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Une juge de la Cour d’appel interprète l’article 833 n.C.p.c., en plus d’interpréter en obiter les articles 30, 34 et 529 n.C.p.c.

Résumé de décision : Tcheng c. Coopérative d'habitation Chung Hua, EYB 2016-263371 (C.A., 15 mars 2016)
Une juge de la Cour d’appel interprète l’article 833 n.C.p.c., en plus d’interpréter en obiter les articles 30, 34 et 529 n.C.p.c.

Le requérant, qui habite déjà les lieux à titre de locataire, souhaite devenir membre de la coopérative intimée. Le conseil d'administration de celle-ci, par décision du 9 novembre 2013, rejette sa candidature. Se fondant sur l'article 33 de l'ancien Code de procédure civile (a.C.p.c.), en vigueur à l'époque, le requérant intente contre l'intimée une action directe en nullité de cette décision. Par jugement daté du 15 décembre 2015, la Cour supérieure rejette l'action, mais refuse de la déclarer abusive, comme l'aurait souhaité l'intimée. Il appert du plumitif que, conformément à l'article 472 a.C.p.c., la minute de ce jugement a été déposée au greffe de la Cour supérieure le 17 décembre et l'avis alors prévu par l'article 473 a.C.p.c. a été envoyé en conséquence.

Le requérant demande la permission d'interjeter appel de ce jugement. Sa requête est datée du 14 janvier 2016. Elle est signifiée à l'intimée et produite au greffe de la Cour ce jour-là, en même temps qu'une déclaration d'appel. Le titre qui la coiffe précise qu'elle est fondée sur l'article 31 du nouveau Code de procédure civile (n.C.p.c.). Le requérant y avance deux moyens d'appel : 1) le juge aurait erré lorsque, le 24 mars 2015, en cours d'instruction, il rejette l'objection formulée à l'encontre de la production de pièces que l'intimée n'avait jamais annoncées ; 2) il aurait erré en refusant d'appliquer la théorie de la porte ouverte, à l'aune de laquelle la candidature du requérant aurait dû être évaluée par l'intimée.

La première question que soulève cette requête est la suivante : le requérant a-t-il besoin de la permission qu'il sollicite ou ne pourrait-il pas plutôt interjeter appel de plein droit du jugement de première instance (et, du même coup, du jugement prononcé pendant l'instruction) ? En effet, sous l'empire de l'a.C.p.c., et plus précisément de son article 26, 1er alinéa, la partie insatisfaite du jugement statuant sur une action en nullité fondée sur l'article 33 a.C.p.c. bénéficiait d'un appel de plein droit, exerçable dans le délai de 30 jours prévu par les articles 494 et 495 a.C.p.c. À cela, la jurisprudence avait toutefois reconnu une exception : l'action en nullité intentée en lieu et place du recours en révision judiciaire de l'article 846 a.C.p.c., en vue de faire contrôler les décisions d'un « tribunal » (c'est-à-dire d'une entité exerçant une fonction juridictionnelle), était assimilée à un tel recours et le jugement statuant sur cette action n'était donc pas appelable, à moins d'une autorisation accordée en vertu de l'article 26, 2e alinéa, paragraphe 4 a.C.p.c. La jurisprudence avait conclu ainsi afin d'éviter que, de façon à contourner l'absence d'un appel de plein droit, le justiciable n'intente une action en nullité là où un recours conforme à l'article 846 a.C.p.c. aurait été de mise. Ce n'était donc pas le titre de la requête introductive d'instance qui déterminait le droit d'appel, mais bien la véritable nature de la procédure.

Le n.C.p.c. change-t-il cet état de choses en ce qui concerne l'action en nullité? La réponse à cette question n'est pas simple et dépend de la conjugaison des articles 30, 34 et 529 n.C.p.c. L'article 34 n.C.p.c., consacrant un pouvoir dont la Cour supérieure est constitutionnellement investie et qui est l'un des piliers de la rule of law, succède à l'article 33 a.C.p.c. L'article 529 n.C.p.c. décrit le pourvoi en contrôle judiciaire instauré par le dernier alinéa de l'article 33 a.C.p.c. Dans ses commentaires, la ministre de la Justice souligne la vocation unificatrice du « pourvoi en contrôle judiciaire ». Il s'agit dorénavant de la seule procédure utile soit pour faire déclarer inapplicable, invalide ou inopérante une règle de droit, soit pour évoquer une affaire ou faire réviser un jugement ou une décision, soit pour enjoindre à une personne d'accomplir un acte auquel la loi l'oblige s'il n'est pas de nature purement privée ou encore pour destituer de sa fonction publique une personne qui l'occupe sans droit.

