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Uber est déboutée : les choses saisies dans ses bureaux pourront être examinées par l’Agence du revenu du Québec

Résumé de décision : Uber Canada inc. c. Québec (Agence du revenu), EYB 2016-265574 (C.S., 11 mai 2016)
Uber est déboutée : les choses saisies dans ses bureaux pourront être examinées par l’Agence du revenu du Québec

L'Agence du revenu du Québec (ARQ) allègue qu'Uber Canada (Uber) aide les chauffeurs qui participent à son service UberX à éluder le paiement de la TPS et de la TVQ. Uber utiliserait un subterfuge qui consiste à décrire les services qu'elle offre comme un système de covoiturage citoyen alors qu'il s'agit dans les faits de transport rémunéré de personnes par automobile tel que défini par la Loi concernant les services de transport par taxi. L’ARQ soutient également qu’Uber effectue une fourniture taxable auprès des chauffeurs UberX. En effet, Uber conserve une commission de 20 % pour chaque course effectuée. Selon l'ARQ, cette fourniture ayant lieu au Québec, Uber avait l’obligation de percevoir les taxes applicables et de remettre la taxe nette à l’État. L’ARQ a obtenu des mandats pour perquisitionner dans les bureaux d’Uber. Cette dernière conteste la légalité de ces mandats. Il s’agit de savoir si l'information contenue dans les demandes en vue d’obtenir les mandats de perquisition était suffisante pour justifier que ces derniers soient délivrés. Il importe de préciser que la question de la légalité du service UberX n'est pas directement en cause dans la présente affaire. Cependant, dans la mesure où la pierre d'assise de la mise en oeuvre du régime de perception de la TPS et de la TVQ dans l'industrie du taxi est précisément fondée sur la définition du transport par taxi, c'est-à-dire le transport rémunéré de personnes par automobile, cette question devient incontournable. La présente affaire soulève en outre des questions nouvelles et délicates au sujet de la fouille d’appareils numériques, y compris les ordinateurs, tant à l'égard des conditions qui l’encadrent que des contraintes qui entourent son exécution. De plus, la question de la protection des informations personnelles qui peuvent se trouver sur les appareils numériques qui sont utilisés dans le contexte du travail ou de l'exploitation d'une entreprise fait aussi l'objet du débat.

Un mandat de perquisition constitue une autorisation judiciaire. Cette autorisation est délivrée par un juge qui évalue si la demande présentée par un enquêteur contient des informations suffisantes pour la justifier. Pour se conformer à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, un enquêteur doit, avant d’effectuer une perquisition, fournir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvent à l’endroit de la perquisition. L’existence de ces motifs est établie sous serment. Normalement, même s’il peut le faire, le juge qui délivre un mandat de perquisition ne rend aucun motif pour expliquer sa décision. En l'absence d'un jugement formel expliquant les raisons justifiant la délivrance du mandat de perquisition, le juge saisi de la demande de révision doit vérifier si l'information présentée au juge qui a délivré le mandat de perquisition permettait de le faire. Ainsi, le juge réviseur évalue, notamment, les inférences raisonnables que le juge qui a accordé le mandat pouvait tirer de l'information présentée. Dans son jugement, le juge réviseur explique à la partie qui conteste le mandat de perquisition les raisons pour lesquelles le juge qui l'a délivré pouvait le faire.

L'enquêteur qui demande un mandat de perquisition doit présenter les faits d'une manière complète, sincère, claire et concise. Il doit rédiger sa demande avec soin. Celle-ci doit être lisible et compréhensible. Les faits doivent être décrits d'une manière objective, ce qui permet au juge d’en faire une évaluation indépendante. Ce dernier doit connaître tous les faits nécessaires pour rendre une décision éclairée. L'enquêteur ne doit pas chercher à tromper le juge en utilisant un libellé qui peut l’amener à penser que la demande a un sens qu'elle n'a pas ou tenter d’induire le juge en erreur en utilisant certaines formules génériques ou en omettant stratégiquement certains éléments pertinents.

