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Les articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile, où en sommes-nous rendus ?

Me Philippe Chagnon, Therrien Couture, analyse l'évolution de l'emploi des articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile devant les tribunaux et aborde des jugements de 2013 et 2014 dans lesquels les juges ont accueilli des requêtes fondées sur ces articles, afin d'orienter les plaideurs en leur donnant des exemples concrets de situations où l'emploi de ces articles est approprié.
Chronique d'expert - Extrait de La référence
INTRODUCTION

 

Depuis l'adoption des nouveaux articles 54.1 à 54.6 du Code de procédure civile1 en 2009, l'utilisation de ces articles par les plaideurs a connu une augmentation constante. En effet, si du début 2010 à la fin 2011 on a pu répertorier plus de 300 décisions portant sur le sujet, il y en a eu plus de 400 qui traitent de ces articles seulement entre janvier 2013 et le moment d'écrire ces lignes. C'est donc dire que ces nouveaux articles gagnent en popularité, d'autant plus qu'ils ont été adoptés afin de lutter contre les poursuites-bâillons, notamment.

 

Peu de temps après l'adoption de ces articles, la Cour d'appel est venue préciser, dans une trilogie d'arrêts, les principes devant guider l'application de ces nouveaux articles et de leurs sanctions. Les arrêts Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc.2, Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation3, et Acadia Subaru c. Michaud4 ont déjà fait l'objet d'abondants commentaires et ne seront donc pas traités ici. Mais ils servent fréquemment de base aux jugements traitant de l'application des articles 54.1 et suivants et il importe de les garder à l'esprit, tout comme demeurent toujours fondamentaux les arrêts Viel5, Royal Lepage6 ou Fabrikant7 dans lesquels d'importants principes juridiques ont été affirmés.

 

Mais en pratique, sur la base des décisions récentes rendues en la matière, quand est-il réellement approprié pour un plaideur de recourir aux articles 54.1 et suivants ? Beaucoup de requêtes basées sur ces articles sont rejetées, car elles ne remplissent pas les critères établis par la jurisprudence. Voyons quelques exemples concrets tirés de la jurisprudence récente qui pourront aider à orienter le plaideur et peut-être freiner l'emploi des articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile à toutes les sauces.

 

Nous étudierons donc des jugements abordant l'emploi des articles 54.1 et suivants dans les cadres suivants :

 

    1)  En réponse à une requête en cours d'instance ;

 

    2)  En tout état de cause, même sur le fond d'un dossier ;

 

    3)  Dans le cas d'un demandeur qui se représente seul ;

 

    4)  Afin de sanctionner un abus de procédure par un avocat.

 

 

I– EN RÉPONSE À UNE REQUÊTE

 

Nous observons une tendance à répondre à une requête en cours d'instance par une requête en rejet en vertu de l'article 54.1 C.p.c. L'on ne se contente plus de contester la requête afin de la faire rejeter, on veut de plus en plus fréquemment la faire déclarer abusive. Les plaideurs oublient toutefois souvent que la requête que l'on attaque sous l'angle des articles 54.1 et suivants doit être « manifestement » mal fondée et qu'il ne suffit pas qu'il existe un désaccord sur sa pertinence ou quant à son assise juridique.

 

Dans Banque de développement du Canada c. Vallée8, il est question d'une poursuite en délaissement forcé intentée par la BDC contre une débitrice hypothécaire et d'une réclamation personnelle contre deux cautions solidaires, le tout dans deux dossiers distincts réunis en prévision de l'audition.

 

En cours d'instance, deux requêtes en déclaration d'inhabilité sont présentées afin de faire déclarer inhabiles à occuper le procureur de la BDC ainsi que sa firme. La BDC réplique en demandant au Tribunal de déclarer abusives ces requêtes.

 

Le Tribunal donne raison à la BDC et commente ainsi les requêtes en inhabileté :

 

    [26] Le témoignage de Vallée lui-même démontre que ce qui le motive à présenter ses requêtes en déclaration d'inhabilité est en réalité qu'il ne veut pas que la BDC soit représentée par ses procureurs actuels puisque, dit-il, il s'entendait très bien avec la BDC avant leur entrée en scène.

