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Madame a droit à une pension alimentaire de 15 000 $ par mois, à une somme forfaitaire de 500 000 $ et à une provision pour frais de 186 000 $

Résumé de décision : K. (A.) c. J. (S.), sub nom. Droit de la famille – 151324, EYB 2015-253142 (C.A., 10 juin 2015)
Résumé de décision extrait de La référence

Monsieur se pourvoit contre un jugement de la juge Nantel ordonnant le versement de deux pensions alimentaires. La première, pour madame, est de 15 000 $ par mois, et la seconde, pour les trois enfants, s’élève à 4 500 $ par mois. Le jugement ordonne également à monsieur de verser à madame une somme forfaitaire de 500 000 $, ainsi qu’une provision pour frais de 186 000 $.

L’appel est rejeté. La juge est d’avis que, durant le mariage, « money was no object ». Selon monsieur, il s’agit d’une erreur, puisque la vie des parties, bien que confortable, voire aisée, n’était ni somptueuse ni faste. Il est vrai que l’expression « money is no object » n’est pas nécessairement la plus juste ici. Au-delà de cette expression toutefois, il reste que le niveau de vie était élevé et les quelques erreurs de fait identifiées par monsieur ne sont pas de nature à modifier cette conclusion. Dans l’évaluation des revenus de monsieur, la juge retient d’abord un revenu annuel de base de 371 486 $, provenant d’une moyenne calculée sur cinq ans (2007 à 2011) par l’expert de monsieur. Elle tire ensuite certaines conclusions factuelles qui la mènent à y ajouter plusieurs autres sources de revenus, pour un revenu annuel total de 848 486 $, principalement parce que monsieur a d’importants gains occultes récurrents, parce que ses revenus apparaissant à ses déclarations fiscales ne reflètent pas la réalité et parce que le gain en capital fait partie du cours normal de ses affaires. La juge précise que « les gains en capital non récurrents peuvent être exclus du calcul alors que les récurrents doivent être comptabilisés. Il y a donc place à appréciation » et elle décide d’ajouter une portion (300 000 $) des gains en capital de monsieur dans le calcul de ses revenus, au motif qu’il « a toujours maintenu son train de vie en fonction de ces fonds ». Il faut savoir que monsieur a réalisé des gains en capital de l’ordre de 4 M$ en 2008 et de quelque 170 000 $ en 2010 et qu’il est toujours propriétaire de deux immeubles valant près de 9 M$. Il est vrai que les activités financières de monsieur se situent à mi-chemin entre celles d’un spéculateur immobilier et celles d’une personne qui ne vendrait un immeuble qu’à une occasion. Même s’ils ne se répètent pas annuellement, les gains en capital de monsieur demeurent pertinents à l’évaluation de ses revenus. La juge pouvait donc inclure une portion raisonnable des gains en capital obtenus au cours des dernières années, d’autant que le train de vie des parties était maintenu grâce à de tels gains. S’il fallait ne pas en tenir compte, l’évaluation des revenus de monsieur ne correspondrait pas à la réalité. Même si l’interprétation de la juge est avantageuse pour madame, cela ne saurait constituer en soi une erreur.

Par ailleurs, monsieur, qui reconnaît avoir eu des revenus en argent comptant, nie toutefois qu’ils aient été de l’ampleur décrite par madame. La juge préfère la version de madame. Cette décision se fonde sur une détermination de la crédibilité des témoins, et monsieur ne démontre pas d’erreur révisable. Il est en effet raisonnable de croire que les sommes en question sont plus importantes que ce qu’en dit monsieur.

Monsieur fait également valoir que son revenu annuel devrait être établi sur une moyenne de quatre ans, plutôt que cinq, ce qui donnerait un résultat de 310 000 $ au lieu de 371 486 $. Il ne convainc pas la Cour que tel doit être le cas. Ses déclarations de revenus n’étaient pas fidèles à la réalité, ce qui donnait ouverture à l’application de l’art 825.12 C.p.c., qui confère au juge le pouvoir discrétionnaire d’attribuer un revenu. Dans cet esprit, la juge pouvait non seulement utiliser une référence de cinq ans, pour tenir compte de la réalité, mais également ajouter d’autres revenus au montant de base établi par l’expert, notamment les gains en capital et les revenus occultes.