Pour déterminer s’il existait des renseignements fiables à partir desquels on pouvait accorder l’autorisation, le juge réviseur doit simplement se demander s’il y avait au moins quelque élément de preuve auquel on pouvait raisonnablement ajouter foi. Il s'agit d'évaluer la validité apparente de l'autorisation : est-ce que les faits énoncés dans la demande suffisaient pour justifier l’octroi de l’autorisation ? À cet égard, le juge réviseur doit se rappeler que le juge saisi de la demande peut tirer des inférences raisonnables de la preuve présentée. Lors de la contestation, le juge considère l'autorisation comme apparemment valide et il appartient à celui qui la conteste d’anéantir cette apparence. Si cette tentative échoue, l'autorisation sera confirmée. La demande doit être évaluée selon le bon sens, globalement, et non d'une manière parcellaire, microscopique, compartimentée ou tatillonne. Le juge siégeant en révision ne se substitue pas au juge saisi de la demande et ne procède pas à une nouvelle audition. Il n’a pas à se demander s’il aurait lui-même délivré le mandat de perquisition, mais plutôt s’il existait suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables pour permettre au juge de le délivrer. S’il conclut que le juge pouvait délivrer le mandat de perquisition, il ne doit pas intervenir. Si l'enquêteur présente des faits inexacts ou erronés ou qu'il omet des informations pertinentes, le juge qui révise doit faire abstraction des renseignements erronés et déterminer si l’autorisation pouvait être accordée même en l’absence d'un fait important. Afin de protéger l’intégrité du processus d’autorisation, le juge qui révise peut annuler le mandat de perquisition si l’enquêteur a tenté délibérément d’induire en erreur le juge qui a accordé l’autorisation, même si les faits sont fiables et suffisants. Il est important de souligner que la véracité des allégations relatives aux éléments essentiels de l’infraction contenues dans la demande pour obtenir un mandat de perquisition reste à être prouvée lors du procès si des accusations sont déposées. Pour cette raison, bien que la demande doive alléguer la commission d'une infraction connue en droit, le juge n'a pas à résoudre, à cette étape, la question de savoir si les faits présentés dans la demande constituent une infraction criminelle. Cette question n'est pas pertinente. Elle le sera, le cas échéant, lors du procès. Enfin, lors de la contestation d'un mandat de perquisition par le biais d'un recours en contrôle judiciaire, la manière d'effectuer une perquisition n'est pas en cause, car le pouvoir d'intervention de la Cour supérieure se limite à la délivrance du mandat, et non à l'exécution de celui-ci.

Les principes entourant la contestation d'un mandat de perquisition étant établis, examinons maintenant l'information contenue dans les demandes en vue d’obtenir les mandats de perquisition en l’espèce et déterminons si elle était suffisante pour justifier la délivrance de ces derniers. D’emblée, mentionnons que les demandes sont appuyées par les dénonciations de Mme Claudine Duval, une employée de l'ARQ, et que la lecture de ces dénonciations n'est pas toujours facile. En effet, les motifs appuyant les demandes ne sont pas exposés avec la clarté souhaitée. Pour l'essentiel, toutefois, quelles que soient les déficiences ou insuffisances rédactionnelles des dénonciations, ce qui importe c'est la suffisance des motifs présentés, et non la manière dont ils le sont.