Abordons maintenant l'article 529, premier alinéa, paragraphe 2 n.C.p.c. Notons d'abord que le législateur y permet non seulement le contrôle judiciaire des « jugements » (« judgments ») d'une « juridiction » (ou « court », dans la version anglaise, ce qui révèle bien ce dont il est question, c'est-à-dire, selon toute vraisemblance, une cour de justice seulement), mais de toute décision d'un « organisme » (« body ») ou d'une « personne » (« person ») relevant de la compétence du Parlement du Québec. Les expressions « organisme » ou « personne » sont larges et incluent non seulement des instances exerçant des fonctions juridictionnelles et prononçant des décisions quasi judiciaires, mais également les entités exerçant des fonctions autres et rendant des décisions d'une autre nature. Il faut noter ensuite la dichotomie que semble établir ici le législateur entre « réviser » (« review ») et « annuler » (« quash »). Pourquoi cette distinction ? L'on sait pourtant que la révision et l'annulation ne se différencient guère ou, plutôt, se fondent l'une dans l'autre : lorsqu'on y fait droit, la révision, expression du contrôle judiciaire, entraîne inexorablement, l'annulation de la décision ou du jugement contesté. Nous y reviendrons. Enfin, notons encore que la décision de l'organisme ou de la personne (ou de la juridiction) peut être révisée ou annulée dans la mesure où elle a été rendue sans compétence ou au terme d'une procédure entachée d'une irrégularité grave (l'on suppose que l'on couvre ici les manquements aux règles de la justice naturelle ou de l'équité procédurale).

Si elle avait été intentée après l'entrée en vigueur du n.C.p.c., l'action en nullité du requérant aurait été assujettie à ses articles 34 et 529, 1er alinéa, paragraphe 2. Le requérant, pour cause de manquement grave à l'équité procédurale et de caractère déraisonnable, demande en effet l'annulation de la décision prise par un organisme ou une personne relevant de la compétence du Parlement du Québec, à savoir l'intimée, coopérative régie par la Loi sur les coopératives et ayant exercé ici une fonction prévue par celle-ci. Voilà qui, dans l'exercice du pouvoir de contrôle judiciaire dont est investie la Cour supérieure selon l'article 34 n.C.p.c., correspond en tous points à l'un des cas de figure visés par le paragraphe 2 du premier alinéa de l'article 529 n.C.p.c., sans mettre en cause l'applicabilité, la validité ou le caractère opérant d'une règle de droit au sens du paragraphe 1 de cette disposition.

Qu'en est-il de l'article 30 n.C.p.c. ? En le lisant rapidement, l'on pourrait croire que tout jugement prononcé en vertu du premier alinéa, paragraphe 2 de l'article 529 n.C.p.c. serait assujetti à cette disposition, c'est-à-dire, qu'il ne serait pas appelable hormis sur autorisation d'un juge de la Cour. Cependant, en s'attardant au texte, l'on constate que les termes de l'article 30, 2e alinéa, paragraphe 5 n.C.p.c., à cet égard, ne correspondent pas tout à fait à ceux du paragraphe 529, 1er alinéa, paragraphe 2 n.C.p.c. En effet, cette dernière disposition parle du jugement statuant sur un pourvoi en contrôle judiciaire ayant pour objet de « réviser ou annuler » la décision d'un organisme ou d'une personne, alors que l'article 30 n.C.p.c. parle seulement du jugement statuant sur un pourvoi portant sur la révision d'une telle décision.