 

    [27] Lors de son témoignage, Vallée ne se gêne pas pour tenir à l'endroit de l'une des procureurs de la BDC des propos grossiers, vexatoires, tout à fait inappropriés et inexcusables, donnant toute la mesure de son animosité qui dans les faits est la véritable motivation derrière ses requêtes en déclaration d'inhabilité.

 

    [...]

 

    [35] Tout indique que les requêtes en déclaration d'inhabilités intentées par 0562 Québec inc., Vallée et Golf inc. sont utilisées comme moyen pour gagner du délai. Le témoignage de Vallée lui-même confirme l'absence de motivation légitime de ces requêtes.

 

    [36] Le Tribunal retient de la preuve qu'en tout temps Daniel Vallée savait ou devait savoir que les requêtes en déclaration d'inhabilité étaient mal fondées en faits et en droit. Il a persévéré dans sa démarche essentiellement pour gagner du temps et pour donner libre cours à son animosité vis-à-vis de l'une des avocats de la BDC qu'il tient pour grande responsable du durcissement de la position de sa créancière.

 

    [37] Devant ces constats, les défendeurs n'ont pas démontré qu'ils n'ont pas introduit leurs procédures de manière excessive ou déraisonnable et que celles-ci se justifient en droit.

 

    [38] Le Tribunal conclut qu'il y a abus de procédures.

 

Le Tribunal conclut que l'utilisation de la procédure afin d'étirer des délais et gagner du temps dans le cadre d'une instance judiciarisée peut constituer un abus de procédure au sens des articles 54.1 et suivants. Ceci est intéressant, car la question peut se poser parfois de savoir si un collègue, ou la partie qu'il représente, tente intentionnellement d'allonger les procédures, au détriment des droits de nos propres clients.

 

À titre d'exemple, une partie qui reporte constamment ou même refuse de se présenter à son interrogatoire au préalable pourrait, selon nous, entrer dans cette catégorie. Tout comme un collègue qui demande constamment une remise afin de gagner du temps, par exemple afin de laisser ses clients mettre des actifs à l'abri de leurs créanciers, ou encore occuper un immeuble sans droit9. Ou encore un collègue qui, au moment de fixer une date d'audition, annonce une durée pour sa preuve démesurée par rapport aux enjeux du dossier afin que la date d'audition soit la plus éloignée possible.

 

Mais là encore, il convient de se demander ce que l'on est en mesure de prouver et de voir si nous serons en mesure d'atteindre le critère du « manifestement » mal fondé. Ce n'est pas toujours évident de prouver que ce que l'on perçoit comme de l'abus de procédure, le sera également aux yeux d'un tribunal.

 

 

II– EN TOUT ÉTAT DE CAUSE

 

Dans Portes et fenêtres Dicaire inc. c. 9183-9092 Québec inc.10, il s'agit d'une situation où, dans le cadre d'une audition au fond, le Tribunal donne partiellement raison à la demanderesse sur sa requête introductive d'instance, mais la sanctionne du même coup pour abus de procédures pendant la mise en état du dossier.

 

Dans le cadre de cette mise en état, la demanderesse a notamment amendé ses conclusions afin d'en retirer sa demande en passation de titre sans pour autant retirer son avis de préinscription du recours en passation de titre, pourtant devenu alors sans objet. La défenderesse a dû présenter une requête en radiation pour l'obtenir.

 

Aussi, un premier procès a dû être remis en raison d'un amendement tardif à la procédure de la demanderesse et un interrogatoire au préalable a dû être reporté en raison d'un nouvel amendement aux procédures.

 

Le Tribunal qualifie ainsi le comportement de la demanderesse :

 

    [153] P & F et 9208 n'expliquent pas non plus le dernier amendement visant à ajouter un chef de réclamation de 75 000 $, à titre de perte d'opportunité d'affaires, durant le procès alors qu'aucun fait nouveau n'est allégué. Quant à 9208, elle ne justifie pas sa persistance dans son recours alors qu'elle reconnait ne pas avoir subi de dommages.

