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Chronique – La criminalisation du « revenge porn » : entre théorie et pratique

Dans la foulée de la première lecture du projet de loi C-13, le présent article constitue une analyse comparée des dispositions criminalisant le revenge porn au Canada, au New Jersey et en Californie, ainsi qu'une réflexion sur des questions d'ordre théorique et pratique découlant d'une telle analyse législative.
Blogue juridique

INTRODUCTION

Sex, like nearly everything else, is mediated by technology now. People meet partners via Match.com and Facebook; they arrange dates by text message; and they send intimate photos to one another using smartphones. Couples separated by distance may use Skype or FaceTime to achieve sexual intimacy – a practice different only in degree from steamy love letters or phone sex.1

Ces nouveaux moyens de communiquer, combinés avec une (trop) grande confiance ou insouciance au cours d'une relation amoureuse ainsi qu'un sentiment de vengeance, de colère ou de tristesse une fois la relation terminée, sont à la base du phénomène de « revenge porn » aussi appelé pornographie non consensuelle, qui peut être défini ainsi :

[...] the distribution of sexually graphic images of individuals without their consent. This includes images originally obtained without consent (e.g. hidden recordings or recordings of sexual assaults) as well as images originally obtained with consent within the context of a private or confidential relationship (e.g. images consensually given to an intimate partner who later distributes them without consent, popularly referred to as “revenge porn”). Non-consensual pornography does not include images taken of individuals in public or of people engaged in unsolicited and unlawful sexual activity, such as flashing.2

De tels actes peuvent également être considérés comme étant une forme de violence conjugale, les conjoints menaçant de publier de telles images afin de maintenir le contrôle sur leur conjoint3. Qui plus est, selon un sondage réalisé aux États-Unis, à la suite d'une rupture, une personne sur dix aurait fait l'objet de menaces par un ex-partenaire quant à la publication d'images intimes sur le Web et de ce nombre, 60 % ont mis leur menace à exécution4.

Bien que ce phénomène soit relativement nouveau, nous assistons actuellement à une multiplication d'initiatives gouvernementales visant à le criminaliser. Ainsi, à ce jour, le « revenge porn » est notamment5 illégal au New Jersey depuis 20036, et plus récemment en Californie7 ainsi qu'en Israël8. Dans la même veine, le gouvernement fédéral du Canada a déposé en novembre 2013 le projet de loi C-139 qui, s'il était adopté dans sa forme actuelle, aurait notamment pour effet de modifier le Code criminel10 afin qu'y soit ajoutée l'infraction de pornographie non consensuelle. Plus précisément, il serait interdit pour quiconque de, « sciemment, publier, distribuer, transmettre, vendre ou rendre accessible une image intime d'une personne, ou en faire la publicité, sachant que cette personne n'y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non »11.

Considérant le caractère relativement nouveau de tels actes ainsi que le contexte particulier de ces images du fait qu'elles soient publiées dans un univers virtuel, des questionnements peuvent valablement être soulevés quant à cette décision de criminaliser le « revenge porn ». Nous proposons donc, dans le cadre du présent article, d'aborder ceux-ci en deux temps, soit tout d'abord les préoccupations d'ordre théorique ayant trait à la légitimité de cette nouvelle infraction ainsi que, dans un second temps, celles d'ordre pratique, concernant son application.

I– LE « REVENGE PORN » EN THÉORIE

Ainsi, comme mentionné par certains12, il est légitime de s'interroger quant à la nécessité d'intégrer cette nouvelle infraction au Code criminel13, ce dernier contenant déjà certains actes prohibés qui pourraient également englober les actes considérés comme étant du « revenge porn ». Parmi ceux-ci, mentionnons le voyeurisme14, les publications obscènes15, le harcèlement criminel16, le libelle diffamatoire17, l'extorsion18 ainsi que la pornographie juvénile19.