Les dénonciations fournissent les informations suivantes : l'origine du dossier, les renseignements, fichiers et documents consultés, une description de l'application mobile Uber, un portrait de la société Uber et de son directeur général à Montréal, M. Jean-Nicolas Guillemette, les résultats d'une vérification fiscale effectuée par l'Agence du revenu du Canada (ARC) visant Uber, les vérifications en cours à l'ARQ, l'information recueillie et les filatures effectuées, l'information recueillie auprès de sources publiques d'informations (reportages télévisés) et les vérifications d'adresses. De l'ensemble des faits présentés dans ses dénonciations, Mme Duval tire, entre autres, les conclusions suivantes : 1) les services de transport rendus par les chauffeurs utilisant l’application mobile Uber sont sur le territoire québécois ; 2) l’application mobile permet de mettre en contact direct les utilisateurs et les chauffeurs ; 3) l’application mobile fonctionne grâce à un système de géolocalisation et un téléphone intelligent est nécessaire pour son fonctionnement (au besoin, Uber loue un téléphone intelligent au chauffeur au coût de 10 $ par semaine) ; 4) dans le cas d’UberTaxi, l’un des quatre services offerts au Québec, chaque chauffeur doit fournir une série de documents, à savoir le permis de conduire, la licence de taxi, la convention de garde, l’immatriculation du véhicule, les assurances du véhicule et un spécimen de chèque pour le dépôt direct. Pour les trois autres services offerts (UberX, UberXL, UberSelect), les numéros de TPS et TVQ ne sont pas exigés ; 5) Uber ne s’adjoint pas que des chauffeurs dûment autorisés par le Bureau du taxi de Montréal pour son service UberTaxi ; 6) toute personne âgée de 21 ans et plus possédant un permis de conduire valide, une voiture répondant aux critères d’Uber et une assurance personnelle pour le véhicule peut conduire une voiture pour le service UberX après avoir rempli les formalités requises ; 7) à la fin de la course, la carte de crédit de l’utilisateur est automatiquement facturée ; 8) l’argent est déposé dans un compte non identifié, les chauffeurs reçoivent 80 % du montant facturé au client et Uber conserve 20 % du montant à titre de commission ; 9) les chauffeurs sont rémunérés une fois par semaine par dépôt direct dans leur compte bancaire ; 10) un reçu détaillé de la course est également envoyé par courriel, mais ce reçu ne contient aucun détail sur les taxes ; 11) Uber s’occupe autant de l’aspect administratif que de l’aspect conformité de ses chauffeurs qui comprend : a) une vérification des dossiers criminels pour ses futurs partenaires ; b) un accompagnement aux chauffeurs lors de leur inscription ; c) la fourniture de téléphones intelligents aux chauffeurs, le cas échéant ; d) lors de la saisie de véhicules, Uber paie les amendes et fournit aussi un véhicule de location ; e) des inspections des véhicules obligatoires effectuées par des garagistes dûment autorisés par Uber pour son service UberX ; 12) Uber n’agit donc pas uniquement à titre d’intermédiaire entre le chauffeur et le client ; 13) l’ARC considère qu’Uber effectue des fournitures taxables pour l’ensemble de ses services dans l’ensemble du Canada ; 14) compte tenu de l’utilisation d’une plateforme unique au Canada, les services rendus au Québec par Uber constituent des fournitures taxables au Québec ; 15) les éléments de preuve recherchés se trouvent sur des supports informatiques (cellulaire, tablette, ordinateur) aux endroits visés par les mandats de perquisition et une fouille de leur contenu sera nécessaire pour la saisie des données qu’ils contiennent ; 16) les documents ou renseignements énumérés sont nécessaires pour prouver les infractions alléguées dans les dénonciations ; 17) une ordonnance de communication aux termes de l’article 40.1.3 de la Loi sur l’administration fiscale doit être accordée afin d’obtenir les documents ou renseignements recherchés.

Ces faits étaient suffisants pour justifier les mandats de perquisition qui ont été délivrés. Une lecture globale et non parcellaire de l'ensemble de ces informations supporte la conclusion selon laquelle il existait des éléments de preuve auxquels le juge pouvait raisonnablement ajouter foi.

Qu’en est-il maintenant des objections formulées par Uber ? D’entrée de jeu, il importe de préciser que la contestation d'Uber souffre d'un problème d'approche dans la manière d'aborder les questions soulevées. En effet, Uber aborde la contestation des mandats de perquisition comme s'il s'agissait d'une défense présentée lors d'un procès pénal au fond. Or, lors de la contestation d'un mandat de perquisition, le juge réviseur ne doit pas évaluer si la preuve présentée justifie une déclaration de culpabilité, mais bien si l’État a démontré « la supériorité de son droit par rapport à celui du particulier » en présentant une preuve qui respecte la norme de la « probabilité fondée sur la crédibilité », ce qui justifie, le cas échéant, l’octroi d’un mandat de perquisition. Par ailleurs, à plusieurs reprises lors de ses observations, Uber évoque le fait que la présente affaire concerne le domaine de la fiscalité et suggère que les dispositions fiscales en cause soient interprétées à l’aide d’une approche littérale et restrictive. La Cour suprême a confirmé toutefois le rejet de l’approche restrictive en matière d’interprétation des lois fiscales.

