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Une agence immobilière peut-elle céder sa créance pour une rétribution qui lui est due en faveur de son courtier immobilier afin qu'il puisse lui-même la réclamer ?

Par Me Ian Lacombe, LANE, avocats et conseillers d’affaires inc.
Une agence immobilière peut-elle céder sa créance pour une rétribution qui lui est due en faveur de son courtier immobilier afin qu'il puisse lui-même la réclamer ?

En vertu de la Loi sur le courtage immobilier, c’est à l’agence immobilière du courtier immobilier impliqué dans une transaction que sera versée la rétribution du courtier qui agit pour une agence immobilière. L’agence conservera un pourcentage pour ses frais, généralement de l’ordre de 5 % à 10 %, alors que le solde de cette rétribution sera versé à son courtier. C’est donc l’agence immobilière qui a, en principe, l’intérêt juridique pour entreprendre toute procédure judiciaire en réclamation d’une rétribution impayée. Malheureusement, les coûts associés à de telles procédures judiciaires en recouvrement d’une rétribution impayée risquent fortement d’excéder le montant net qui lui reviendra. Dès lors, il est légitime de se demander si l’agence immobilière, particulièrement dans les cas où le montant de la réclamation est inférieur à 15 000 $, peut céder sa créance au courtier impliqué afin que ce dernier puisse entreprendre lui-même les procédures judiciaires à la division des petites créances de la Cour du Québec.

La question de la validité d’une cession de créance a été soulevée dans un dossier de réclamation d’une rétribution de courtier initialement mû en Cour supérieure, dans l’affaire Services immobiliers Gestram inc. (Sotheby's International Realty Quebec) c. Ohannessian (EYB 2014-245419 – Texte intégral), de 2014.

Dans cette affaire, une agence immobilière réclamait aux propriétaires d’un immeuble, avec qui elle avait conclu un contrat de courtage, le paiement d’une rétribution de près de 90 000 $ au motif que ces derniers avaient empêché la vente de leur immeuble. Les vendeurs invoquaient en défense qu’ils n’avaient pas reçu de promesse d’achat conforme aux conditions essentielles du contrat de courtage.

Dans les faits, les vendeurs avaient reçu plusieurs offres, dont minimalement trois qui étaient au prix affiché/demandé. Les propriétaires de l’immeuble ont refusé chacune de ces offres, invoquant principalement qu’ils souhaitaient que la date de la vente et celle de l’occupation soient plus éloignées. Au moment de l’audience, environ trois ans et demi plus tard, l’immeuble en cause n’avait toujours pas été vendu.

La Cour, sous la plume de l’honorable Lucie Fournier, mentionne, au paragraphe 67 de cette décision, que « [c]ette vente ne se matérialisera pas en raison de l’intransigeance des Vendeurs qui ne peut s’expliquer que par leur volonté de ne pas vendre aux conditions du Contrat », et condamne les défendeurs à payer à la partie demanderesse un montant de 76 800,00 $.

Cette décision est particulièrement intéressante, car après le dépôt de la demande en justice, l’agence immobilière demanderesse a effectivement cédé sa créance contre les propriétaires de l’immeuble à son courtier immobilier Colin Worrell. Ce dernier a pu reprendre l’instance à titre de demandeur en reprise d’instance, et ainsi poursuivre les procédures initialement instituées par son agence immobilière, ce à quoi les vendeurs ne se sont par ailleurs pas opposés.

Le jugement rendu au terme de cette affaire fut toutefois porté en appel (EYB 2016-267860 – Texte intégral). C’est donc en deuxième instance que les défendeurs/propriétaires de l’immeuble en cause ont soulevé pour la première fois que la cession intervenue entre le courtier immobilier et son agence aurait été effectuée en contravention à la Loi sur le courtage immobilier; loi d’ordre public. Ils ont alors invoqué que la cession de créance opérée leur serait ainsi inopposable et, en conséquence, que le courtier immobilier Worrell n’avait pas le droit de leur réclamer la rétribution.

Nécessairement, la Cour d’appel a dû se prononcer quant à la validité de la cession de créance réalisée, en déterminant si elle avait été effectuée en contravention ou non à la Loi sur le courtage immobilier.