Un examen plus approfondi du libellé de ces infractions permet toutefois de constater qu'en ce qui a trait aux publications obscènes, l'image doit illustrer un acte violent et sexuel20, ceci n'étant pas toujours le cas, alors que dans le cas du harcèlement sexuel, la victime doit craindre pour sa sécurité, ce qui pourrait arriver dans le cas où des renseignements personnels seraient également publiés avec l'image intime.

Quant à l'infraction de pornographie juvénile, elle pourrait effectivement trouver application, mais ce, uniquement dans le cas où le sujet de la photo est un mineur21. Qui plus est, les tribunaux pourraient également se trouver face à une problématique pour le moins intéressante dans le cas où la personne qui publie l'image ainsi que le sujet de l'image seraient tous deux mineurs22. Cette situation est loin d'être farfelue, s'étant en effet produite récemment au Québec, où des mineurs ont été arrêtés23 après avoir convaincu des jeunes filles de leur envoyer des images intimes au moyen de l'application snapchat24, ayant publié celles-ci sur Internet par la suite.

Bien que dans un registre ne pouvant être plus différent, il importe également de souligner que certains auteurs sont plutôt d'avis qu'il faut aborder la pornographie non consensuelle sous l'angle de la propriété intellectuelle25. Ceci ne s'appliquerait cependant que dans le cas des « selfies » puisqu'il est alors question de reproduction non autorisée d'une oeuvre.

Par ailleurs, il a été possible de répertorier quelques poursuites civiles26 devant les tribunaux québécois, concernant des circonstances similaires à ce qui est considéré comme du « revenge porn ». Ces recours se fondent sur le respect du droit à l'image27, à la vie privée28, à l'honneur et à la dignité29 ainsi que sur l'atteinte à leur réputation30, des dommages moraux et punitifs étant réclamés. Toutefois, ces dommages étant difficiles à établir, les sommes allouées demeurent symboliques, l'effet dissuasif étant par conséquent faible.

Considérant cela, même en reconnaissant que dans certaines situations données, il puisse exister un certain chevauchement entre le texte des infractions précitées et celui qui criminaliserait le « revenge porn », force est de constater qu'aucune d'entre elles n'est complètement adaptée à la réalité de la distribution non consensuelle d'images intimes31. Nous abondons donc dans le même sens que le comité de consultation mandaté par le gouvernement fédéral32 voulant qu'il existe réellement à l'heure actuelle « vide dans le droit pénal »33, justifiant ainsi l'ajout d'une disposition dans le Code criminel, et ce, afin de fournir une protection égale à toutes les victimes.

II– LE « REVENGE PORN » EN PRATIQUE

Par contre, la connaissance limitée du phénomène en raison de sa nouveauté ainsi que le contexte particulier des publications dans un univers virtuel dont l'anonymat, l'instantanéité, l'irréversibilité et l'internationalité font de cette disposition « a very difficult provision to get right and an easy provision to get wrong »34. Plus précisément, le contenu de l'image, l'identification de la personne photographiée ainsi que de l'auteur, le consentement, les moyens de défense,ainsi que la détermination de la peine représentent les principaux défis au niveau pratique, pouvant vraisemblablement compliquer l'application d'un tel article.

Ainsi, en ce qui a trait au contenu de l'image en soi, le législateur a pris soin de définir ce qui constitue réellement une image intime, soit le fait qu'une personne « y figure nue, exposant ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livrant à une activité sexuelle explicite »35. Aucune précision n'est cependant fournie quant à la nécessité que le visage de la personne s'y retrouve également, de sorte que l'on peut raisonnablement se demander si le législateur souhaite également inclure dans le champ d'application de la loi les photos où celui-ci serait coupé ou encore flouté. Dans un même ordre d'idées, faut-il donc exiger que la personne y soit clairement identifiable, et ce, comme le prévoit explicitement la loi californienne ?