 

    [154] Un tel comportement ne peut être cautionné et détourne les fins de la justice dans l'utilisation de la procédure. Il constitue un abus au sens de l'article 54.1 du C.p.c.

 

    [155] 9183 requiert que lui soient remboursés ses honoraires extrajudiciaires à titre de sanction.

 

    [156] Le comportement abusif de P & F et 9208 ne justifie pas de les condamner à payer tous les honoraires extrajudiciaires de 9183 car le recours de P & F est fondé et le comportement abusif ne s'étend pas à l'ensemble des procédures.

 

    [157] Le Tribunal est d'avis qu'une sanction au paiement de 5 000 $ pour les frais extrajudiciaires de 9183 est justifiée dans les circonstances.

 

On constate donc deux choses de ce jugement. D'abord, un plaideur ne doit pas hésiter à demander, même au mérite de son dossier, que la conduite d'une partie pendant la mise en état du dossier soit déclarée abusive, si c'est effectivement le cas. Ensuite, ce n'est pas parce qu'une partie obtient un jugement favorable sur le fond de l'affaire que sa conduite ne peut pas être sanctionnée en vertu des articles 54.1 et suivants.

 

 

III– LE DEMANDEUR QUI SE REPRÉSENTE SEUL

 

Le jugement Racine (Succession de) c. Axa Assurances inc./Intact11 traite d'un cas particulier découlant du décès d'une personne lors d'un accident automobile. Le père du défunt représente la succession de son fils décédé et entame un recours contre une multitude de défendeurs.

 

D'un dossier à l'origine intenté en Cour du Québec réclamant un peu moins de 40 000 $ à l'assureur du véhicule endommagé, le propriétaire de l'autre véhicule impliqué dans l'accident et son conducteur, le dossier se retrouve en Cour supérieure et vise, à son point culminant, des procureurs à titre personnel, le Groupement des assureurs automobiles, la SAAQ (ainsi que son président et ses dirigeants) et Mme Émilie Fortier (employée de la SAAQ), le Procureur général du Québec, le « Sous-ministre associé du ministère de l'insécurité publique et Major général Guy Laroche », les agents Stephen Denis et Valérie Lamontagne, de même que le ministre Bernard Drainville.

 

Afin de décrire les recours intentés par le demandeur, le juge de la Cour supérieure choisit l'image d'une boule de neige lancée du haut d'une montagne qui roule et qui fait sien tout ce qu'elle rencontre sur son passage.

 

Le demandeur est sanctionné pour abus de procédure selon l'article 54.1 et d'office, le Tribunal le déclare plaideur quérulent.

 

Le Tribunal lui reproche l'absence de connexité entre les faits allégués, des procédures signifiées en violation des règles de procédure, mais aussi d'impliquer des personnes sans lien avec le dossier, d'apporter à ses procédures des amendements abusifs, entre autres choses12. Bref, autant d'illustrations de ce qu'il est utile pour les plaideurs de concevoir comme étant des abus de procédures13.

 

 

IV– LA SANCTION D'UNE PARTIE POUR LES AGISSEMENTS DE SON PROCUREUR

 

Et qu'en est-il lorsqu'une procédure est jugée abusive ? Le client doit supporter les conséquences d'une procédure déclarée abusive déposée en son nom. En règle générale, c'est l'avocat qui va conseiller la stratégie à adopter dans un dossier à son client et ce dernier est en droit de se fier aux conseils prodigués par son procureur, surtout en matière procédurale. Quelle surprise pour le client lorsque son avocat doit lui annoncer que leur procédure a été déclarée abusive et que le client doit, par exemple, supporter les honoraires extrajudiciaires de la partie adverse !