Ultimement, la Cour d’appel affirme, au paragraphe 22 de l’arrêt rendu en 2016, que « les appelants n’identifient aucune disposition législative claire et précise qui prohiberait une cession de la rétribution de l’agence immobilière en faveur du courtier immobilier détenteur de permis, dans les circonstances en cause dans cette affaire ».

La Cour d’appel souligne également que les dispositions en l’espèce de la Loi sur le courtage immobilier sont d’ordre public de protection, ne pouvant être sanctionnées que par une nullité relative et, donc, susceptibles de confirmation par les parties, ce que les vendeurs auraient fait en ne s’élevant pas contre la cession. De plus, elle souligne que les vendeurs n’ont subi aucun préjudice découlant de cette cession, celle-ci ayant eu lieu après le dépôt de la demande introductive et longtemps après la fin du contrat de courtage.

Par conséquent, la Cour d’appel refuse de déclarer inopposable aux propriétaires de l’immeuble en cause la cession intervenue entre l’agence immobilière et son courtier immobilier, et maintient le jugement de première instance.

Plus récemment encore, en 2017, la Cour supérieure a également eu à prendre position sur la validité d’une cession de créance entre une agence immobilière et son courtier immobilier dans l’affaire Paradis c. Trudel (EYB 2017-282613 – Texte intégral).

En l’espèce, la Cour s’est précisément employée à déterminer si la cession de la commission constituait une cession de créance ou la vente d’un droit litigieux. Cette distinction est importante, puisque s’il s’agissait de la vente d’un droit litigieux, le débiteur pouvait exercer le droit de retrait prévu par l’article 1784 du Code civil du Québec, lui permettant de se libérer de la créance en ne payant à l’acheteur que le prix que celui-ci a versé au vendeur, ainsi que les frais et les intérêts.

La cession en l’espèce, intervenue entre l’agence immobilière et son courtier immobilier, avait été effectuée moyennant une contrepartie de « 10 % de la somme à recevoir suite au jugement ou au règlement ». La Cour en vient à la conclusion qu’il s’agissait d’une cession de créance et non d’une vente de droits litigieux, et qu’une telle façon de procéder n’est pas illégale :

[25] Ainsi, le tribunal est en mesure de comprendre que le demandeur, pour réussir dans son recours, devait obtenir du détenteur de la créance la cession de son droit.
[26] C’est d’ailleurs ce que monsieur le juge Henri Richard, maintenant à la Cour du Québec, précisait dans son ouvrage « Le courtage immobilier du Québec » :
Il n’existe aucun lien juridique de nature contractuelle entre un tel courtier immobilier (anciennement agent immobilier) et le client (inscripteur ou acheteur). C’est en vertu de ce constat que la Cour supérieure décide qu’un agent immobilier « ne pourrait réclamer se part de commission qu’au courtier inscripteur, aucun lien de droit n’existant entre lui et le propriétaire vendeur ». Il semble en être autrement lorsqu’un agent immobilier (maintenant courtier immobilier) devient cessionnaire de son courtier (maintenant de son agence) relativement à une créance visant le paiement d’une commission. Il est étonnant que l’on puisse remettre en cause la légalité d’une telle cession en s’appuyant sur le caractère d’ordre public de la Loi sur le courtage immobilier, sans distinguer l’ordre public de protection de l’ordre public de direction.
[27] Non seulement il s’avère que cette cession se veut en raison de la nature juridique des relations contractuelles entre les parties, mais de plus, elle s’impose, semble-t-il, en vertu des obligations de déontologie :
[117] Premièrement, dans l’une des capsules d’information produites par la poursuite portant spécifiquement sur la cession de créances, on peut lire la recommandation suivante :
Au surplus, le courtier qui, sans bénéficier d’une cession de créances, poursuivrait lui-même un client de cette façon contreviendrait à l’article 35 du Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité de l’OACIQ et ainsi commettrait une infraction déontologique.
(…)
[121] Cela dit, compte tenu de l’article 35 du Règlement et de l’obligation d’établir un lien de droit entre le courtier et les clients, la signature de « l’acte de cession de droits » était nécessaire et incontournable ;
[122] À défaut d’une telle cession de créances, le courtier et l’agence se plaçaient en situation d’infraction à l’égard de l’article 35 du Règlement.
[Références omises et soulignement ajouté]
[28] Bien que l’acte et le document P-6 précisent qu’il s’agit d’une cession pour considération partielle de 10 % de la créance, elle résulte d’une obligation entre les parties. Elle n’empêche pas le demandeur de revendiquer la créance qu’il souhaite obtenir de la part de son éventuel débiteur.