Avant même de tenter une réponse à cette question, il importe de se pencher sur ce qu'il faut entendre par « identifiable ». De prime abord, l'on pourrait raisonnablement en comprendre qu'il serait nécessaire d'y voir le visage du sujet de la photo, en plus d'au moins une des parties « intimes » énumérées. Les images dont le visage serait coupé ou flouté seraient par conséquent exclues. Or, dans pareil cas, il serait possible d'apercevoir une quelconque marque distinctive sur le corps de la personne, dont un tatouage, une tache de naissance ou encore un grain de beauté, ne la rendant alors identifiable que pour un nombre restreint d'individus. Par ailleurs, mentionnons que l'image publiée sur un site Web est souvent accompagnée d'autres informations de nature personnelle tels le nom complet, l'adresse, le lieu de travail, le numéro de téléphone, un lien vers la page Facebook personnelle ou encore le numéro d'assurance sociale36. Ainsi, ce serait donc une combinaison de différents éléments qui pourraient réellement rendre une personne identifiable, chacun d'entre eux ayant des effets d'importance inégale.

Considérant ces éléments, nous demeurons partagée quant à la nécessité de cette exigence. D'une part, l'absence de celle-ci pourrait certainement avoir pour effet de créer un champ d'application trop large outrepassant ainsi les situations réellement visées, soit celles où une personne subit notamment un grand stress et une grande humiliation en apprenant qu'une image osée ne laissant aucun doute sur son identité est rendue visible pour l'ensemble des internautes sans possibilité de l'effacer de manière définitive. À l'opposé, requérir une telle preuve s'avérerait complexe en réalité, considérant la subjectivité du critère ainsi que les inégalités que cela pourrait entraîner selon l'interprétation qui en sera faite. Bien que l'on puisse comprendre du silence de la loi que le sujet de la photo n'a pas à être identifiable, il serait pour le moins pertinent que le législateur y apporte plus de précisions considérant les problématiques intéressantes découlant des deux hypothèses.

Dans un ordre d'idées similaire, l'identité de la personne ayant procédé à l'enregistrement soulève également des questions intéressantes. À cet effet, il est intéressant de mentionner que selon des statistiques, dans au moins 80 %37 des cas, le sujet de l'image se sera photographié lui-même, ce type d'image étant communément désigné comme une « selfie » ou autoportrait. Considérant cela, il est pour le moins surprenant que le texte de la loi californienne exclût expressément ces images, limitant la protection à « Any person who photographs [...] parts of another identifiable person »38. Une telle formulation a pour effet de réduire à un point tel son champ d'application qu'elle est pratiquement vidée de son sens, à notre avis. Une telle distinction est par ailleurs injustifiée et constitue, à la limite, un jugement de valeur, puisqu'elle laisse sous-entendre que la personne dont l'autoportrait se retrouve publié ou distribué sur Internet est l'artisane de son propre malheur39, la privant alors de son droit de revendiquer une quelconque forme de protection. Il semble toutefois que les légistes canadiens semblent avoir pris bonne note des nombreuses critiques formulées à cet effet puisque, dans sa forme actuelle, l'article 162.1 du projet de loi C-13 est rédigé dans des termes plus généraux, de sorte qu'aucune distinction n'est faite quant à l'auteur de l'image.

Par ailleurs, le cas particulier des autoportraits est également étroitement lié à la question de consentement. En effet, certains considèrent qu'en se photographiant elles-mêmes et en acceptant de transmettre par la suite ces images par courriel, messagerie instantanée ou encore SMS à une personne qu'elles estiment de confiance, ces personnes ont implicitement consenti à la diffusion de l'image40. En d'autres mots, un tel raisonnement reviendrait à dire que « a victim's consent in one context is taken as consent in all contexts »41, une telle affirmation étant à notre avis trop simpliste en plus de ne pas être adapté à la réalité ni au contexte particulier du « revenge porn » ayant par ailleurs pour effet de réduire de manière non négligeable le champ d'application.

Ceci étant, le fait d'avoir à prouver une absence de consentement semble être une évidence en théorie. Nous sommes toutefois à même de constater qu'en pratique, elle ne sera pas des plus simples à établir.