Certains auteurs en concluent que l'appel d'un jugement rendu par la Cour supérieure sur un pourvoi en contrôle judiciaire portant sur la nullité d'une décision administrative ne serait pas assujetti à l'obligation d'obtenir une permission d'appeler. Or, il se peut également que, par souci de cohérence et malgré la légère discordance terminologique entre les dispositions pertinentes, le législateur a en réalité voulu que le jugement tranchant une affaire de contrôle judiciaire tombant sous le coup de l'article 529, 1er alinéa, paragraphe 2 n.C.p.c. ne soit désormais plus appelable que sur autorisation préalable obtenue conformément à l'article 30, 2e alinéa, paragraphe 5 (sous réserve du cas des droits particuliers de l'État, qui ne sont pas en cause ici). En effet, l'article 529 n.C.p.c. crée un recours unifié en contrôle judiciaire, qui couvre notamment, au paragraphe 2 de son premier alinéa, tout ce qui aurait autrefois été du ressort de l'action en nullité de la décision administrative d'une entité relevant de la compétence du Québec aussi bien que de la révision des décisions d'une instance juridictionnelle ou d'une cour inférieure. L'on ne distingue plus (encore que les normes de contrôle applicables puissent varier selon le type de décision). Cette unification reflète, pour partie, l'évolution du droit du contrôle judiciaire, qui fait moins de place que précédemment à la stricte qualification judiciaire/quasi judiciaire/administratif. Peut-on, dans ce cadre, conclure que le législateur, lorsqu'il utilise, au paragraphe 2 du premier alinéa de l'article 529, les verbes « réviser ou annuler », sous-entend que la révision viserait uniquement les décisions judiciaires ou quasi judiciaires, alors que l'annulation renverrait aux autres types de décisions rendues par un organisme ou une personne relevant de la compétence du Québec ? Ne serait-ce pas là maintenir une distinction qu'il a par ailleurs fait disparaître, puisqu'il amalgame sous un seul chef les différents recours existant précédemment ?

Signalons d'ailleurs que, dans ses commentaires sur l'article 529 n.C.p.c., la ministre de la Justice parle elle-même de « faire réviser un jugement ou une décision », sans employer le mot « annuler », comme si ce second mot se confondait avec le premier. Or, l'on sait que la révision mène souvent à l'annulation, qui elle-même est l'aboutissement de l'exercice de révision. La distinction entre les deux concepts serait-elle viable ou raisonnable ? Y a-t-il, à vrai dire, une distinction ? Quoi qu'il en soit, ce serait une distinction inutile aux fins de l'application de l'article 529, 1er alinéa, paragraphe 2. En effet, que l'on cherche à obtenir la révision ou l'annulation d'une décision rendue dans l'exercice d'une fonction juridictionnelle ou d'une fonction administrative, le recours est le même, à savoir un pourvoi en contrôle judiciaire. Mais que veut alors dire le législateur, à l'article 30, 2e alinéa, paragraphe 5 n.C.p.c., lorsqu'il subordonne à une autorisation préalable l'appel d'un jugement rendu sur un pourvoi en contrôle judiciaire portant sur la révision d'une décision d'un organisme, d'une personne ou d'une juridiction, alors que la révision d'une telle décision entraînera généralement son annulation ? Est-ce un simple oubli ou une inadvertance, ce qui n'est pas impensable dans le cadre d'une réforme de cette envergure ? La révision dont parle l'article 30 n.C.p.c. ne devrait-elle pas, logiquement, inclure l'annulation dont il est question à l'article 529, 1er alinéa, paragraphe 2 ? Peut-on concevoir que le législateur qui réunit aux fins de cette disposition voudrait désunir aux fins de l'article 30, 2e alinéa, paragraphe 5 ?

De surplus, pourquoi maintenir l'exigence d'une permission d'appeler dans le cas d'un jugement ou d'une décision quasi judiciaire, mais non dans le cas d'une décision administrative ? Une telle différenciation se comprend mal, que ce soit en termes de protection des droits des justiciables, d'efficacité du processus judiciaire ou de saine administration de la justice et des ressources judiciaires. Cela paraît d'autant plus surprenant que, par ailleurs, dans le même article 30, 2e alinéa, paragraphe 5 n.C.p.c., le législateur a choisi d'assujettir désormais l'appel du jugement en mandamus à une autorisation préalable. N'y aurait-il pas ici une certaine incohérence législative, du moins au chapitre des objectifs, si l'on devait conclure que le jugement statuant sur l'action en nullité d'une décision d'ordre administratif est appelable de plein droit ? L'anomalie, il est vrai, existait sous le régime de l'ancien Code de procédure civile , mais s'expliquait par l'évolution historique du droit d'appel en matière de contrôle judiciaire. L'on est graduellement passé d'un appel de plein droit dans tous les cas à un appel sur permission dans le cas des jugements rejetant un recours en évocation ou en révision fondé sur l'article 846 a.C.p.c., puis à un appel sur permission dans tous les cas où un jugement statuait sur un tel recours.