Uber formule un reproche général à l'endroit des dénonciations. Se fondant sur l’arrêt R. c. Branton rendu par la Cour d'appel de l'Ontario, elle prétend que l'ARQ a omis délibérément de décrire d'une manière objective le régime fiscal applicable aux chauffeurs UberX. Or, cet arrêt n’étaye pas la prétention selon laquelle un enquêteur a toujours l'obligation de décrire le régime légal applicable à la perquisition qu'il souhaite effectuer et que son omission de le faire constitue nécessairement une violation de son obligation juridique d’exposer les faits d'une manière complète et sincère. Le moins que l’on peut dire, c’est que l'interprétation proposée par Uber selon laquelle les chauffeurs UberX sont soumis à la règle des petits fournisseurs s’avère difficile à retenir. À la lumière des articles 4 et 4.1 de la Loi concernant les services de transport par taxi et de l'article 407.1 de la Loi sur la taxe de vente du Québec, il est raisonnable de penser que le juge qui a délivré les mandats de perquisition pouvait tirer la conclusion que les chauffeurs UberX doivent être inscrits auprès des autorités fiscales, percevoir la TPS et la TVQ et remettre ces taxes aux autorités fiscales. Le juge pouvait aussi conclure de la conduite d’Uber, qui ne demande pas à ses chauffeurs offrant son service UberX de lui fournir les numéros de TPS et de TVQ, que celle-ci est pleinement consciente que cela aide ses chauffeurs UberX à éluder le paiement de la TPS et de la TVQ. Le fait que le tarif établi pour le service UberX ne prévoit pas les montants de la TPS et de la TVQ justifie la même conclusion. Mme Duval n'avait pas à expliquer de manière détaillée le régime fiscal applicable et l'omission de le faire n'a pas induit le juge en erreur. L'eût-elle fait que les infractions fiscales alléguées n’en auraient été que plus clairement établies.

La perception des taxes et des impôts est fondée sur un régime d'autodéclaration et d'autocotisation qui s'appuie sur l'honnêteté et l'intégrité des contribuables. En général, toute personne ou entreprise qui se livre à une activité commerciale doit percevoir la TPS et la TVQ. Dans le domaine de l'industrie du taxi, la perception et le versement de la TPS et de la TVQ sont mis en oeuvre par un arrimage entre la Loi concernant les services de transport par taxi et les lois fiscales pertinentes. La personne qui souhaite offrir ou effectuer du transport rémunéré de personnes à l'aide d'une automobile doit y être autorisée par un permis de taxi. Le titulaire d'un tel permis est réputé exercer une activité économique organisée de prestation de services à caractère commercial. Ainsi, le titulaire d'un permis de taxi est tenu de s'inscrire aux fins de la TPS et de la TVQ, car il offre une prestation de services à caractère commercial, ce qui est considéré comme une fourniture taxable au sens des lois fiscales québécoise et canadienne. La personne qui offre un transport rémunéré de personnes à l'aide d'une automobile sans posséder un permis de taxi est donc en mesure de contourner plus facilement l'obligation d'inscription aux fins de la TPS et de la TVQ, tout en évitant de percevoir ces taxes. Elle peut aussi éviter les obligations contenues à la Loi concernant les services de transport par taxi, tout en offrant illégalement un service de transport dont l'exercice est encadré par la loi.

Uber fait valoir que les chauffeurs UberX ne sont pas des fournisseurs qui exploitent une entreprise de taxis selon la définition de l'article 1 de la Loi sur la taxe de vente du Québec. Elle plaide que puisque les chauffeurs UberX n’exploitent pas leurs véhicules en vertu d'un permis délivré en application de la Loi concernant les services de transport par taxi, les véhicules ne constituent pas des taxis. De plus, les tarifs des chauffeurs UberX ne sont pas établis selon les prix réglementés par cette même loi. Ces arguments sont erronés et le juge qui a délivré les mandats de perquisition pouvait conclure qu'Uber voulait aider les chauffeurs UberX à éviter de percevoir et de remettre les taxes conformément à la loi. En effet, la Loi concernant les services de transport par taxi définit clairement le transport par taxi lorsqu'elle prévoit que le transport rémunéré de personnes à l'aide d'une automobile doit être autorisé par un permis. Nul ne peut offrir un service de transport rémunéré de personnes à l'aide d'une automobile sans détenir un permis de taxi. On ne peut prétendre que l'activité à laquelle on se livre échappe à l'application de la loi parce qu'on ne respecte pas les termes clairs et non ambigus de cette loi. Il en va de même des obligations fiscales. Les chauffeurs UberX ne peuvent être considérés comme des petits fournisseurs qui n'ont pas l'obligation de s'inscrire aux fins de la perception et de la remise des taxes parce qu’ils n'exploitent pas une entreprise de taxi, car ils contreviennent à la loi en ne détenant pas de permis de taxi. On ne peut affirmer que l'on échappe à l'application d'une loi en se fondant sur sa propre délinquance.