En effet, il est raisonnable de penser que dans la plupart des cas, la preuve sera circonstancielle. Considérant la rapidité et l'impulsivité avec lesquelles ces images sont prises et envoyées, on pourrait effectivement penser que rares seront les cas où le consentement aura été obtenu préalablement par écrit ou énoncé de manière claire. Par conséquent, la preuve serait basée en grande partie sur des témoignages contradictoires où, ultimement, la crédibilité de chacun sera déterminante42. Il faudra aussi envisager les cas où ce consentement n'aurait pas été accordé de manière libre et éclairée : pensons par exemple au chantage émotif, à la pression sociale ou autres fausses représentations qui pourraient être faites.

Subsidiairement à cette absence de consentement, le texte de loi fédérale, dans sa forme actuelle, prévoit que la personne qui ne s'est pas souciée de savoir s'il y avait eu ou non absence de consentement pourra également être accusée de pornographie non consensuelle. Il est intéressant de mentionner que la loi californienne prévoit un élément similaire, soit l'exigence que la personne « devrait comprendre que l'image devait demeurer privée ». Comportant une plus grande composante subjective, la preuve serait donc encore plus difficile à faire.

Qui plus est, l'ajout d'une telle option a pour effet de donner une portée beaucoup trop large à l'infraction43. Pensons plus particulièrement à la situation où l'image aurait été transmise, à la chaîne, à plusieurs personnes différentes. Dans ce cas, la personne à qui l'image était destinée initialement et qui la transmettrait par la suite à un tiers sans autorisation devrait minimalement savoir qu'elle n'y était pas autorisée. Or, si ce tiers la transmet à son tour à un de ses amis et que ce cycle continue, il est de moins en moins raisonnable d'exiger une telle connaissance d'absence de consentement44. En d'autres mots, plus il existe un degré de séparation élevé entre la personne photographiée et la personne qui partage l'image, plus il est probable que la preuve d'insouciance d'absence de connaissance sera difficile à faire, voire trop lourde45. D'importants doutes peuvent donc être soulevés quant à la manière dont cet élément pourrait être prouvé avec succès.

De manière étroitement liée au consentement, le projet d'article 162.1 se distingue des deux autres libellés d'infraction des États américains mentionnés plus haut, en ce qu'il y est également prévu que la victime devait avoir une expectative de vie privée à deux moments biens précis, soit au moment de la réalisation de l'enregistrement46 ainsi qu'au moment de la perpétration de la diffusion sans consentement de cet enregistrement à des tiers47. Bien que l'on puisse comprendre la raison d'être de la première période, nous ne sommes toutefois pas convaincus de la pertinence de la seconde. En effet, considérant que dans la plupart des cas, il ne s'écoule que peu de temps entre le moment où la photo a été prise et la diffusion de celle-ci, il est difficile d'imaginer une situation dans la réalité où l'expectative aurait disparu entre ces deux événements, surtout que ceux-ci sont étroitement interreliés. Qui plus est, aucune précision n'est apportée quant à ce qui constitue réellement une telle attente raisonnable, laissant ainsi libre cours aux tribunaux afin d'en établir les critères d'application48.

Dans un autre ordre d'idées, notons que tout comme le texte de loi du New Jersey, celui du Canada ne prévoit pas de preuve d'intention explicite. Ceci peut, de prime abord, sembler contradictoire du fait que le phénomène contient le mot « vengeance », pouvant donc impliquer un état d'esprit particulier. Or, à notre avis, le fait d'exiger une telle preuve pourrait, à tort, laisser croire qu'il est tolérable de publier des images intimes d'une personne sans avoir obtenu son consentement, pourvu que cet acte ne soit pas motivé par une intention telles l'humiliation ou la vengeance. Qui plus est, il pourrait s'avérer difficile d'effectuer une telle démonstration. C'est cependant l'approche retenue par la Californie, où il sera nécessaire de prouver que la publication des images a été faite dans l'intention de causer une détresse émotive chez la prétendue victime, qui devra de plus établir qu'elle a réellement vécu une telle détresse. Une telle exigence est plus que discutable à notre avis, notamment de par la difficulté d'une telle preuve, contribuant à réduire davantage le champ d'application de la loi.