 

Le juge Dalphond affirmait dans l'arrêt Cosoltec14 :

 

    C'est pourquoi il est bien établi que l'erreur de l'avocat ne doit pas entraîner la perte du droit de son client lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans injustice pour la partie adverse (Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516, EYB 1978-147379 ; Construction Gilles Paquette Ltée c. Entreprises Végo Ltée, [1997] 2 R.C.S. 299, REJB 1997-00861). Cependant, des erreurs répétées de l'avocat peuvent entraîner des sanctions allant jusqu'au rejet de l'action sans jugement sur le fond, obligeant l'introduction d'une nouvelle demande, soit une sanction monétaire (Genest c. Labelle, 2009 QCCA 2438, EYB 2009-167519), sans parler des explications que devra fournir l'avocat à son client.

 

Dans l'affaire Carignan c. Langlois15, le demandeur, bien que représenté par avocat, était également membre en règle du Barreau du Québec. À la suite des élections municipales à Repentigny, le demandeur n'est pas élu, mais le défendeur l'est. Pour diverses raisons, le demandeur poursuit le défendeur et le parti politique impliqué en diffamation pour la somme de 165 000 $.

 

Déjà dans leur défense et demande reconventionnelle, les défendeurs allèguent une poursuite abusive et frivole au sens des articles 54.1 et suivants C.p.c.

 

Or, dans sa déclaration de dossier complet formulée selon l'article 274.1 C.p.c., rappelons qu'il n'y avait pas de déclaration commune de dossier complet en 2011, le demandeur annonce qu'il compte faire entendre pas moins de 69 témoins et qu'il aura besoin de 12 jours d'audience pour présenter sa preuve. Les défendeurs annoncent quant à eux 14 témoins et deux jours pour présenter leur preuve et plaider leur cause.

 

Suivant la tenue d'une conférence préparatoire, la liste des témoins du demandeur a été réduite à 50 personnes et l'audition au fond a été fixée pour un total de neuf jours, soit du 10 au 20 mars 2014.

 

Mais, à la surprise de tous, au premier jour du procès, le demandeur a annoncé par l'entremise de son procureur qu'il se désistait de sa demande contre le défendeur. Il avait au préalable produit un désistement contre l'autre défenderesse sept jours plus tôt. De plus, le demandeur n'avait assigné aucun des 50 témoins annoncés.

 

Les défendeurs ont donc procédé sur leur demande reconventionnelle, qui s'appuyait notamment sur les articles 54.1 et suivants, tel que déjà mentionné.

 

Ce n'est pas la poursuite intentée par le demandeur qui sera déclarée abusive, mais son utilisation de la procédure civile. Le juge a conclu des faits mis en preuve que le demandeur savait qu'il ne procéderait pas plusieurs jours avant l'audience. Il a tout de même laissé les parties défenderesses se préparer à une audition de neuf jours et plus de 50 témoins, avec tout le travail nécessaire pour un tel procès de cette durée, sans parler de la monopolisation des ressources judiciaires.

 

Le juge déclare :

 

    [46] La conduite de Me Carignan de janvier 2014 au 10 mars 2014 révèle une insouciance qui déconsidère l'administration de la justice et qui permet d'inférer une intention de nuire à autrui. On doit s'attendre à autre chose d'une partie à un procès et encore plus d'un officier de justice.

 

Le demandeur a été condamné à rembourser 1 000 $ pour chaque journée de préparation de procès par les défendeurs que le Tribunal établit à l'équivalent de neuf jours en plus des frais fixés à 1 000 $ pour un montant total de 10 000 $.

 

Ce jugement est intéressant en ce qu'il vient donner un exemple concret de ce que représente un abus de procédure par un avocat. Bien que le demandeur ait été un avocat lui-même, il était représenté par un procureur. Prenons l'hypothèse où le demandeur n'aurait pas été un avocat, mais où cette façon d'utiliser la procédure dans le seul but de nuire à la partie adverse lui aurait été recommandée par son procureur. Ne serions-nous pas alors dans un cas où le procureur lui-même devrait supporter les conséquences de cette utilisation abusive de la procédure ?

 

Un tel raisonnement nous amène à la prochaine affaire.

 

Dans Corporation de construction Germano c. Régie des installations olympiques16, il s'agit d'un avocat qui abuse, selon le Tribunal, de son pouvoir d'assignation de témoins par subpoena pour des interrogatoires hors cour.