Uber affirme que les obligations de respecter les lois fiscales incombent aux chauffeurs UberX, et non pas à elle. La mise en oeuvre du service de transport accessible par l'application mobile Uber permet de conclure qu'Uber ne peut être considérée comme le tiers et l'intermédiaire neutre qu'elle prétend être. Sans l'intervention d'Uber et son application mobile, les chauffeurs ne peuvent offrir le service UberX. Selon les faits révélés par les dénonciations, Uber agit comme « intermédiaire en services de transport par taxi » sans détenir un tel permis. En effet, elle fournit notamment aux chauffeurs UberX un service de répartition d'appels ou d'autres services de même nature, comme la centralisation du paiement des services de transport. L'application mobile Uber se révèle être la version moderne et technologiquement avancée d'un service de répartition d'appels. Uber n'agit pas comme un intermédiaire neutre et passif. Son intervention met en cause sa responsabilité pénale potentielle. La responsabilité pénale secondaire d'Uber à l’égard de la commission d'une infraction à l'article 117 de la Loi concernant les services de transport par taxi par les chauffeurs UberX est une conclusion que pouvait tirer le juge qui a délivré les mandats de perquisition. Ce dernier pouvait aussi conclure que les dénonciations établissaient une preuve suffisante de la complicité d’Uber aux infractions fiscales de ses chauffeurs UberX.

Uber ne peut prétendre ignorer les modalités applicables au transport rémunéré de personnes à l'aide d'une automobile au Québec et les responsabilités fiscales qui en découlent, car l'un des services qu'elle offre est UberTaxi. Pour le service UberTaxi, Uber exige que lui soient communiqués les numéros de TPS et de TVQ de ses chauffeurs. L'omission de poser la même exigence pour les chauffeurs UberX n'est pas sans conséquence. À cet égard, Uber fait valoir que les dénonciations révèlent qu’un seul chauffeur UberX n'est pas inscrit auprès des autorités fiscales. Cependant, l'ARQ n'est pas en mesure à cette étape de son enquête d'identifier les chauffeurs québécois UberX faisant affaire avec Uber, d'où la nécessité de procéder aux perquisitions. De plus, les faits présentés au juge qui a délivré les mandats de perquisition pouvaient lui permettre de conclure que la nature même du service de transport de personnes UberX et son succès commercial repose, entre autres, sur le fait que ce service ne respecte pas les exigences posées par la loi et sur l'avantage potentiellement concurrentiel que la non-perception de la TPS et de la TVQ procure. Cela découle logiquement des faits contenus dans les dénonciations. L'entrevue du directeur général d'Uber, M. Guillemette, avec Gérald Fillion de Radio-Canada qui est résumée dans les dénonciations est d'ailleurs très révélatrice. La lecture des extraits de cette entrevue contenus dans les dénonciations pouvait certainement amener le juge qui a délivré les mandats de perquisition à la conclusion que M. Guillemette, l'une des âmes dirigeantes d'Uber, est parfaitement conscient de l'illégalité du service UberX et qu'Uber fait preuve d'ignorance volontaire dans le seul but de susciter l'établissement d'un nouveau cadre règlementaire. Enfin, le fait que durant l'exécution du premier mandat de perquisition, les enquêteurs de l'ARQ ont constaté que les ordinateurs, les téléphones intelligents et les tablettes avaient été redémarrés à distance -- les données ont fait l’objet d’un cryptage à distance par les ingénieurs d’Uber Technologie à San Francisco -- constitue un facteur non négligeable. Cette conduite revêt toutes les caractéristiques d'une tentative d'entrave à la justice et elle permettait au juge qui a délivré les mandats de perquisition de conclure qu'Uber voulait soustraire la preuve de sa conduite illégale à l'attention des autorités fiscales.

