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Les enregistrements des communications interceptées par la police pourront être utilisés par la Commission Charbonneau

Résumé de décision : Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ) c. Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'Industrie de la construction, EYB 2014-242762 (C.A., 3 octobre 2014)
Les enregistrements des communications interceptées par la police pourront être utilisés par la Commission Charbonneau

Les juges KasirerLevesque et Gagnon.  Le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (F.T.Q.) (ci-après le Fonds) et Michel Arsenault (Arsenault) [collectivement, les appelants] avaient présenté une requête devant la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (la Commission), afin d'empêcher l'utilisation d'une preuve d'écoute électronique recueillie lors d'une enquête policière. Les appelants ont été déboutés devant la Commission ainsi qu'en révision judiciaire. Ils appellent de ce dernier jugement, soit celui de la Cour supérieure.

Le juge de la Cour supérieure (le juge Prévost) n'a pas erré lorsqu'il a conclu que la preuve d'écoute électronique a valablement été obtenue par la Commission en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par sa loi habilitante. La Commission pouvait assigner un représentant de la Sûreté du Québec comme elle l'a fait, même si elle n'avait pas encore adopté de règles de procédure ou tenu d'audiences publiques. Le décret du 9 novembre 2011 donnait à la présidente de la Commission les pouvoirs nécessaires pour délivrer l'assignation du 8 décembre 2011. En outre, le juge Prévost a validement écarté l'interprétation que les appelants faisaient de l'article 9 de la Loi sur les commissions d'enquête (LCE). Il a noté que cette disposition devait être lue dans son contexte. Ainsi, le dépôt de documents ne se fait pas uniquement par témoignage devant les commissaires en audience publique. Compte tenu de l'objectif de recherche de la vérité, une certaine souplesse s'impose dans l'application du cadre procédural de la Commission. Cette dernière doit nécessairement pouvoir prendre connaissance de certains documents avant l'assignation des témoins. Ultimement, seuls les renseignements qui auront été présentés lors des audiences publiques pourront servir lors de la confection du rapport final.

Dans un deuxième temps, le juge Prévost ne s'est pas trompé en tranchant que l'exemption de l'alinéa 193(2)a) C.cr. s'appliquait au policier faisant l'objet de l'assignation. Il a eu raison de mentionner que cette exemption ne se limitait pas aux procédures de compétence fédérale. Il s'est également bien dirigé en droit en retenant que les commissions d'enquête entraient dans la catégorie «toutes autres procédures / any other proceedings» de l'alinéa 193(2)a) C.cr. L'exemption de l'alinéa 193(2)a) C.cr. se rapporte à la divulgation des renseignements dans un contexte d'administration de la justice et sous contrôle judiciaire. La Commission exerce son mandat de recherche de la vérité de manière indépendante. Elle est visée par cette exemption. Enfin, malgré ce que les appelants soutiennent, l'obtention de la preuve d'écoute électronique et son utilisation en preuve s'inscrivent «au cours ou aux fins d'une déposition».

De l'avis du juge Prévost, la preuve d'écoute électronique pouvait non seulement être divulguée, mais également utilisée dans le cadre des travaux de la Commission. Il a appliqué deux normes d'intervention distinctes. Il a d'abord retenu la norme de la décision correcte en ce qui concerne le droit d'utiliser l'écoute électronique. Étant donné que l'alinéa 193(2)a) C.cr. constitue une exemption à une infraction, les appelants avaient tort de prétendre que cette disposition devait faire l'objet d'une interprétation restrictive. Il convenait plutôt de recourir à la notion du «juste équilibre», comme le juge Prévost l'a fait. Ce dernier a d'ailleurs valablement considéré l'intention du législateur qui est de protéger la vie privée. Même s'il est vrai que l'interception de communications privées ne peut être autorisée que dans le cadre d'enquêtes portant sur des infractions criminelles, la preuve ainsi obtenue peut être utilisée dans d'autres procédures si cela est pertinent et respecte les règles de procédure. Le juge Prévost a eu raison de retenir que la décision de la Commission était correcte. L'autre question est de savoir si la Commission pouvait exiger que la preuve soit déposée devant elle. La norme de la décision raisonnable est celle qui s'appliquait à cette question. Les appelants se méprennent en affirmant que tous les organismes dont le pouvoir d'assignation découle de l'article 9 LCE pourraient demander la production de preuve d'écoute électronique obtenue dans le cadre d'enquêtes criminelles. Seuls les organismes qui mènent des enquêtes s'apparentant aux «autres procédures» de l'alinéa 193(2)a) C.cr. peuvent bénéficier de l'exemption. Le juge Prévost n'a pas rendu une décision déraisonnable en concluant que la Commission pouvait, en vertu de son mandat, exiger la production des enregistrements.

Le juge de la Cour supérieure n'a pas commis d'erreur en choisissant d'appliquer la norme de la décision raisonnable relativement à la prétendue violation des droits fondamentaux des appelants. Contrairement à ce que ces derniers soutiennent, cette question n'a pas une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. La Commission a statué sur les droits fondamentaux des appelants lorsqu'elle s'est penchée sur l'admissibilité de la preuve d'écoute électronique. Elle a alors usé de sa discrétion. L'analyse qui a été faite s'inscrit au coeur de la mission de la Commission. De plus, la question des droits fondamentaux n'est pas étrangère au domaine d'expertise de la Commission. En ce sens, la retenue s'impose.

Le juge Prévost a valablement retenu que la Commission avait rendu une décision raisonnable en ce qui concerne les droits fondamentaux des appelants. Après avoir valablement mentionné que sa mission devait être accomplie avec efficacité et célérité, la Commission a constaté que le droit à la vie privée n'est pas absolu. L'expectative de vie privée des appelants est réduite, étant donné que les communications ont été interceptées légalement. De plus, les communications s'inscrivaient dans le cadre des activités professionnelles des appelants. Qui plus est, Arsenault occupait une charge publique. En outre, le droit à la réputation des appelants ne peut être totalement épargné par la Commission. Les commissions d'enquête ont des rôles d'enquête et d'éducation du public. Bien qu'elles doivent respecter les règles d'équité procédurale, leurs conclusions de fait ont le potentiel de nuire à la réputation de certaines personnes. Par ailleurs, la Commission n'a pas une obligation complète de divulgation de la preuve. En vertu de l'article 30 de ses règles de procédures, les témoins entendus par la Commission reçoivent un «résumé de témoignage anticipé». Cela se révèle raisonnable. Il faut ajouter que, dans les faits, la Commission n'entend pas utiliser l'ensemble de la preuve d'écoute électronique. Seuls les extraits jugés pertinents seront déposés dans le cadre de l'audition des témoins.

Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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