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Pour avoir causé la mort de sa conjointe atteinte d'Alzheimer, l’accusé est condamné à deux ans moins un jour de prison

Résumé de décision : R. c. Cadotte, EYB 2019-311931 (C.S., 28 mai 2019)
Pour avoir causé la mort de sa conjointe atteinte d'Alzheimer, l’accusé est condamné à deux ans moins un jour de prison

Au terme de son procès pour le meurtre de sa conjointe, Jocelyne Lizotte, l'accusé a été reconnu coupable d'homicide involontaire coupable. Mettant l'accent sur les circonstances particulières et exceptionnelles de cette affaire, soit la maladie de Mme Lizotte (Alzheimer) de même que l'épuisement de l'accusé et le dévouement empressé de celui-ci envers sa conjointe, la défense estime que la peine adéquate devrait être un emprisonnement de six à douze mois, duquel l'on soustrait les 205 jours de détention préventive. En fin de compte, la défense suggère une sentence suspendue ou un emprisonnement discontinu, ainsi qu'une probation assortie de travaux communautaires. Le ministère public suggère, quant à lui, un emprisonnement de huit ans. Il plaide que les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale devraient être priorisés, car l'ensemble de la société doit savoir qu'on ne peut causer la mort d'autrui, même si l'on est aux prises avec une grande souffrance et que l'on est épuisé et usé.

En matière d'homicide involontaire coupable, la tâche du juge chargé de déterminer la peine est des plus ardues, les peines variant de la sentence suspendue à l'emprisonnement à perpétuité. Le ministère public soutient que le tribunal devrait imposer une peine qui se situe dans les fourchettes existantes pour le crime d'homicide involontaire coupable. Il ajoute que les faits en l'espèce se rapprochent du quasi-meurtre et ainsi nous placent dans la fourchette la plus élevée. Certes, l'on peut qualifier les gestes de quasi-meurtre, car le fait de prendre un oreiller et de le maintenir quelques minutes sur le visage d'une personne nous éloigne de l'accident, d'autant plus que la motivation de l'accusé était de mettre fin aux souffrances de sa conjointe. Toutefois, si le tribunal peut s'inspirer des fourchettes existantes, il ne peut le faire à l'aveuglette ni de façon automatique. Cette affaire est unique. Il est donc difficile d'appliquer ces fourchettes.

La peine doit être individualisée. Ici, l'imposition d'une peine d'emprisonnement servirait les fins de la justice. Sans surprise, la présente affaire a fait l'objet de nombreux commentaires, surtout à l'ère où les réseaux sociaux prennent une grande place. Cette affaire a soulevé les passions dans l'opinion publique. La maladie d'un être cher, la solitude, l'impuissance, le rôle ingrat des aidants naturels, la vie en CHSLD, le système de santé et l'aide médicale à mourir sont des sujets qui ne laissent personne indifférent et qui suscitent des débats de société. Comme citoyen, l'on ne peut qu'espérer que les cris d'alarme lancés par le Regroupement des aidants naturels du Québec et la Fédération québécoise des Sociétés Alzheimer lors de l'audience relative à la détermination de la peine tenue dans la présente affaire auront été entendus. Cela dit, le rôle du tribunal est d'imposer une peine juste. Ce n'est pas la clameur publique qui dicte la peine à imposer, mais uniquement la preuve présentée.

L'accusé, un homme amoureux, épuisé, usé et souffrant de dépression, a donné neuf ans de sa vie pour que sa conjointe conserve une certaine dignité, qu'elle ne souffre pas trop et qu'elle obtienne les soins nécessaires. Il a cependant commis l'irréparable. Il a causé la mort par suffocation de la femme qu'il aimait et, contrairement à ce que d'aucuns pourraient penser, ceci ne fait pas de lui un héros. Les circonstances de cette affaire sont aussi tragiques que tristes, pathétiques et uniques. Une longue histoire d'amour qui se termine par un drame dont les conséquences se feront sentir longtemps au sein de la famille Lizotte. Bien que le risque de récidive soit inexistant, et même s'il s'agit d'un passage à l'acte isolé dans un contexte particulier, le fait est que les gestes se rapprochent plus du quasi-meurtre que du quasi-accident. Ces gestes doivent être dénoncés. Si l'on peut comprendre que la situation dans laquelle l'accusé s'est retrouvé a pu entraîner les gestes fatidiques, il demeure qu'aux yeux du droit, ces gestes ne peuvent être excusés. Causer illégalement la mort d'un être humain constitue et constituera toujours un acte répréhensible qui doit être sanctionné. Il faut aussi tenir compte de la nécessité de dissuader quiconque serait tenté de commettre des gestes similaires. Le message doit être clair. On ne peut poser de tels gestes à l'égard d'une personne malade, vulnérable, dépendante et incapable de manifester sa volonté, et ce, même si dans le passé la personne a exprimé son désir de mourir. Dans notre société, les législateurs ont pris soin d'encadrer l'aide médicale à mourir. La société ne permet pas que l'on prenne la justice entre nos mains hors du cadre législatif prévu. Cela dit, la dénonciation et la dissuasion générale ne peuvent faire obstacle au principe de proportionnalité. Les circonstances de la présente affaire sont uniques. L'aide médicale à mourir, les CHSLD, les aidants naturels et la maladie d'Alzheimer ont propulsé le procès de l'accusé au premier rang de l'actualité judiciaire et au coeur d'un débat de société.

À la lumière de ce qui précède, y compris les circonstances uniques de cette affaire, l'aide que l'accusé a apportée à sa conjointe lors de cette longue maladie, l'état de détresse ainsi que l'état psychologique de l'accusé, l'impact des circonstances du décès de Mme Lizotte sur sa famille ainsi que les principes et objectifs de détermination de la peine, l'accusé doit être condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans et 204 jours, de laquelle il faut soustraire les 205 jours de détention préventive, et à trois ans de probation. L'accusé purgera donc, à compter de ce jour, une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour. Une ordonnance en vertu de l'art. 109 C.cr. et une autre en vertu du par. 487.051(1) C.cr. sont également rendues.


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