Un dernier mot au sujet des multiples objections qu'Uber présente à l'égard de l'infraction alléguée relative à ses propres fournitures taxables. Les dénonciations contenaient des informations visant les déclarations fausses et trompeuses d'Uber, et non celles de ses chauffeurs UberX. Ces déclarations concernent la commission perçue par Uber des chauffeurs UberX à l'égard du service de transport de personnes offert au Québec. La commission étant un accessoire à cette fourniture taxable des chauffeurs UberX, elle devait donner lieu à une perception fiscale, ce qui, selon les dénonciations, n'a pas été le cas. Toutes les questions concernant l'identité des différentes entités corporatives d'Uber et leur rôle à l'égard de la commission perçue et des services offerts aux chauffeurs UberX devront être résolues à la lumière de l'enquête. Cependant, il suffit qu'il y ait un « lien réel et important » entre les infractions alléguées et le Québec pour que la compétence des tribunaux québécois soit établie. Cela dit, aux fins de la délivrance des mandats de perquisition, les motifs présentés à l'égard de l'infraction prévue à l'article 62 de la Loi sur l’administration fiscale étaient suffisants pour justifier la conclusion qu'Uber a fait une déclaration fausse et trompeuse en ne révélant pas les fournitures taxables, soit la commission prélevée de 20 %.

Somme toute, de l'ensemble des faits qui lui étaient présentés, le juge qui a délivré les mandats de perquisition pouvait donc conclure qu'il existait des éléments de preuve pouvant justifier la conclusion qu’Uber avait commis les infractions fiscales alléguées. Il ne s'agit pas de déterminer si Uber a commis les infractions alléguées, mais si les informations présentées étaient suffisantes pour justifier la délivrance des mandats de perquisition et permettre ainsi la poursuite de l'enquête afin de déterminer si les infractions ont été commises.

Reste à examiner si les mandats de perquisition avaient une portée excessive. Uber soutient effectivement que c’est le cas et que le juge qui les a délivrés devait imposer des conditions préalables entourant leur exécution, tel un protocole de perquisition, notamment pour protéger les informations personnelles par opposition aux informations de nature commerciale. Avant d’aborder cette question, il est essentiel de décrire la protection qu'offre l'article 8 de la Charte canadienne et de comprendre les défis créés lors de l’exécution de mandats de perquisition qui visent la saisie d’ordinateurs et d’autres appareils numériques comme les téléphones intelligents.

Nul ne doute que la Charte canadienne protège les informations personnelles sauvegardées sur un ordinateur ou tout autre appareil numérique. Les décisions de la Cour suprême dans les affaires R. c. Cole, R. c. Vu et R. c. Fearon l'établissent clairement. Les préoccupations au sujet de la protection de la vie privée sont d'ailleurs au coeur de la décision de la Cour d'appel dans la présente affaire, laquelle ordonne la mise sous scellés des choses saisies pendant la contestation des mandats de perquisition devant la Cour supérieure.

L'information contenue dans un ordinateur ou un téléphone intelligent est si vaste que l'identification des informations visées par un mandat de perquisition ne peut se faire qu'en procédant à une fouille minutieuse a posteriori. Le droit américain autorise les policiers à saisir les ordinateurs et à les retirer du lieu où la perquisition a été effectuée afin de procéder à la fouille numérique de ceux-ci. Selon le professeur Kerr, les tribunaux américains font preuve de déférence à l'égard des fouilles numériques qui visent à identifier les choses visées par un mandat de perquisition. Bien entendu, la portée excessive d'une fouille numérique soulève la question de l'encadrement qui devrait être mis en place avant leur exécution. Le professeur Kerr admet que l'absence de conditions à l'étape de la délivrance d'un mandat de perquisition permet dans les faits une fouille d'une portée excessive, car la saisie d'un ordinateur ou d'un téléphone intelligent comprendra nécessairement des informations qui ne sont pas visées par le mandat. Il s'agit cependant, selon lui, de la solution qui est préférable. Pour le professeur Kerr, la solution au problème inévitable de la portée excessive réside dans l'adoption d'une règle qui interdit l'utilisation de la preuve qui n'est pas visée par les termes d'un mandat de perquisition. Cette question déborde le cadre de la présente contestation et il ne convient pas d'y répondre. Cela dit, cette problématique illustre la complexité de l'exécution des fouilles numériques.

