les documents constitutifs du régime de retraite de la compagnie A, elles conviennent que la LRCR s'applique à celui-ci. Cette loi dispose qu'un régime de retraite est un contrat en vertu duquel le participant bénéficie d'une prestation de retraite dans des conditions et à compter d'un âge donnés, dont le financement est assuré par des cotisations à la charge soit de l'employeur seul, soit de l'employeur et du participant. Le jugement qui ordonne le partage d'un régime complémentaire de retraite dans le cadre du partage du patrimoine familial a pour effet de déclencher le droit statutaire du conjoint au partage. Ce droit s'exerce dorénavant non pas contre le conjoint participant au régime de retraite, mais plutôt à l'égard du comité de retraite chargé de l'administration du régime, lequel doit alors procéder au partage en suivant les prescriptions de la LRCR et de son Règlement. Dès le jugement, les droits de l'époux dans le régime complémentaire de retraite ne proviennent plus des règles de partage du patrimoine familial sous le C.c.Q., mais du régime statutaire et réglementaire en cause. En conséquence, il ne s'agit pas d'une réclamation prouvable dans la faillite de monsieur, mais plutôt d'un droit statutaire que madame exerce dorénavant à l'égard du comité de retraite du régime de retraite de la compagnie A.

La LIR et la Loi sur les impôts reconnaissent que certains véhicules de placement en vue de la retraite permettent de différer l'impôt qui serait autrement payable sur les contributions qui y sont faites et les rendements qu'ils génèrent. Ces véhicules de placement sont désignés dans la loi comme des REER. Malgré la popularité des REER, le législateur québécois s'est peu intéressé au caractère juridique de ceux-ci en droit civil. Il existe d'ailleurs une multiplicité de types ou véhicules de REER qui sont offerts par diverses institutions. Si ces divers véhicules de placement sont reconnus sous les lois fiscales et si leurs caractéristiques fondamentales sont décrites dans ces lois, ils sont néanmoins, pour la plupart, régis par les règles des contrats applicables au véhicule juridique utilisé. Sous réserve de certains véhicules juridiques particuliers, dans la plupart des cas le régime d'épargne-retraite n'est pas considéré par la jurisprudence du Québec comme un bien, mais plutôt comme une convention de laquelle découlent des droits et obligations, c'est-à-dire une relation créancier-débiteur régie par les clauses du contrat applicable au REER en question. En l'occurrence, les parties n'ont pas produit les contrats constitutifs de leurs REER. Cela limite considérablement l'analyse qu'on peut en faire. Notamment, il est impossible de déterminer si les REER en cause sont saisissables ou non en vertu du droit provincial ou si les dispositions contractuelles qui les régissent prévoient des dispositions particulières portant sur un partage dans le cadre du patrimoine familial. Nous savons que, contrairement aux dispositions de la LRCR étudiées ci-haut, aucun régime statutaire complet et autonome ne régit les mécanismes de cession de droits dans un REER en cas de partage du patrimoine familial. Tout au plus, le paragraphe 146(16) LIR permet la révision ou la modification d'un REER afin de permettre à l'émetteur de transférer libres d'impôts des biens accumulés dans ce régime -- communément désigné un « roulement fiscal » -- à un REER d'un époux ou ex-époux, dans la mesure où ce transfert est effectué en vertu d'une ordonnance ou d'un jugement visant à partager des biens entre les époux en règlement des droits découlant du mariage. Cette disposition législative ne prévoit aucune règle d'évaluation et de dévolution des droits des époux dans un REER. Il n'y a d'ailleurs aucune disposition législative qui oblige l'émetteur du REER à procéder à un tel partage selon des règles statutaires ou réglementaires précises et obligatoires. Seul le tribunal a compétence pour ce faire. La jurisprudence a développé la règle que le partage des droits au titre du REER doit normalement s'effectuer de façon distincte des autres actifs non grevés d'une dette différée d'impôt. Ce partage s'effectue habituellement par l'égalisation des droits accumulés dans les REER respectifs des conjoints au moyen du roulement fiscal permis par le paragraphe 146(16) LIR, et ce, afin d'éviter la compensation des créances imposables et non imposables. C'est ce que fait le juge dans le jugement de divorce en l'espèce. Le résultat des calculs portant sur le partage des REER fait que 8 378,99 $ doivent faire l'objet d'un roulement. Il s'agit là d'une créance qui est assujettie à la modalité particulière qu'elle doit être acquittée au moyen du roulement fiscal prévu au paragraphe 146(16) LIR. Notons que le jugement de divorce accorde à monsieur le choix du REER duquel le transfert s'effectue, choix qui est incompatible avec l'idée voulant que le jugement de divorce énonce un droit de propriété dans les REER de l'appelant dont la mise en cause serait le titulaire. De plus, un tiers ne peut acquérir un droit de propriété dans le REER d'un autre individu puisque la LIR exige qu'un tel régime enregistré soit maintenu au nom de son titulaire ; cela exclut toute possibilité d'un droit de propriété dans un REER au bénéfice d'un tiers qui n'est pas le contribuable titulaire du régime. En conséquence, il s'agit bien ici d'une créance qui constitue une réclamation prouvable dans la faillite de l'appelant, le paragraphe 121(1) LFI ratissant très large. Il faut noter que même les dettes ou obligations alimentaires sont des réclamations prouvables en faillite, le paragraphe 121(4) LFI le précisant expressément. À plus forte raison, c'est aussi le cas d'une dette ou obligation du failli qui fait suite au partage des biens lors de la dissolution du mariage.

