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Décision de la Cour fédérale interdisant la republication de décisions judiciaires à cause des renseignements personnels qui y sont contenus

Par Me Sébastien Lapointe, Techtonik Legal inc.
Décision de la Cour fédérale interdisant la republication de décisions judiciaires à cause des renseignements personnels qui y sont contenus

La Cour fédérale rendait récemment un jugement fort inhabituel, dans l'affaire A.T. v. Globe24h.com, 2017 FC 114, à l'encontre d'une société étrangère (contrôlée par un Canadien) exploitant un site Web diffusant des copies de décisions judiciaires canadiennes.

Le jugement dont il est ici question illustre bien l'inconfort que ressent notre société face à l'idée de diffuser trop largement le texte des jugements canadiens sur Internet. La démocratie requiert que les décisions judiciaires soient disponibles, ce qui ne veut pas dire que notre société ait nécessairement intérêt à ce que ces décisions soient tout de même trop largement (et facilement) diffusées et publiées.

L'affaire en question implique un site européen (roumain) (www.Globe24h.com) qui republiait les textes de jugements canadiens, incluant d'une façon qui permette ensuite aux moteurs de recherche (par ex. Google) d'en indexer le contenu. Au final, la conclusion de la décision de la Cour fédérale est d'ordonner à l'exploitante de retirer de son site Web le texte des décisions canadiennes, parce que leur mise en ligne violerait la loi canadienne en matière de renseignements personnels.

On pourrait penser qu'une fois des faits publiés dans une décision judiciaire, ils cessent pratiquement de faire partie de ce qui demeure protégé par la législation en fait de renseignements personnels. Eh bien non, de confirmer la Cour fédérale. Un renseignement au sujet d'un individu n'en demeure pas moins personnel parce qu'on l'a inclus dans le texte d'un jugement à l'issue (ou dans le cadre) d'un litige. Cela étant, un site Web qui reproduit et publie un jugement qui contient des renseignements personnels (sans consentement des individus visés) s'expose à des répercussions en vertu de la Loi canadienne sur les renseignements personnels dans le secteur privé (PIPEDA, selon son acronyme en anglais).

Bien que d'autres sites (dont CanLII.org) reproduisent aussi des décisions et les mettent en ligne, ces éditeurs se conforment généralement à la pratique entendue de la communauté juridique canadienne, en évitant l'indexation des décisions par des moteurs de recherche. Dans le cas de www.Globe24h.com, il semble que c'est là que le bât blessait, particulièrement. Pour une cinquantaine de plaignants canadiens, une telle pratique s'avérait inacceptable, puisqu'elle provoquait la superpublication (à la face du monde) d'un grand nombre de faits pouvant s'avérer très personnels et relatifs aux individus impliqués (parfois malgré eux) dans des litiges judiciarisés.

Précisons à ce sujet que l'élément particulièrement problématique ici était la pratique (disons) douteuse du site d'exiger des frais pour retirer les résultats que des individus jugeaient violer leur droit à la vie privée en reproduisant leurs renseignements personnels.

Le tribunal en vient d’ailleurs à la conclusion qu’ici l’exploitante avait vraisemblablement sciemment créé un modèle d’affaires qui lui permettrait de générer des profits grâce aux renseignements personnels de Canadiens sur lesquels elle pouvait mettre le grappin par Internet.

On comprendra que dans de telles circonstances, le tribunal a allègrement rejeté l'argument de l'exploitante du site selon lequel elle publiait ces décisions à des fins d'information légitime quant à des questions d'intérêt pour le public. Qui plus est, www.Globe24h.com générait aussi des profits publicitaires liés aux visiteurs de son site, lequel tablait largement sur l'intérêt des Canadiens pour les renseignements ainsi divulgués par le site. La Cour le confirme, rien de ceci ne correspond à des utilisations acceptables, à moins d'avoir le consentement des individus visés.

La Cour fédérale confirme au passage qu'elle peut s'arroger compétence quant à une violation de PIPEDA, même contre une société étrangère lorsque suffisamment de facteurs rattachent l'affaire au Canada. Ici, par exemple, l'auditoire, la source de l'information et l'impact des activités du site étaient tous au Canada, justifiant l'intervention d'un tribunal canadien.

L'exploitante du site www.Globe24h.com en prend donc pour son rhume avec cette décision. Fait étonnant, ce jugement de la Cour fédérale a pour résultat non seulement une injonction, mais aussi l'octroi de dommages-intérêts (5000 $), chose qui normalement ne fait pas partie des résultats auxquels on peut s'attendre quand une trame de fait implique cette loi.

Contrairement à ce qu'on entend souvent, la loi PIPEDA n'est donc pas totalement dénuée de dents et peut être utilisée même contre une société étrangère.

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À propos de l'auteur

Maître Sébastien Lapointe œuvre depuis plus de vingt ans en pratique privée centrée sur le droit des affaires et, en particulier, l’interaction entre celui-ci et les questions de propriété intellectuelle, dont de droit des technologies. Sa pratique se centre particulièrement sur l’enregistrement de droits de propriété intellectuelle et les ententes de transfert de droits et de technologies, dont les licences, et ce, autant au Canada qu’à l’étranger.

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