Par contre, la juge commet une erreur en comptabilisant en double certains montants, notamment les avantages corporatifs de 47 000 $, puisqu’elle les ajoute au revenu de base de 371 486 $ alors qu’ils y sont déjà inclus, comme le démontrent le rapport et le témoignage de l’expert de monsieur. Toutefois, cette erreur n’est pas déterminante même si la Cour considérait que l’impact fiscal estimé à 75 000 $ fait également double emploi, comme le plaide monsieur. Il faudrait de toute façon retrancher de cette dernière somme un certain montant, puisqu’une portion de l’impact fiscal estimé retenu par la juge a trait aux revenus occultes de monsieur, ce qui n’est évidemment pas comptabilisé dans le rapport de l’expert. On pourrait donc estimer le montant compté en double à tout au plus 100 000 $ et réduire d’autant le revenu évalué par la juge à 848 486 $. D’une part, cette erreur n’aurait pas d’impact sur le montant de pension qui sera versé aux enfants. En effet, l'article 10 du Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants confère un pouvoir discrétionnaire en la matière pour la portion de revenu supérieure à 200 000 $, ce qui demeure le cas ici, malgré l’erreur. De plus, la juge n'utilise pas le revenu de 848 486 $ pour fixer la pension, mais tranche plutôt à la baisse : la pension s’élèverait à 5 618 $ par mois selon le Règlement s’il fallait se fonder sur des revenus de 848 486 $, alors que la juge octroie 4 500 $ par mois. En outre, en la matière, l'art. 825.12 C.p.c. confère un pouvoir discrétionnaire au tribunal lorsque les revenus inscrits dans les documents prescrits ne reflètent pas la réalité, comme ici. La juge précise que son évaluation des revenus de monsieur est conservatrice. Dans ces circonstances, la pension accordée pour les enfants est raisonnable et l’erreur n’y changerait rien. D’autre part, en ce qui a trait à l’évaluation de la pension alimentaire payable à madame, même si elle est élevée, la présence d'actifs importants et le fait que, là encore, la juge évalue de façon conservatrice les revenus de monsieur amènent la Cour à conclure que l’erreur ne serait pas plus déterminante.

Il importe de rappeler que le caractère traditionnel du mariage, qui est reconnu par monsieur, est un élément important, puisqu’il donne ici ouverture au fondement compensatoire de la pension. Dès lors, la somme allouée vise également à indemniser madame pour les difficultés à atteindre l’indépendance économique après le mariage, puisque le conjoint qui s’occupe au foyer de l’éducation des enfants pendant une longue période vit une perte d’avancement professionnel dont les effets continuent souvent de se faire sentir plusieurs années après le divorce. En l’espèce, la durée du mariage est de 12 ans (avec une cohabitation préalable de deux ans) et madame devra continuer à s’occuper des enfants pendant un certain temps.

Pour établir la pension payable à madame, la juge choisit de tenir compte du train de vie des parties pendant le mariage, ce qui est approprié. La somme de 15 000 $ par mois est généreuse, mais elle demeure dans les limites de ce qui est raisonnable. Par ailleurs, bien qu’un terme eût pu être ordonné, il revenait à la juge de trancher la question et il n’appartient pas à cette Cour de le faire dans les circonstances.

La juge évalue les actifs de monsieur à environ 15 M$. Selon celui-ci, ils seraient plutôt de 7 M$ cristallisés dans deux immeubles à revenus dont un ne sera vendu qu’en 2026. Par contre, son propre expert parle de 10,4 M$, en date de l’introduction de l’instance, mais monsieur fait état notamment de pertes de quelque 2 M$ survenues à la Bourse depuis cette date. Même si la juge ne traite pas expressément de ces pertes, monsieur ne fait pas voir d’erreur déterminante.

