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La Cour d’appel tranche : la Loi sur la presse ne s’applique ni aux sites Web ni aux médias sociaux, même quand ils dispensent des nouvelles

Par Me Sébastien Lapointe, Techtonik Legal inc.
La Cour d’appel tranche : la Loi sur la presse ne s’applique ni aux sites Web ni aux médias sociaux, même quand ils dispensent des nouvelles

Dans l’affaire Guimont c. Bussières (2019 QCCA 280), la Cour d’appel nous donnait récemment une décision concernant l’application problématique de la Loi sur la presse (de 1929 !) à l’ère d’Internet et du Web.

La décision en question découle de la publication d’un article rédigé par le journaliste Ian Bussières, par le biais notamment du site de nouvelle lapresse.ca, équivalent numérique (en quelque sorte) du défunt journal quotidien La Presse. La Cour supérieure rendait dans ce dossier un jugement en juillet 2017, rejetant la demande en justice contre les éditeurs en question, dont l’organisation publiant lapresse.ca en ligne. En première instance, le juge présume que la Loi sur la presse s’applique, ce qui l’incite alors à rejeter la réclamation, à cause notamment de la courte prescription applicable vu les dispositions de cette loi. Selon la Cour supérieure, la demande s’avère irrecevable puisque les formalités de la loi n’ont pas été respectées.

À la suite de ce jugement, le couple Guimont porte l’affaire devant la Cour d’appel, d’où l’arrêt dont il est question ici. Dans cet appel, la question centrale qui se pose est de savoir et dans quelle mesure la Loi sur la presse s’applique à un article publié en ligne, sur un site Web d’information en continu, tel lapresse.ca. Si ce n’est pas le cas, au moins un des motifs de rejet de l’action en première instance doit être écarté et le reste de la réclamation considérée.

Selon la Cour d’appel, la réponse à cette question principale doit être non, compte tenu de la définition du mot « journal » dans cette loi archaïque. En l’occurrence, selon cette loi :

1. Le mot « journal », aux fins de la présente loi, signifie tout journal ou écrit périodique dont la publication à des fins de vente ou de distribution gratuite a lieu à des périodes successives et déterminées, paraissant soit à jour fixe, soit par livraisons et irrégulièrement, mais plus d’une fois par mois et dont l’objet est de donner des nouvelles, des opinions, des commentaires ou des annonces.

La Cour d’appel note le fait que la loi « renvoie aux formalités de la Loi sur les journaux et autres publications qui, elle, date de 1861 ». On est donc en présence d’une loi qui n’envisageait nullement Internet. Comment interpréter la loi en question dans un tel contexte ?

Généralement, les termes d’une loi s’interprètent généralement selon le sens qu’ils avaient au moment de l’adoption de cette loi. Selon la jurisprudence, « le sens d’une loi ne devrait pas être modifié ni par la transformation du sens courant et usuel d’un mot ni par un changement dans le contexte global d’énonciation de la loi ». Par contre, malgré ce principe, la Loi d’interprétation, elle, vient préciser que la « loi parle toujours », si bien qu’« [o]n a souvent jugé que des catégories générales contenues dans des lois incluent des choses inconnues au moment de l’adoption de ces lois ». Ce faisant, on peut donc appliquer une veille loi à de nouvelles réalités, pourvu que « son objet le justifie et [que] sa formulation ne s’y oppose pas », du moins.

Ici, compte tenu de la définition du mot « journal » et du renvoi aux formalités prévues dans la Loi sur les journaux et autres publications, la Cour d’appel estime qu’on n’est pas en présence d’un contexte dans lequel il s’avère approprié d’appliquer cette loi du début du XXe siècle à un site Web d’information en continu tel lapresse.ca. La définition que donne cette loi d’un journal se révèle tout simplement trop éloignée de la nature d’un site Web de nouvelles en continu pour qu’on ait de raisons d’y appliquer la loi. En particulier :

Or, la déclaration des imprimeurs prévue aux articles 1 et 2 de cette Loi vise toute personne qui veut faire imprimer ou publier au Québec « journal, un pamphlet ou autre papier contenant des nouvelles publiques, ou servant aux mêmes fins qu’un journal, ou aux fins d’être affiché ou répandu en feuilles détachées comme un journal ». […] Nous croyons qu’une modification législative serait nécessaire pour rendre la Loi sur la presse applicable à des publications sur Internet […] À l’ère du numérique et des médias sociaux, la Loi sur la presse et la Loi sur les journaux et autres publications ont sans doute besoin d’une cure de rajeunissement, mais c’est au législateur d’y voir.

Pour la Cour d’appel, clairement la Loi sur la presse ne s’applique pas à un article publié sur un site Web d’information en continu. Les journaux sont une chose, les sites de nouvelles et les médias sociaux du XXIe siècle en sont une autre. À moins que le législateur n’intervienne, cette loi de 1929 n’a rien à voir avec les médias numériques ni les médias sociaux.

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À propos de l'auteur

Maître Sébastien Lapointe œuvre depuis plus de vingt ans en pratique privée centrée sur le droit des affaires et, en particulier, l’interaction entre celui-ci et les questions de propriété intellectuelle, dont de droit des technologies. Sa pratique se centre particulièrement sur l’enregistrement de droits de propriété intellectuelle et les ententes de transfert de droits et de technologies, dont les licences, et ce, autant au Canada qu’à l’étranger.

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