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L’ex-policière Stéfanie Trudeau, aussi connue sous le nom « Matricule 728 », est déclarée coupable de voies de fait en lien avec une arrestation musclée

Résumé de décision : R. c. Trudeau, EYB 2016-262550 (C.Q., 25 février 2016)
L’ex-policière Stéfanie Trudeau, aussi connue sous le nom « Matricule 728 », est déclarée coupable de voies de fait en lien avec une arrestation musclée

On reproche à l'accusée, une ex-policière du Service de police de la ville de Montréal aussi connue sous le nom « Matricule 728 », de s'être livrée à des voies de fait contre un dénommé Serge Lavoie lors d'une intervention sur l'avenue Papineau, le 2 octobre 2012, mettant en cause quatre protagonistes, soit M. Lavoie, Rudi Ochietti, Simon Pagé et Karen Molina. Le ministère public avance que l'accusée n'avait aucun motif pour arrêter M. Lavoie et qu'elle a commis, donc, des voies de fait. Si le tribunal conclut que M. Lavoie a entravé le travail de l'accusée et que l'arrestation était légale, le ministère public soutient alors que la force utilisée par l'accusée allait au-delà de ce que permet le paragraphe 25(1) C.cr. Les avocats de la défense soutiennent, de leur côté, qu'il y a eu entrave de la part de M. Lavoie, que l'arrestation était justifiée et que la force utilisée par l'accusée, vu la résistance de M. Lavoie, était nécessaire et proportionnée. Ils ont en outre présenté deux requêtes en arrêt des procédures. Dans la première, ils avancent que le délai qui précède l'inculpation cause un préjudice injustifié à l'accusée, mais surtout que ce délai s'explique et trouve son origine dans la conduite répréhensible et abusive de l'État, c'est-à-dire le ministère public. Dans la deuxième, ils invoquent un manquement du ministère public à son obligation de divulgation de la preuve.

En ce qui a trait à la deuxième requête en arrêt des procédures, notre analyse permet de conclure que la divulgation tardive des deux photos de M. Ochietti, du log d'enquête à la base du précis d'enquête et des cinq pages additionnelles de ce précis ne compromet d'aucune manière l'équité du procès de l'accusée, n'empêche nullement une défense pleine et entière et ne mine en rien l'intégrité du système. En effet, les avocats de la défense ont renoncé à contre-interroger M. Ochietti alors qu'il était disponible et l'explication fournie par l'enquêtrice Beaudoin quant au retard dans la divulgation ne laisse poindre aucune conduite vexatoire ou intentionnelle. Quant au log d'enquête, l'interrogatoire de l'enquêtrice Beaudoin démontre clairement et sans équivoque qu'il s'agit de notes de nature administrative qui relatent les démarches accomplies et qui constituent la base de ce que l'on retrouve dans le précis d'enquête remis aux avocats, mis à part quelques informations qui sont absentes, sans conséquence ou qui ont été colligées différemment. Enfin, pour ce qui est des cinq pages additionnelles du précis d'enquête, elles concernent des démarches qui ont été effectuées après la dernière entrée dans le précis.

En ce qui concerne la première requête en arrêt des procédures, les avocats de la défense prétendent que le délai de 18 mois dont le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a eu besoin pour porter l'accusation contre l'accusée, de même que le temps pris par le poursuivant municipal responsable des dossiers des quatre protagonistes pour abandonner les poursuites contre ces derniers, n'est pas anodin et milite en faveur de tergiversations et marchandage. En effet, selon les avocats, les déclarations des protagonistes qui ont permis au DPCP d'asseoir son accusation contre l'accusée ont été obtenues en échange de l'abandon des poursuites contre eux. Une telle conduite répréhensible et abusive de l'État constituerait, selon les avocats, un abus de procédure qui fait partie de la catégorie dite résiduelle. Les limites du pouvoir discrétionnaire du poursuivant sont bien établies. Il en est de même des limites des tribunaux qui sont tentés de s'immiscer dans cette sphère. Ces derniers ne doivent pas examiner les motifs qui sous-tendent les actes résultant de l'exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites s'ils ne peuvent s'appuyer sur une preuve suffisante. En l'espèce, c'est le délai de 18 mois, le fait que l'accusation contre l'accusée a été portée après l'obtention des déclarations des protagonistes et l'absence d'accusations contre ces derniers qui fondent la thèse de la défense. Or, le délai préinculpatoire n'est pas à lui seul générateur d'une justification menant à un arrêt des procédures. Certes, on peut se poser des questions sur un tel délai et l'attente des déclarations des protagonistes. Il ne faut pas oublier cependant qu'il s'agit non seulement d'une policière, mais d'un événement extrêmement médiatisé. Donc un dossier que l'on peut qualifier de délicat. Pour ce qui est de l'absence d'accusations contre les protagonistes, rien ne peut être inféré de ce fait, sans autre élément factuel qui alimenterait de près ou de loin un marchandage. Bref, l'on ne peut s'appuyer ici sur une preuve suffisante pour procéder à un examen des circonstances ayant entraîné le délai, l'absence d'accusations et l'obtention des déclarations des protagonistes.