L'on ne peut bien sûr pas exclure que le législateur ait bel et bien voulu permettre l'appel de plein droit dans les affaires de nullité. Après tout, c'est le cas en ce qui concerne les pourvois en contrôle judiciaire portant sur une question visée par l'article 529, 1er alinéa, paragraphe 1. Mais, pour le reste, l'objectif avoué du législateur dans le cadre de la réforme de la procédure civile est de simplifier l'exercice du pouvoir de contrôle judiciaire et, plus généralement, les procédures judiciaires, incluant l'appel. Rattacher l'article 30, 2e alinéa, paragraphe 2 n.C.p.c. à l'article 529, 1er alinéa, paragraphe 2, dispositions (presque) miroir, paraît bien aller dans le sens de cet objectif.

Au risque de négliger certains arguments ou aspects de la question, il est donc préférable et plus prudent de ne pas conclure ici sur la question de savoir si le nouveau code assujettit le jugement dont le requérant veut faire appel à l'obligation d'obtenir une permission, d'autant plus qu'en définitive, l'appel du requérant est toujours régi par l'a.C.p.c. et qu'il s'agit donc un appel de plein droit, ce qui suffit à régler l'issue de l'affaire.

La Cour suprême avait déjà, dans le passé, décidé que la date de concrétisation du droit d'appel était celle de la date d'introduction de l'action. Toutefois, en 1998, dans l'arrêt R. c. Puskas, elle conclut que c'est plutôt le moment du prononcé du jugement qui détermine l'existence et la manière du droit d'appel. Notre Cour a décidé, elle aussi, que le droit d'appel se cristallisait au moment du prononcé du jugement contre lequel on entend se pourvoir, du moins quand il s'agit de faire la différence entre l'appel de plein droit et l'appel sur permission, celui-ci n'étant pas, en lui-même, un droit d'appel à proprement parler, mais le droit de solliciter l'autorisation d'interjeter appel. Rappelons à cet égard les propos du juge Vallerand dans 2636-5205 Québec inc. c. Beaudry, qui rappelle que l'article 26, 2e alinéa a.C.p.c. confère au justiciable le droit de demander d'être exceptionnellement « autorisé à se pourvoir dans une matière où il n'a pas de droit d'appel ». Cette phrase, qui vaut tout aussi bien pour l'article 30, 2e alinéa n.C.p.c. illustre la différence entre le droit de faire appel et le droit de demander la permission de faire appel : la nature du droit n'est pas la même.

Dans cette perspective (appel de plein droit/appel sur permission), le droit d'appel naît avec le prononcé du jugement contre lequel l'on souhaite se pourvoir. En l'espèce, le jugement est daté du 15 décembre 2015 et sa minute a été déposée au greffe de la Cour supérieure le 17 décembre 2015. Il a donc été prononcé avant le 1er janvier 2016 et donc, avant l'entrée en vigueur, à cette date, du n.C.p.c. Or, jusqu'au 31 décembre 2015, le droit d'appeler du jugement statuant sur une action en nullité, dans un contexte comme celui-ci, s'exerçait de plein droit et le requérant aurait donc pu procéder par voie d'inscription en appel, conformément aux articles 26, 1er alinéa et 495 a.C.p.c.

Le requérant n'a cependant pas exercé ce droit d'appel en 2015. Le conserve-t-il malgré l'entrée en vigueur du n.C.p.c., le 1er janvier 2016 ou n'a-t-il plus, depuis cette date, que le droit de solliciter la permission d'appeler ?

À cet égard, rappelons qu'en principe, en vertu de la règle de l'effet immédiat des « lois de procédure », les instances en cours se continuent conformément aux nouvelles dispositions (ce qui paraît d'ailleurs conforme au principe qu'énonce l'article 13 de la Loi d'interprétation). Il n'y a généralement pas de droit acquis en matière de procédure, le législateur voulant que la loi nouvelle s'applique à ces instances. Par contre, et par exception, même en cette matière, la loi nouvelle, sauf indication contraire du législateur, ne compromettra pas les droits substantiels qui ont été acquis avant son entrée en vigueur, c'est-à-dire qui ont été exercés et ont produit leurs effets ou encore qui sont nés de façon concrète et individualisée avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, créant une situation juridique constituée au moment de cette entrée en vigueur. Or, le droit d'appel, qui est essentiellement temporaire, qui naît avec le jugement de première instance et qui se concrétise à ce moment-là, est un tel droit substantiel. Le droit d'appel n'est pas qu'affaire de « mere procedure », et certainement pas lorsqu'on substitue un appel sur permission à un appel de plein droit : la nature du droit d'appel, donc le fond de ce droit, est touchée. Par contraste, il va sans dire que des changements tel le fait de devoir signifier au greffe de la Cour l'acte constitutif de l'appel (article 352 n.C.p.c.) plutôt qu'au greffe du tribunal de première instance (article 495, 1er alinéa a.C.p.c.) ou encore le fait de devoir signifier cette procédure à la partie et de la notifier à son avocat (article 352, 139 et 358 n.C.p.c.), plutôt que de simplement la signifier (article 494 ou 495 a.C.p.c.), ne modifie pas la substance du droit d'appel.