Les difficultés que posent les fouilles numériques étant mieux circonscrites, il faut maintenant examiner l'arrêt Vu de la Cour suprême afin de déterminer si les conditions exigées par Uber devaient être imposées par le juge qui a délivré les mandats de perquisition. Dans cet arrêt, le juge Cromwell formule plusieurs observations qui peuvent être ainsi résumées : 1) les « conditions préalables » ou « protocoles de perquisition » ne sont pas, en règle générale, requis par la Constitution ; 2) l’article 8 de la Charte canadienne ne requiert pas que la manière de fouiller un ordinateur soit toujours précisée à l’avance ; 3) la manière dont la perquisition a été exécutée fait généralement l’objet d’un contrôle a posteriori ; 4) le contrôle minutieux a posteriori, où les deux parties présentent des éléments de preuve et des arguments, est plus propice à l’élaboration de nouvelles règles sur la façon d’effectuer les fouilles que ne l’est la procédure ex parte de délivrance des mandats ; 5) le fait d’exiger que soient, en règle générale, imposés des protocoles de perquisition avant l’exécution de la fouille rendrait vraisemblablement l’étape de l’autorisation beaucoup plus complexe, en plus de créer des difficultés d’ordre pratique, car le juge saisi de la demande d’autorisation n’est probablement pas capable de prédire le genre de techniques d’enquête que les policiers pourront utiliser dans le cadre d’une perquisition donnée, ou encore de prévoir les défis qui surgiront une fois que les policiers commenceront leur perquisition ; 6) il est souvent difficile de prédire l’endroit où les policiers devront fouiller pour trouver la preuve recherchée et où les dossiers pertinents peuvent se trouver dans un ordinateur ; 7) les tentatives en vue d’imposer des protocoles de perquisition à l’étape de l’autorisation risquent de créer des angles morts dans une enquête et de contrecarrer les objectifs légitimes de l’application de la loi dont tient compte le processus d’autorisation préalable ; 8) les policiers ne sont pas autorisés toutefois à passer sans discernement les appareils au peigne fin. La Cour d'appel a suivi les enseignements de l'arrêt Vu dans l'affaire Cohen c. Québec (Procureur général). Pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans cette dernière affaire, nous estimons que les mandats de perquisition en l'espèce ne doivent pas être annulés. En effet, la description des choses visées est suffisante pour circonscrire adéquatement la portée de la perquisition. De plus, il ne s’agit pas ici « de renseignements concernant des droits de propriété intellectuelle confidentiels ou encore des renseignements susceptibles d’être protégés par un privilège ». Qui plus est, les faits colligés par Mme Duval ne permettaient pas de croire que les ordinateurs ou autres appareils numériques saisis contenaient des informations personnelles, à moins d'en présumer leur présence en tout temps.

Un dernier commentaire s'impose au sujet de la nature de la fouille numérique à laquelle les enquêteurs de l'ARQ se proposent de procéder. Dans l'arrêt Vu, le juge Cromwell note que les policiers ne voulaient pas utiliser des techniques d’investigation criminalistique perfectionnées pour passer l’appareil saisi au peigne fin. On peut imaginer sans difficulté dans le présent dossier que la situation est différente. De fait, il est raisonnable de penser que les enquêteurs de l'ARQ devront se livrer à une fouille numérique minutieuse des choses saisies en utilisant des techniques perfectionnées de fouille. Cela dit, nous partageons l'opinion du professeur Kerr qu'il n'existe aucune autre solution réaliste à la saisie complète des supports numériques et à leur fouille subséquente, ce qui entraînera inévitablement l'accès à des informations qui ne sont pas visées par un mandat de perquisition. Il est bien possible que la seule solution à ce problème soit la création d'une règle qui interdit l'utilisation de la preuve qui n'est pas visée par un mandat de perquisition, car cette utilisation serait susceptible de rendre la manière d'effectuer la fouille abusive. Cette question ne se pose cependant pas en l'espèce, car la contestation d'un mandat de perquisition ne concerne que sa délivrance, et non son exécution.

Somme toute, puisque Mme Duval ne pouvait pas savoir que les ordinateurs ou téléphones numériques pouvaient contenir des informations personnelles, l’imposition d’une condition préalable à cet égard n’était pas justifiée. Cela ne signifie pas pour autant que l’ARQ est autorisée à passer sans discernement les appareils au peigne fin. L'ARQ devra éviter que l’exécution des fouilles numériques soit abusive.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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