Sur la propriété des comptes en Suisse, monsieur a tort d’affirmer que son témoignage selon lequel ils appartiennent à son père n’est pas contredit. Bien au contraire, comme le souligne la juge, les comptes étaient enregistrés à son nom en date du 30 septembre 2011, date retenue pour établir son avoir net, ce qui contredit son affirmation. La juge pouvait donc les inclure dans son évaluation.

En ce qui a trait à la propriété de la Compagnie A, la juge conclut que, même si elle croit à l’existence d’une entente verbale entre monsieur et son frère, ce dernier est aujourd’hui décédé et, écrit-elle, « il n’y a pas un iota de preuve démontrant que monsieur est redevable de quoi que ce soit envers la succession de son frère ». Monsieur ne pointe pas d’élément de preuve permettant d’infirmer cette conclusion de la juge. En ce qui concerne la somme due à monsieur par la succession de son frère, elle est qualifiée d’actif dans le rapport de revenus. Ainsi, la juge était fondée à en tenir compte.

Au procès, madame demandait un « clean break » de 3 M$, dont 2,5 M$ en aliments et 500 000 $ en capital. La juge refuse d’accorder les 2,5 M$, lui préférant une pension périodique. Dans les paragraphes 130, 143, 144, 145 et 146, la juge estime que la demande de 20 000 $ par mois ne peut être retenue et une pension de 15 000 $ par mois doit être octroyée, ce qui permettra à madame de maintenir son train de vie, d’autant, peut-on ajouter, que la pension pour les enfants et la somme de 100 000 $ versée annuellement par monsieur pour les frais particuliers de ces derniers couvrent la totalité des dépenses reliées aux enfants. De plus, si, selon la juge, « le paiement d'une pension alimentaire périodique rejoint davantage tous les objectifs énoncés à l'article 15.2 (6) de la Loi sur le divorce », cela ne signifie pas qu’elle permet, à elle seule, d’atteindre tous les objectifs énoncés à ce paragraphe. L’analyse doit porter sur l’ensemble et c’est nécessairement ce que la juge a fait. L’on peut alors croire qu’elle aurait octroyé une pension plus élevée si elle n’avait pas accordé la somme forfaitaire. On ne peut indûment traiter les deux volets de façon isolée et il faut lire le jugement dans son ensemble. Les paragraphes 149 et 150 du jugement entrepris ne contredisent pas ce que la juge a dit au paragraphe 130 du jugement. Encore là, si le capital que possède déjà madame « servira, le temps venu, à lui procurer la sécurité financière », il ne faut pas comprendre que cela suffira, même si ce capital doit être considéré dans l’analyse et pourra « servir » à assurer sa sécurité. Il est manifeste que, selon la juge, si le capital peut servir à cette fin, il ne suffira toutefois pas et il faut lui ajouter la somme forfaitaire. En effet, lorsque viendra le temps de vendre la résidence, probablement au départ des enfants, madame devra se reloger et une partie plus ou moins importante du produit devra être réinvesti à cette fin, ce qui diminuera d’autant ses ressources financières. En somme, madame ne possédant que 138 000 $ sous forme de REER, la résidence ne peut, à elle seule, assurer sa sécurité financière.

Dans les circonstances, monsieur ne démontre pas qu'est entaché d'une erreur révisable l'octroi par la juge d'une somme forfaitaire destinée à assurer à madame une « vie confortable pour ses vieux jours ». Notons que la décision de monsieur de cacher certains revenus ne lui a pas facilité la tâche, mais il va sans dire que, selon les conclusions factuelles de la juge, il a la capacité financière de payer cette somme.

Monsieur ne démontre pas d’erreur dans l’exercice par la juge de son pouvoir discrétionnaire au chapitre de la provision pour frais. La complexité de l’affaire, ainsi que le fait que madame agissait en partie au nom des enfants, explique sa décision d’octroyer l’ensemble des frais. Comme elle l’explique, décider autrement aurait obligé madame à entamer son capital, « ce qui reviendrait à lui faire payer des frais qui étaient nécessaires pour éclairer le tribunal sur le volet financier et corporatif du dossier ».


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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