En raison de son caractère substantiel, le droit d'appel (c'est-à-dire son existence et sa manière) devrait donc échapper à l'effet immédiat qu'édicte autrement l'article 833 n.C.p.c., à moins que cette disposition ne comporte, explicitement ou implicitement, une indication claire du contraire, ce qui n'est pas le cas. D'une part, dans l'état actuel du droit, le seul fait d'énoncer, au deuxième alinéa, que la loi est d'« application immédiate », concept dont les pourtours, en droit québécois (et canadien) ne semblent pas encore parfaitement définis, cela, donc, ne peut faire échec au maintien des effets déjà produits de situations encore en cours par ailleurs et pas davantage au maintien de certains droits substantiels, dont le droit d'appel. Ce droit naît, de façon pleine et entière, avec le jugement de première instance, et, en ce sens, il s'agit d'un effet indissociablement attaché à un fait (le jugement) qui s'est ici produit avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Comme l'écrit la ministre dans son commentaire relatif à l'article 833 n.C.p.c. : la loi nouvelle s'applique aux situations juridiques en cours, certes, mais pour « tout fait ou tout effet qui se produit après cette entrée en vigueur ». Or, le fait ou l'effet, ici la naissance du droit d'appel, s'est produit avant cette entrée en vigueur et le droit d'appel survit donc dans l'état dans lequel il était à ce moment, puisqu'il pouvait, dès lors, être pleinement exercé, toutes ses conditions d'existence et d'exercice étant réunies. Il est vrai que les propos des juges Deschamps ainsi que Bastarache et LeBel dans l'affaire Dell pourraient laisser planer un doute, mais, vu la jurisprudence de notre cour sur le sujet, le fait que le droit d'appel ainsi né n'ait pas encore été exercé au moment de l'entrée en vigueur du nouveau code ne l'altère pas, l'ancien Code continuant de s'appliquer jusqu'à l'expiration du délai d'appel de 30 jours (je ne crois pas utile de me demander ici si c'est l'article 523 a.C.p.c. ou 363 n.C.p.c. qui s'appliquerait en cas d'appel tardif, ces deux dispositions paraissant équivalentes). D'autre part, les précisions que le deuxième alinéa de l'article 833 n.C.p.c. apporte à la règle de l'effet immédiat ne permettent pas, par un raisonnement a contrario, de conclure que le législateur aurait voulu que le droit d'appel d'un jugement antérieur au 1er janvier 2016 soit régi par les dispositions du n.C.p.c.

Il est vrai que le troisième paragraphe du deuxième alinéa de l'article 833 n.C.p.c. prévoit qu'en appel, les délais relatifs à la constitution du dossier d'appel continuent de s'appliquer à l'égard des affaires déjà portées en appel. L'on pourrait en déduire que si le législateur avait voulu faire une exception au principe de l'effet immédiat en ce qui concerne le droit d'appel, il l'aurait dit, comme il le dit pour les délais de constitution du dossier d'appel (qui sont désormais plus courts qu'ils ne l'étaient précédemment). Or, il n'en est rien. La précision contenue dans le troisième paragraphe du deuxième alinéa de l'article 833 n.C.p.c. était nécessaire, car, si elle n'avait pas été faite, les nouveaux délais de constitution du dossier – délais purement procéduraux – se seraient appliqués aux affaires déjà portées en appel, et ce, en vertu de la règle de l'effet immédiat décrétée par l'article 833 n.C.p.c. Si l'on voulait assurer l'application des anciens délais, il fallait donc le dire et c'est ce qu'a fait le législateur. Par contre, le principe de l'effet immédiat ne touche pas le droit d'appel déjà né (qu'il existe de plein droit ou n'existe que sur permission) et le laisse au contraire survivre (dans la mesure où ce droit est né avec un jugement prononcé antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle). Le législateur n'avait donc pas à le dire. Ce n'est que s'il avait voulu soumettre le droit d'appel déjà né à la loi nouvelle qu'il lui aurait fallu l'écrire.