Ceci étant, le fait de distribuer des images intimes d'une personne sans avoir obtenu son consentement constitue, à la base, une action pouvant englober un grand nombre de situations, donnant donc a priori une portée très large à cette nouvelle infraction. Il a donc été recommandé49 que soient prévus des moyens de défense. Puisque la photographie et les autres formes d'enregistrement énumérées constituent des formes d'expression, c'est sur le droit fondamental rattaché à la liberté de s'exprimer qu'il serait possible d'être exonéré. Par conséquent, au Canada, dans le cas où le projet de loi serait adopté, une personne qui serait accusée en vertu de l'article 162.1 du projet de loi ne pourra être déclarée coupable de pornographie non consensuelle si l'on réussit à établir avec succès que son geste a été posé dans le but de servir au bien public, en n'outrepassant toutefois pas ce qui a servi à ce bien50. De manière similaire, au New Jersey, il faudra plutôt établir que l'on a agi dans un but légitime. Afin d'illustrer de manière concrète la nécessité d'une telle exception, rappelons le cas où un sénateur américain envoyait des images de ses parties intimes à de jeunes filles, celles-ci ayant dénoncé la situation en publiant lesdites photos51.

Il est par ailleurs intéressant de souligner que chez nos voisins du Sud, la seule possibilité que la criminalisation du « revenge porn » porte atteinte à ce droit a suffi à faire échouer les projets de loi qui avaient été déposés dans les États de la Floride et du Missouri. Les politiciens considéraient que le risque d'atteinte à la liberté d'expression était trop élevé et devait primer le reste52. Nous ne partageons toutefois pas cette vision, estimant plutôt que les atteintes à la vie privée sont potentiellement beaucoup plus grandes et dommageables pour une personne que celles ayant trait à une potentielle atteinte à la liberté d'expression, surtout lorsqu'on sait que l'obtention du consentement peut, à elle seule, être suffisante en soi pour ne pas être reconnu coupable.

Dans le cas toutefois où un verdict de culpabilité serait prononcé, il est intéressant de noter qu'autant le Canada que le New Jersey et la Californie ont prévu une peine d'emprisonnement, la durée de celle-ci variant cependant d'une loi à l'autre53. De façon complémentaire ou subsidiaire, une amende pouvant s'élever jusqu'à trente mille dollars (US) dans le cas particulier du New Jersey peut être imposée, comparativement à cinq mille dollars selon la loi fédérale canadienne. Or, la particularité au Canada réside dans le fait que l'infraction de « revenge porn » serait mixte. Ainsi, en cas de poursuite par voie sommaire, une personne s'exposerait à un maximum de six mois d'emprisonnement, d'une amende ne dépassant pas cinq mille dollars, ou aux deux, alors qu'une mise en accusation formelle élèverait à cinq ans le temps pouvant être passé en prison54.

Considérant la gravité des conséquences souvent irréversibles découlant de la publication de telles images sur Internet, ainsi que les dommages moraux importants pouvant en découler, nous n'estimons pas exagéré le fait de prévoir des peines d'emprisonnement, celles-ci ayant certainement un effet dissuasif important, en plus de confirmer le sérieux qu'accorde un gouvernement à de tels actes.

CONCLUSION

À la lumière de ce qui précède, bien que nous soyions convaincue de la nécessité de formellement criminaliser le « revenge porn », force est de constater que ce phénomène est pour le moins complexe. Par conséquent, dans sa forme actuelle, le libellé de l'article 162.1 du projet de loi contient certains éléments donnant ouverture à un certain nombre de difficultés d'application en pratique. Or, le projet n'en étant qu'à sa première lecture, advenant le cas où il serait adopté, il faudra patienter de nombreux mois avant de connaître l'interprétation et l'application qu'en feront les tribunaux et ainsi voir si les réserves présentées ci-haut sont fondées.