Il est vrai que dans le cas d'une dette ou d’une obligation alimentaire, les paragraphes 69.41(1) et (2) LFI prévoient que la suspension des recours et des mesures d'exécution sous la LFI ne vaut qu'à l'égard des biens du failli qui sont dévolus au syndic, ce qui permet au créancier alimentaire de poursuivre l'exécution d'une telle dette ou obligation sur les biens exclus de la saisine du syndic sous le paragraphe 67(1) LFI. Par contre, le législateur fédéral n'a pas étendu cette exception aux dettes ou obligations découlant du partage des biens à la suite de la dissolution d'un mariage, et ce, malgré plusieurs recommandations qui ont été faites en ce sens. Il en découle une intention législative claire au contraire.

En conséquence, l'exécution de l'ordonnance du jugement de divorce portant sur le roulement du REER est donc suspendue par l'effet du paragraphe 69.3(1) LFI, lequel dispose que les créanciers « ne peuvent intenter ou continuer aucune action, mesure d'exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite ».

Cependant, madame n'est pas sans recours. Elle peut se prévaloir de l'article 69.4 LFI pour demander au tribunal de déclarer que la suspension des recours serait levée afin de lui permettre de poursuivre l'exécution de l'ordonnance portant sur le roulement du REER. Puisque le REER de monsieur demeure à l'écart de la portée des créanciers de la faillite, le tribunal pourrait donc, en principe, prononcer une telle ordonnance.

Ainsi, il appartient au juge de faillite de lever la suspension des recours pour permettre à madame de poursuivre l'exécution du jugement de divorce portant sur le partage des droits du REER de monsieur. Il est d'ailleurs logique qu'il en soit ainsi. En effet, la suspension des recours permet au juge de valider l'exécution du roulement du REER de monsieur tout en tenant compte des intérêts des autres créanciers de la faillite.

Il faut en effet constater que l'alinéa 67(1)b.3) LFI inclut dans le patrimoine dévolu au syndic les « cotisations au régime [enregistré d'épargne-retraite] […] au cours des douze mois précédant la date de la faillite ». Il appartient au juge siégeant sous l'article 69.4 LFI de s'assurer, notamment, que les biens d'un failli versés dans un REER sur lesquels un partage du patrimoine familial s'effectue ne comprennent pas de telles contributions ou d'autres biens qui auraient été versés au REER du failli en fraude des droits de ses créanciers. L'approche préconisée par la LFI est en effet celle du « guichet unique ».

En terminant, l'approche des juges majoritaires soulève plus de questions qu'elle n'en résout. Premièrement, comme le soussigné le signalait plus haut, l'article 419 C.c.Q. prévoit que « [l]'exécution du partage du patrimoine familial a lieu en numéraire ou par dation en paiement ». L'article 1799 C.c.Q. définit la dation en paiement. L'article 1800 C.c.Q. prévoit que la « dation en paiement est assujettie aux règles du contrat de vente » et qu'elle « n'est parfaite que par la délivrance du bien ». Le concept d'une dation en paiement d'une somme d'argent est en porte-à-faux avec ces articles. La conclusion contraire de mon collègue apparaît donc comme une nouveauté dans le droit civil qui semble incompatible avec le concept de la dation en paiement. Deuxièmement, même si madame détenait un droit de propriété sur une somme d'argent détenue dans l'un des REER de monsieur (ce qui n'est d'ailleurs pas permis par la LIR) comme le suggère le juge Gagnon, la somme sujette à ce droit de propriété serait néanmoins en la possession et sous le contrôle de monsieur au moment de sa faillite, puisque comprise dans un REER sur lequel il exerce un contrôle effectif. Dans un tel cas, le paragraphe 81(1) LFI obligerait de toute façon madame à produire au syndic une preuve de sa réclamation. Toute décision prise par le syndic à cet égard serait alors sujette à contestation par monsieur ou par les autres créanciers devant le tribunal de faillite. Pour toutes ces raisons, le soussigné accueillerait l'appel à la seule fin de déclarer que toute mesure d'exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de la créance énoncée au paragraphe du jugement de divorce portant sur le REER sont suspendues par l'effet de la LFI. Le soussigné déclarerait aussi que la mise en cause peut poursuivre ses recours sous l'article 69.4 ou, selon le cas, le paragraphe 187(5) LFI ou toute autre disposition pertinente de cette loi, afin de s'assurer que le tribunal compétent prenne les mesures qui s'imposent afin d'assurer l'exécution du jugement de divorce à l'égard du REER de monsieur.


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