Par ailleurs, l'article 174 de la Loi portant réforme du Code de procédure civile édicté relativement à la réforme du Code en 2002, portait que les dispositions de l'article 3 de la Loi modificatrice n'ont pas d'effet à l'égard des causes pendantes en première instance le 1er janvier 2003, ni à l'égard des jugements déjà rendus à cette date et dont les délais d'appel ne sont pas expirés. L'article 3 de cette loi modifiait le droit d'appel en haussant à 50 000 $ le seuil de l'appel de plein droit et en faisant disparaître l'appel de plein droit, remplacé par un appel sur permission, dans tous les cas de jugements rendus en vertu de l'article 846 a.C.p.c., alors que, jusque-là, seuls les jugements rejetant un recours en révision judiciaire étaient assujettis à l'autorisation d'appel. Évidemment, pour éviter tout doute, le législateur aurait pu faire comme il l'a fait lors de la réforme de 2002 et préciser dans le n.C.p.c. que le législateur n'entendait pas préserver le droit d'appel né et acquis avant l'entrée en vigueur de la loi. Or, les dispositions transitoires de la loi modificatrice de 2002 sont rédigées et structurées d'une tout autre manière que celles du n.C.p.c. L'on ne peut rien en inférer quant à ce qu'aura été l'intention du législateur 13 ans plus tard. En fait, le législateur étant censé légiférer en toute connaissance de cause, l'on peut au contraire présumer qu'en énonçant que le n.C.p.c. est d'application immédiate, il entend justement s'en remettre à ce principe dans toutes ses dimensions, y compris, donc, quant au respect des droits déjà concrétisés et cristallisés, incluant, en l'occurrence, ce droit substantiel qu'est le droit d'appel.

Enfin, reconnaître la survie du droit d'appel (ou, le cas échéant, du droit de demander la permission de faire appel) n'emporte ni injustice, ni inconvénient, ni coûts particuliers, ne serait-ce que parce que la période transitoire sera, somme toute, très brève, ne visant que les jugements rendus de la mi-novembre à la fin décembre 2015 : dans quelques semaines seulement, la question ne se posera plus guère. En ce sens, la survie du droit d'appel antérieur ne perpétue pas de manière indéfinie la continuation d'un abus ou d'un mal auquel la loi nouvelle aurait voulu remédier.

En fait, ce serait plutôt le contraire qui serait injuste. L'on imagine la situation de celui qui, peu de temps avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, acquiert du fait d'un jugement un droit d'appel de plein droit et qui, au lendemain de cette entrée en vigueur, s'en retrouve dépouillé et titulaire seulement du droit de demander l'autorisation de faire appel, ce qui n'est pas la même chose. Le justiciable perdrait ainsi un droit substantiel parce que la période d'exercice de celui-ci chevaucherait une ligne de démarcation temporelle. Conclure ainsi serait donner une forme d'effet rétroactif à la loi et non pas lui reconnaître des effets prospectifs seulement, c'est-à-dire qui régissent pour l'avenir les effets d'une situation en cours.

Par contre, les formalités entourant l'exercice du droit d'appel (par exemple, l'obligation de déposer une requête pour permission d'appeler, le cas échéant, en même temps qu'une déclaration d'appel) sont applicables à celui qui souhaite faire appel, à compter du 1er janvier, d'un jugement prononcé avant cette date.

En somme, considérant que le législateur, en consacrant le principe de l'effet immédiat du n.C.p.c., n'a pas entendu porter atteinte au droit d'appel cristallisé avant le 1er janvier 2016, le requérant, pouvait donc, même après cette date, faire appel de plein droit du jugement du juge Dugré, et ce, en vertu de l'article 26 a.C.p.c. Il n'avait pas besoin de demander la permission de se pourvoir.

Bien sûr, l'intimée, qui contestait la requête pour permission d'appeler au motif que le pourvoi est voué à l'échec, n'est pas privée de présenter une requête en rejet d'appel.


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