Nous sommes toutefois convaincue qu'une telle initiative gouvernementale ne suffira pas, à elle seule, à éradiquer ce phénomène, bien qu'elle entraîne certainement un effet dissuasif. En effet, considérant qu'un tel phénomène comporte une composante sociale importante, nous partageons l'avis de la majorité des personnes s'étant penchée sur la question jusqu'à présent quant au fait qu'il soit nécessaire que des programmes éducatifs visant la prévention et la sensibilisation soient mis sur pied55. Une attention particulière devra être accordée aux mineurs, ces derniers pouvant être plus influençables, vulnérables à la pression de leurs pairs et diminuant l'ampleur des conséquences pouvaient découler de l'envoi d'un tel enregistrement.

Parallèlement, il faudrait également fournir à la fois aux autorités56 et aux victimes des outils et des ressources suffisantes afin de réagir rapidement lorsqu'une telle publication n'aurait pas pu être évitée. Ces mesures sont donc aussi importantes, voire essentielles au succès de la criminalisation du « revenge porn », puisque sans elles, « our politicians are offering these victims a solution that is more about symbolism than about justice »57.


1. Derek E. BAMBAUER, Exposed, Discussion paper No. 13-39, University of Arizona, août 2013, à la p. 11 [BAMBAUER, Exposed].

2. Mary-Anne FRANKS, « Combating Non-Consensual Pornography: A Working Paper » (5 décembre 2013), en ligne : http://ssrn.com/abstract=2336537, à la p. 3 [FRANKS, Combating Non-Consensual Porn]. Soulignons que nous ne traiterons pas ici des images ayant été prises à l'insu d'une personne.

3. Ibid., à la p. 5.

4. Sondage réalisé par l'éditeur de logiciels McAfee auprès de personnes âgées entre 18 et 54 ans : « Lovers beware – scorned exes may share intimate date and images online » (4 février 2013), en ligne : http://www.mcafee.com/us/about/news/2013/q1/20130204-01.aspx [Sondage McAfee].

5. Le revenge porn est également illégal en Utah, depuis le printemps 2014 : <http://le.utah.gov/~2014/bills/static/HB0071.html> ainsi que dans les États de Georgie, Idaho, Virginie, Wisconsin et Arizona : en ligne : http://www.reuters.com/article/2014/05/01/us-usa-arizona-revengeporn-idUSBREA4000T20140501.

6. N.J. Stat. Ann. § 2C : 14-9 [Loi du New Jersey]. Cependant, au moment d'écrire ces lignes, il s'avère qu'un tel article n'aurait été invoqué avec succès que deux fois depuis son adoption : FRANKS, Combating Non-Consensual Porn, supra, note 2, à la note de bas de page 28 ; New Jersey v. Parsons, en ligne : http://law.justia.com/cases/new-jersey/appellate-division-unpublished/2011/a3856-10.html.

7. É.-U., S.B. 255, An act to amend Section 647 of the Penal Code, relating to crimes, and declaring the urgency thereof, to take effect immediately, 2013-2014, Cal., 2013, Chapter 466, art. (4)(A). [Loi californienne]

8. Voir notamment : Yifa YAAKOV, « Israeli law makes revenge porn a sex crime » (6 janvier 2014), en ligne : http://www.timesofisrael.com/israeli-law-labels-revenge-porn-a-sex-crime/#ixzz2seWY7L8K.

9. P.L. C-13, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur la concurrence et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle, 2e sess., 41e parl., 2013 (première lecture le 20 novembre 2013). [Projet C-13]

10. L.R.C. (1985), ch. C-46. [C.cr.]

11. Supra, note 10, art. 162.1(1).

12. Voir notamment : Vincent GAUTRAIS, « C-13 et le projet de loi controversé contre la cyberintimidation » (21 novembre 2013), en ligne : droitdu.net http://droitdu.net/2013/11/c-13-et-le-projet-de-loi-controverse-contre-la-cyberintimidation/ [GAUTRAIS, Projet de loi controversé] ; Michael GEIST, « Is C-13 Needed?: How Canadian Law Already Features Extensive Rules to Combat Cyberbullying » (13 janvier 2014), en ligne : http://www.michaelgeist.ca/content/view/7046/125/