Qu'en est-il de l'accusation de voies de fait ? D'emblée, précisons que l'analyse des faits comporte plus d'un volet en raison du déroulement de la trame factuelle. Il y a d'abord la séquence filmée qui va de la neutralisation de M. Ochietti jusqu'à l'arrestation de M. Lavoie. Il y a ensuite la séquence non filmée qui va de l'interpellation de M. Ochietti jusqu'à la mise au sol de ce dernier. Au sujet de la séquence non filmée, l'analyse de la preuve indique ce qui suit : l'accusée et son collègue ont immobilisé leur véhicule de patrouille lorsqu'ils ont vu M. Ochietti avec une bière sur le trottoir, devant le 4381 avenue Papineau ; l'accusée est sortie rapidement du véhicule et son collègue l'a suivie ; l'accusée s'est adressée à M. Ochietti alors qu'elle marchait dans sa direction et, voyant qu'il s'apprêtait à entrer, elle a crié « Eh toé » en accélérant le pas ; M. Pagé, qui n'avait pas remarqué la bière, s'est adressé à l'accusée et a été rabroué par elle ; la situation s'est corsée lorsque M. Ochietti a demandé pourquoi et, dès lors, M. Pagé s'est dépêché d'aller chercher sa caméra et a avisé M. Lavoie, qui venait de déposer son instrument à l'étage et qui est redescendu aussitôt avec sa caméra ; lorsque MM. Pagé et Lavoie sont arrivés en bas, M. Ochietti était déjà au sol. Cette interpellation, qui était brusque et dépourvue de tout civisme, est le prélude à l'arrestation illégale et brutale de M. Ochietti, laquelle a été effectuée en utilisant une force qui n'était pas nécessaire et, donc, excessive et mal avenue. À compter de l'arrestation illégale de M. Ochietti, les gestes illégaux et les abus de pouvoir de l'accusée ne font que s'accumuler.

Quant à la séquence filmée, on constate que M. Lavoie adresse à l'accusée des propos vulgaires, grossiers et dénigrants. Celui-ci n'aime pas ce qu'il voit et reconnaît l'accusée comme étant « Matricule 728 ». Cette dernière lui dit « qu'il est mieux de s'effacer », ce que M. Lavoie fait. C'est à ce moment que l'accusée laisse M. Ochietti avec son collègue et part à la poursuite de M. Lavoie. Ce n'est pas la policière qui part à la poursuite d'une personne qui entrave, mais l'accusée qui veut corriger celui qui l'a insultée. Elle monte à l'étage, ordonne à M. Lavoie de sortir et, sans aucune explication, le tire par le bras et lui fait une encolure. Ils sont tous les deux dans l'escalier et peuvent tomber à tout moment. Pendant la descente, M. Lavoie demande à l'accusée de le laisser respirer. Une fois sur le palier de l'entrée, alors que M. Lavoie peine à se relever, l'accusée lui fait une deuxième encolure, car, dit-elle, il recommence à résister et tente de s'enfuir. Vu la preuve, on ne peut arriver au même constat.

Refuser de s'identifier lors d'une interpellation pour une infraction pénale peut constituer une entrave. Cela dit, le citoyen qui demande la raison pour laquelle il doit s'identifier ne commet certainement pas une entrave. Sa demande ne constitue pas non plus un motif d'arrestation immédiat. Évidemment, il faut tenir compte de toutes les circonstances, mais à moins de circonstances particulières ou exceptionnelles, il n'est pas interdit au citoyen interpellé d'interroger le policier. Ici, l'arrestation de M. Ochietti a été effectuée sans motif et était donc illégale. Et, dans le cas contraire, l'accusée a agi hors du cadre balisé du paragraphe 25(1) C.cr. en utilisant la force pour arrêter M. Ochietti. En effet, trois éléments sont nécessaires pour justifier l'utilisation de la force. Premièrement, il faut que la personne soit autorisée à agir. Deuxièmement, il faut que la personne s'appuie sur des motifs raisonnables. Troisièmement, la personne ne peut utiliser que la force nécessaire. Dans la présente affaire, tant l'arrestation que l'utilisation de la force ne peuvent être objectivées. Les motifs raisonnables de procéder à l'arrestation ne sont pas présents et l'utilisation de la force ne découle pas de la nécessité dans le cadre d'une arrestation légale. C'est dans ce contexte que M. Lavoie arrive avec sa caméra et qu'il commence à invectiver l'accusée. Commet-il une entrave ?