En l’espèce, la Cour conclut « qu’il ne s’agit pas d’un droit cédé pour spéculation », mais qu’il s’agit plutôt, pour le courtier cessionnaire de la créance, « d’une cause légitime qui résulte de son travail et du bénéfice qu’il pourrait en retirer ». La Cour mentionne également que, malgré le fait que la créance cédée puisse faire l’objet d’une contestation par les défendeurs qui sera entendue par le juge du fond, il s’agissait en fait d’une cession d’une créance litigieuse et non de la vente d’un droit litigieux. Il en aurait été toutefois autrement si l’agence immobilière ou le demandeur cessionnaire avait cédé cette créance litigieuse pour une considération pécuniaire à un tiers.

«Nous retenons de ces décisions, et plus particulièrement de l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Ohannessian, qu’une agence immobilière peut légalement céder en faveur de son courtier immobilier son droit de réclamer une rétribution à un vendeur ou à un acheteur défaillant, pour que son courtier puisse lui-même entreprendre les procédures judiciaires nécessaires visant à recouvrer la rétribution qui résulte de son travail contre ce vendeur/cet acheteur défaillant.»

Nous retenons de ces décisions, et plus particulièrement de l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Ohannessian, qu’une agence immobilière peut légalement céder en faveur de son courtier immobilier son droit de réclamer une rétribution à un vendeur ou à un acheteur défaillant, pour que son courtier puisse lui-même entreprendre les procédures judiciaires nécessaires visant à recouvrer la rétribution qui résulte de son travail contre ce vendeur/cet acheteur défaillant. Ainsi, et malgré le fait qu’une rétribution doive être versée à l’agence qui a conclu le contrat de courtage en vertu de la Loi sur le courtage immobilier, il n’existe aucune disposition qui prohibe explicitement la cession par une agence immobilière d’un droit de réclamer une rétribution à un vendeur/un acheteur défaillant en faveur de son courtier.

«Tout porte à croire que cette façon de fonctionner sera de plus en plus répandue à l’avenir, car elle permettrait, à faible coût, à un courtier immobilier agissant pour une agence immobilière de déposer lui-même une réclamation directement à la division des petites créances de la Cour du Québec afin de réclamer une rétribution jusqu’à concurrence d’un montant de 15 000 $, particulièrement si son agence immobilière ne peut elle-même s’adresser à la division des petites créances en raison du fait qu’elle compte plus de 10 employés.»

Tout porte à croire que cette façon de fonctionner sera de plus en plus répandue à l’avenir, car elle permettrait, à faible coût, à un courtier immobilier agissant pour une agence immobilière de déposer lui-même une réclamation directement à la division des petites créances de la Cour du Québec afin de réclamer une rétribution jusqu’à concurrence d’un montant de 15 000 $, particulièrement si son agence immobilière ne peut elle-même s’adresser à la division des petites créances en raison du fait qu’elle compte plus de 10 employés. En effet, plusieurs agences immobilières ne peuvent s’adresser à la division des petites créances, car elles comptent plus de 10 employés, ce qui les force à devoir intenter leur recours à la chambre civile de la Cour du Québec et devoir retenir les services d’un avocat, puisqu’elles ne peuvent généralement se représenter elles-mêmes lorsque leur forme juridique est une société par actions.

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À propos de l'auteur

Diplômé en droit de l’Université d’Ottawa et membre du Barreau du Québec depuis 2016, Me Ian Lacombe pratique au sein de la firme LANE, avocats et conseillers d’affaires inc. Il se spécialise en litige civil et commercial. Il a acquis une expérience significative en matière de recours pour vices cachés, en matière de baux commerciaux, en droit de la construction ainsi qu’au niveau de la négociation de contrats et d'ententes en matière commerciale. Il a développé une expertise particulière en matière de courtage immobilier.