13. Supra, note 11.

14. Ibid., art. 162.

15. Ibid., art. 163 C.cr.

16. Ibid., art. 264 C.cr.

17. Ibid., art. 298 C.cr.

18. Ibid., art. 346 C.cr.

19. Ibid., art. 163.1 C.cr.

20. Ibid.

21. Selon une étude américaine réalisée auprès de 600 jeunes âgés de 13 à 19 ans, 20 % de ces derniers avaient envoyé des images à contenu sexuel : The national campaign to prevent teen and unplanned pregnancy, « Sex and tech – results from a survey of teens and young adults » (2008), en ligne : http://thenationalcampaign.org/sites/default/files/resource-primary-download/sex_and_tech_summary.pdf.

22. CANADA, Groupe de travail du comité de coordination des hauts fonctionnaires sur le cybercrime, Rapport aux ministres fédéraux/provinciaux/territoriaux responsables de la Justice et de la Sécurité publique – Cyberintimidation et distribution non consensuelle d'images intimes, Ottawa, ministère de la Justice, 2013 [Rapport CCSO], à la p. 18.

23. Voir notamment : Claude-André MAYRAND, « Pornographie juvénile : 10 adolescents arrêtés à Laval » (14 novembre 2013), en ligne : http://www.lechodelaval.ca/lechodelaval/2013/11/14/pornographie-juvenile--10-adolescents-arretes-a-laval ; Kevin CHAN, Shaheen SHARIFF, « Canada needs a sweeping strategy to fight cyberbullying » (19 novembre 2013), en ligne : http://cyberlaw.stanford.edu/publications/canada-needs-sweeping-strategy-fight-cyberbullying [CHAN, Strategy to fight cyberbullying].

24. « Snapchat est une application de messagerie pour Android et iPhone. Elle autorise l'envoi de photos, vidéos et dessins à un ou plusieurs contacts. Ces derniers peuvent visualiser les contenus durant 10 secondes maximum » : Baptiste BRASSART, « Snapchat c'est quoi ? » (8 octobre 2013) en ligne : http://articles.softonic.fr/snapchat-cest-quoi-au-juste.

25. Voir notamment : BAMBAUER, Exposed, supra, note 1.

26. Voir notamment : J.L. c. S.B., AZ-50076276 (C.S.) ; Pelchat c. Duchesneau, 2006 QCCQ 5569, EYB 2006-176475.

27. Code civil du Québec, RLRQ, 1991, c. C-1991, art. 35, 36 [C.c.Q.]. Le droit à l'image n'est pas expressément énoncé dans la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 [Charte québécoise], mais est souvent considéré comme étant inclus dans le droit à la vie privée, soit l'article 5 de cette charte.

28. C.c.Q., supra, note 28, art. 3, 35 ; Charte québécoise, supra, note 28, art. 5.

29. Charte québécoise, supra, note 28, art. 4.

30. Charte québécoise, supra, note 28, art. 4 ; C.c.Q., supra, note 28, art. 3.

31. Rapport CCSO, supra, note 22, à la p. 18.

32. Désigné comme le « groupe de travail du comité de coordination des hauts fonctionnaires sur le crime ».

33. Ibid.

34. David FRASER, « Some comments on the new Canadian Cyberbullying bill, aka Bill C-13 'protecting Canadians from Online Crime Act' » (20 novembre 2013), en ligne : privacylawyer.ca http://blog.privacylawyer.ca/search?updated-max=2013-11-25T19:42:00-04:00&max-results=10&start=20&by-date=false [FRASER, Comments on C-13].

35. Projet de loi C-13, supra, note 10, art. 162.1(2)a).

36. Sondage McAfee, supra, note 4.

37. Danielle Keats CITRON, Mary-Ann FRANKS, « Criminalizing Revenge Porn », Wake Forest L. Rev. [à paraître en 2014], à la p. 26. Ce texte est également disponible en ligne : http://ssrn.com/abstract=2368946 [CITRON, Criminalizing revenge porn], à la p. 24.