Si l'accusée était en fonction au moment des événements, elle n'était pas dans l'exercice de ses fonctions lorsqu'elle a empoigné M. Ochietti et l'a mis au sol, car l'arrestation était illégale. Par conséquent, les invectives et les insultes proférées par M. Lavoie ne peuvent constituer une entrave. D'autre part, même si l'on arrivait à la conclusion que l'accusée était dans l'exercice de ses fonctions et que l'arrestation de M. Ochietti était légale, les circonstances ne permettraient pas de conclure que M. Lavoie a entravé l'accusée dans l'exercice de ses fonctions. En effet, lorsque ce dernier est arrivé sur le trottoir avec sa caméra, M. Ochietti était déjà au sol et l'on s'apprêtait à le menotter. Les insultes n'ont pas empêché l'accusée et son collègue d'arriver à leur fin. Cela ne signifie pas que des insultes et des injures ne peuvent pas constituer une entrave. Ce que l'on dit, c'est que dans ce cas-ci, le contexte ne permet pas de conclure que les propos disgracieux et vulgaires de M. Lavoie constituent une entrave. Et, même si l'on concluait que ce dernier avait entravé l'accusée qui agissait légalement dans l'exercice de ses fonctions, il faudrait déterminer si la force employée était nécessaire, proportionnée ou, au contraire, excessive et démesurée. Or, dès la première encolure, non seulement la force utilisée est excessive et démesurée, mais sa nécessité n'est pas démontrée. On ne partage pas l'avis de l'expert retenu par les avocats de la défense, lequel avait le mandat d'analyser la technique de contrôle par l'encolure utilisée par l'accusée. Premièrement, plusieurs des faits utilisés pour construire son opinion ne sont pas en preuve ou n'existent plus, tels qu'ils sont rapportés. Deuxièmement, il écrit dans son rapport que l'accusée a appliqué la technique de contrôle par l'encolure sur le palier de l'étage pour se défendre et faire cesser les coups de pieds de M. Lavoie. On parle ici de coups de pieds qui sont niés par M. Lavoie, qui ne sont pas à la connaissance du collègue de l'accusée et que cette dernière n'est plus en mesure de qualifier d'intentionnels, si le tribunal concluait à leur existence. L'expert écrit aussi dans son rapport que la technique de contrôle par l'encolure est employée, entre autres, lorsque le policier doit immédiatement contrôler une personne violente. Or, il n'y avait pas de violence dans les faits et gestes de M. Lavoie lorsqu'il a été pris par l'encolure. C'est l'accusée qui l'a tiré vers elle pour lui faire une encolure. Les coups de pieds allégués, s'ils existent, sont venus après. Enfin, même si l'on écarte toutes les illégalités qui précèdent la deuxième encolure sur le palier de l'entrée, on ne peut conclure que l'accusée agissait dans le cadre permis par le paragraphe 25(1) C.cr. lorsqu'elle a fait cette deuxième encolure. M. Lavoie ne se débattait pas, il ne résistait pas et il ne tentait certainement pas de s'enfuir : il tentait de se lever avec son bras. À ce moment, c'est la rage, et non la nécessité, qui guidait l'accusée. Cette dernière a d'ailleurs affirmé elle-même qu'elle savait, le 2 octobre 2012, que sa carrière était terminée. Cette affirmation constitue un indice sérieux que l'accusée était consciente de sortir du cadre de l'exercice de ses fonctions au cours de l'incident.

En résumé, l'analyse de la preuve nous convainc hors de tout doute raisonnable de ce qui suit : l'interpellation maladroite et brusque de M. Ochietti faite par l'accusée constitue l'élément déclencheur d'une situation qui dégénère en quelques minutes ; l'arrestation musclée de M. Ochietti pour refus de collaborer n'est pas objectivable, est illégale et constitue des voies de fait, considérant la force utilisée ; il n'y a pas d'entrave, de voies de fait ou d'intimidation de la part de MM. Ochietti et Lavoie ; à compter du moment où elle empoigne M. Ochietti jusqu'à celui où elle procède à l'arrestation de M. Lavoie sur le palier de l'entrée, l'accusée agit illégalement et commet des voies de fait contre M. Lavoie ; même si l'on concluait à une arrestation légale, la force utilisée serait jugée objectivement excessive et démesurée, d'où une conclusion de voies de fait contre M. Lavoie.

Pour tous ces motifs, l'accusée est déclarée coupable de l'infraction reprochée.


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