 

Cette affaire traite d'une poursuite en dommages-intérêts pour perte de profit de 660 531,60 $. Des interrogatoires hors cour des représentants des parties sont tenus de part et d'autre. Dans le cadre de son interrogatoire après défense, la partie défenderesse a souscrit des engagements qu'elle affirme avoir satisfaits.

 

Suivant ces interrogatoires, les représentants des deux parties mises en cause reçoivent de la part du procureur de la demanderesse une assignation par subpoena duces tecum afin d'être interrogés hors cour, assignation faite sans l'autorisation d'un juge conformément à l'article 398 C.p.c. Par ailleurs, la partie demanderesse n'avait pas avisé la défenderesse de cette assignation. La défenderesse demande donc au Tribunal de casser ces subpoenas.

 

Le Tribunal qualifie ainsi le comportement du procureur de la partie demanderesse :

 

    [16] Lors de l'audition de la présente requête, l'avocat de la demanderesse ne soutient pas qu'il ait le pouvoir de signer et de transmettre pareille assignation.

 

    [17] L'avocat sait que les deux compagnies à qui il signifie ces subpoenas ne sont pas parties à la procédure. Ils sont des tiers et il sait qu'une requête est nécessaire.

 

    [18] Il admet candidement qu'il utilise ce moyen à des fins stratégiques. En fait, sa stratégie est la suivante : on utilise illégalement un pouvoir important que le Code de procédure accorde à un avocat de signifier des subpoenas, tout en sachant qu'il est nécessaire d'obtenir l'autorisation de la Cour, et ce, afin de mettre la partie qui le reçoit dans une position qu'elle croit devoir donner accès aux documents requis. Ces documents faut-il le préciser, avaient été analysés en grande partie lors de l'audition devant la juge Perrault.

 

    [19] Le tribunal a peine à qualifier une telle façon d'agir.

 

Au surplus, bien que questionné sur sa façon de procéder par le procureur de la défenderesse, le procureur de la demanderesse lui a répondu de manière « arrogante », pour reprendre les termes du Tribunal, qu'il n'avait pas de comptes à lui rendre.

 

Dans ces circonstances, c'est la partie demanderesse qui a été condamnée à rembourser à la défenderesse les honoraires extrajudiciaires engagés en raison de la situation.

 

Mais, suivant les faits qui ressortent du jugement, rien ne laisse croire que la demanderesse aurait cautionné les agissements de son procureur, son mandataire. Elle devra tout de même payer le prix de ses abus procéduraux. Nous sommes tout de même d'avis que ce jugement est un beau cas d'espèce où le procureur aurait pu être sanctionné personnellement, surtout à cause des commentaires sévères du juge à son endroit.

 

Rappelons que dans l'arrêt Sharma Textiles inc. c. Certain Underwriters at Lloyd's17, la Cour d'appel réitère la possibilité de sanctionner personnellement un avocat, mais limitée aux dépens :

 

    [32] Les avocats qui ont rédigé et signé cette inscription de même que le mémoire des appelantes méritent un blâme sévère. Ils se sont conduits d'une manière abusive et indigne d'un auxiliaire de la justice, conduite qui doit être signalée au syndic du Barreau.

 

    [33] Ils ont présenté des documents non pertinents, frivoles, vexatoires ; ils ont produit des requêtes et des demandes excessives ; ils se sont fait les instruments de tentatives de pervertir les fins de la justice, et ce, par des clientes dont des jugements antérieurs ont conclu qu'elles avaient utilisé de faux documents. Normalement, ce genre de comportement justifie l'ordonnance très exceptionnelle de la condamnation solidaire aux dépens : voir Droit de la famille – 1777, [1994] R.J.Q. 1493, EYB 1994-59173 (C.A.), notamment au paragraphe [50] ; Aubry c. Éditions Vice-Versa, [1998] 1 R.C.S. 591, 624, REJB 1998-05646. Comme l'a écrit notre collègue Yves-Marie Morissette, alors professeur de droit, la condamnation de l'avocat aux dépens constitue « la sanction la plus immédiate et la plus radicale du recours voué à l'échec, car elle survient dans l'instance même qu'on qualifie d'inutile et elle s'apparente aux condamnations pour outrage au tribunal » : voir « L'initiative judiciaire voué à l'échec et la responsabilité de l'avocat ou de son mandant » (1984) 44 R. du B. 397, 399, cité avec approbation dans l'arrêt Michalakopoulos c. Sam Levy & Associés inc., 2009 QCCA 427, EYB 2009-155609, au paragraphe [45].