38. Loi californienne, supra, note 7, art. 674(4)(a).

39. Voir notamment : Jessica ROY, « California's New Anti-Revenge Porn Bill Won't Protect Most Victims » (3 octobre 2013), en ligne : nation.time.com http://nation.time.com/2013/10/03/californias-new-anti-revenge-porn-bill-wont-protect-most-victims/.

40. Voir à ce sujet : FRANKS, Combating non-consensual porn, supra, note 2, à la p. 3.

41. Ibid.

42. Voir notamment GAUTRAIS, Projet de loi controversé, supra, note 13.

43. Ibid. ; FRASER, Comments on C-13, supra, note 35.

44. FRASER, Comments on C-13, supra, note 35.

45. Ibid.

46. Projet de loi C-13, supra, note 10, art. 162.1(2)b).

47. Ibid., art. 162.1(2)c).

8. Ministère de la Justice du Canada, Résumé législatif, publication no 41-2-C13-F, « Projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur la concurrence et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle  » (11 décembre 2013), à la p. 3 [Résumé législatif C-13], à la p. 4.

48. Ministère de la Justice du Canada, Résumé législatif, publication no 41-2-C13-F, « Projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur la concurrence et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle  » (11 décembre 2013), à la p. 3 [Résumé législatif C-13], à la p. 4.

49. FRANKS, Combating revenge porn, supra, note 2, aux p. 13 et 15 ; CITRON, Criminalizing revenge porn, supra, note 38, à la p. 25.

50. Projet de loi C-13, supra, note 10, art. 162.1(3). Voir également : Résumé législatif C-13, supra, note 49, à la p. 4.

51. Voir notamment : Jason HOROWITZ, « In New-York, All eyes on Weiner scandal » (24 juillet 2013), en ligne :  <http://www.washingtonpost.com/politics/in-new-york-all-eyes-on-anthony-weiner-scandal/2013/07/24/1069862c-f4a5-11e2-9434-60440856fadf_story.html>.

52. Voir notamment : FRANKS, Combating non-consensual porn, supra, note 2, à la p. 9 (note de bas de page) ; Eric QUITUGUA, « Florida: Revenge porn still legal » (2 février 2014), en ligne : http://www.centralfloridafuture.com/news/florida-revenge-porn-still-legal-1.2853880#.U0wJfPl5O8A. Il appert toutefois qu'un nouveau projet de loi aurait été déposé dans l'État du Missouri, en janvier dernier : Collin REISCHMAN, « Engler files revenge porn bill » (28 janvier 2014), en ligne : http://themissouritimes.com/7918/engler-files-revenge-porn-bill/.

53. Or, à ce jour aux États-Unis, on a préféré l'emprisonnement avec sursis à une sentence d'emprisonnement ferme.

54. Projet C-13, supra, note 10, art. 162.1(1)b).

55. Voir notamment GAUTRAIS, supra, note 13 ; Jonathon W. PENNEY, « Deleting revenge porn » (novembre 2013), en ligne : irpp.org http://irpp.org/fr/options-politiques/vive-montreal-libre-fr-ca/deleting-revenge-porn-fr-ca/ [PENNEY, Deleting revenge porn] ; CHAN, Strategy to fight cyberbullying, supra, note 24.

56. Certains auteurs ont exprimé un certain scepticisme quant au sérieux qui était accordé par les autorités policières aux plaintes et enquêtes faisant suite à des incidents similaires au revenge porn. Voir notamment : PENNEY, Deleting revenge porn, supra, note 56.

57. Ibid.

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À propos de l'auteur

Marie-Andrée Boutin-Clermont

Marie-Andrée Boutin-Clermont
Avocate, Université de Montréal

Me Marie-Andrée Boutin-Clermont, avocate, a été assermentée en 2011. Elle terminera sous peu une M.Sc. en commerce électronique, en plus d'être candidate au LL.M. en droit des technologies de l’information à l’Université de Montréal. Parallèlement à ses études, elle travaille à titre d'auxiliaire de recherche auprès de l'équipe de chercheurs du Laboratoire de cyberjustice, également à l'Université de Montréal.