 

    [34] Cette mesure doit être appliquée avec la plus grande prudence, comme l'enseigne la Cour suprême dans l'arrêt Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, EYB 1993-67111. Cette prudence nous amène à ne pas imposer la responsabilité des dépens à M. Jérôme Choquette. Par contre, l'avocat Camille Bolté fait preuve du genre de comportement répréhensible qui justifie une condamnation aux dépens.

 

Donc, la question suivante est lancée aux lecteurs : à quand l'extension de l'application des articles 54.1 et suivants afin de sanctionner personnellement un avocat qui abuse de la procédure au remboursement des honoraires extrajudiciaires de la partie adverse ? Si une partie semble avoir un bon droit à faire valoir, pourquoi devrait-elle supporter les conséquences d'un abus de procédure de son procureur ?

 

 

CONCLUSION

 

Nous vous avons soumis notre sélection des plus récents jugements traitant des articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile dans l'espoir de donner des pistes de réflexion aux plaideurs sur l'emploi de ces articles devant les tribunaux qui, comme nous l'avons mentionné, gagne en popularité. Il importe que l'emploi de ces articles soit fait avec parcimonie afin d'en conserver l'utilité et la crédibilité.

 

Il faut surtout garder à l'esprit que le fardeau de preuve de celui qui invoque l'application de ces articles demeure très lourd en raison du libellé des articles 54.1 et suivants, mais également des conséquences potentielles sur les droits d'une partie de voir son action rejetée. Il est parfois utile de prendre un pas de recul afin de bien évaluer son dossier et ses chances de succès avant de présenter une requête basée sur les articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile.

 

 


* Me Philippe Chagnon est avocat au cabinet Therrien Couture. Il concentre sa pratique en litige civil et commercial, notamment en recouvrement et en droit des assurances.

 

1.
Il est à noter que dans l'avant-projet de loi sur la réforme du Code de procédure civile, ces articles deviennent les articles 51 à 56.

 

2.
2010 QCCA 1600, EYB 2010-178906 (C.A.).

 

3.
2010 QCCA 1369, EYB 2010-177130 (C.A.).

 

4.
2011 QCCA 1037, EYB 2011-191484 (C.A.).

 

5.
Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262, REJB 2002-31662, 2002 CanLII 41120 (C.A.).

 

6.
Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915, EYB 2007-121210 (C.A.).

 

7.
Fabrikant c. Swamy, 2010 QCCA 330, EYB 2010-170047 (C.A.).

 

8.
2013 QCCS 5254, EYB 2013-228566 (C.S.).

 

9.
Telus c. Salame, 2014 QCCS 734, EYB 2014-233980 (C.S.).

 

10.
2014 QCCS 1380, EYB 2014-235564 (C.S.).

 

11.
2014 QCCS 801, EYB 2014-234112 (C.S.).

 

12.
Voir le paragraphe 103 du jugement pour les motifs de reproches exhaustifs.

 

13.
Voir également Langevin, Re, 2012 QCCS 613, EYB 2012-202655 (C.S.) où le demandeur demande de se faire déclarer propriétaire de la Lune, d'un ensemble de planètes et de l'espace entre ces dernières.

 

14.
Précité, note 2.

 

15.
2014 QCCS 997, EYB 2014-234765 (C.S.).

 

16.
2013 QCCS 5665, EYB 2013-229384 (C.S.).

 

17.
2013 QCCA 2162, EYB 2013-230637 (C.A.).

 

 

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