Skip to content

Commentaire sur l’arrêt Lambert (Gestion Peggy) c. Écolait ltée

Par Me Shaun E. Finn, BCF, Avocats d’affaires
Commentaire sur l’arrêt Lambert (Gestion Peggy) c. Écolait ltée

I. Introduction

Dans l’arrêt Lambert (Gestion Peggy) c. Écolait ltée1, la Cour d’appel réitère certains principes importants concernant la demande pour autorisation d’exercer une action collective et l’analyse que doit effectuer le tribunal à l’étape de l’autorisation. Entre autres, la Cour d’appel souligne que cette analyse, bien que rigoureuse, doit tenir compte d’éléments de preuve pertinents qui ne relèvent pas du fond de l’affaire. De plus, le demandeur doit uniquement démontrer l’existence d’une cause défendable. Le tribunal doit ainsi tenir pour avérées les allégations de faits palpables de la demande pour autorisation, sauf si elles apparaissent invraisemblables ou manifestement inexactes en raison d’une preuve contradictoire.

II. Le contexte

L’appelante Peggy Lambert élève des veaux de lait.

Le 18 septembre 2006, l’appelante s’engage avec Écolait ltée (« Écolait »), un intégrateur agricole et fabricant de produits alimentaires, en concluant avec cette dernière un contrat de fourniture d’aliments, de nourrissons et d’autres services.

Selon le contrat de cinq ans, l’appelante doit s’approvisionner uniquement chez Écolait et lui livrer ses veaux tout en respectant différentes modalités conventionnelles. Plus particulièrement, « le contrat prévoit qu’Écolait fournit en exclusivité tous les produits et services dont il détermine les prix ; il détermine les conditions d’élevage et achète les veaux engraissés au moment où il l’estime approprié et assure leur transport vers l’abattoir »2. Le contrat octroie en sus « une ouverture de crédit jusqu’à concurrence de 1 080 000 $ »3.

Aux termes d’une entente verbale, Écolait verse également « une somme variant entre 90 $ et 120 $ par veau produit au moment du ramassage »4.

L’appelante allègue que cette somme additionnelle est faussement représentée par Écolait comme étant un revenu garanti alors qu’il s’agit véritablement d’une composante du crédit accordé.

L’appelante dépose donc une demande pour autorisation d’exercer une action collective contre Écolait pour le compte de toutes les personnes qui auraient conclu, « entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2015, une convention identique ou similaire » à la sienne5.

Au soutien de sa demande, l’appelante produit certaines pièces lors du dépôt de sa procédure. Cependant, estimant que ces pièces ne pouvaient être produites sans la permission du tribunal, le juge gestionnaire ordonne qu’elles soient retirées.

En outre, le juge gestionnaire autorise Écolait à déposer une déclaration assermentée qui, sans contester l’existence d’une entente verbale entre elle et les membres du groupe, affirmait que les sommes versées à ceux-ci « devaient être considérées comme une avance sur le montant à être remis au producteur »6.

À la suite de l’audition pour autorisation, une autre juge rejette l’action collective, ne pouvant retenir les allégations de la demande, « et ce, sur trois points : 1) la nature des sommes versées en vertu du contrat verbal ; 2) la démonstration du sérieux des chiffres avancés ; et 3) l’identification d’autres éleveurs dans la même situation qu’elle »7.

L’appelante se pourvoit de cette décision.

III. Enseignements de la Cour d’appel (les honorables Dufresne, Bélanger et Mainville)

Sous la plume de la juge Bélanger, la Cour d’appel accueille le pourvoi et autorise l’action collective. Pour l’essentiel, la Cour conclut que l’appelante a démontré l’existence d’une cause défendable, de questions identiques, similaires ou connexes et d’un groupe suffisamment bien défini. La Cour est aussi d’avis que l’appelante, malgré sa faillite, jouit d’« un intérêt légal pour agir contre » Écolait ainsi qu’une cause d’action qui est assimilable à celle des autres membres du groupe8.

Dans ses motifs, la Cour énonce des principes importants en matière de préautorisation et d’autorisation, dont les suivants :

  • Sans être des vases clos, les critères d’autorisation doivent être appréciés individuellement et rigoureusement : « Quoiqu’une interrelation existe entre les différents critères de l’article 1003 C.p.c. (C 25), maintenant 575 C.p.c. (C 25.01), l’analyse de chacun des critères doit être faite de façon rigoureuse »9 ;
  • Le critère de la cause défendable doit être analysé à la lumière du demandeur : « Ainsi, il est souvent approprié de débuter l’analyse par l’examen du recours personnel d’un requérant pour vérifier si le syllogisme juridique proposé dans son propre dossier tient la route »10 ;
  • Le demandeur peut produire les pièces qu’il désire au moment du dépôt de la demande pour autorisation (mais pas après) : « Il est utile de rappeler qu’une personne qui requiert l’autorisation d’exercer une action collective peut produire, au soutien de sa requête, les pièces qu’elle estime appropriées pour satisfaire son fardeau de démonstration, sans avoir à obtenir la permission pour ce faire »11. De plus, « [c]e n’est que de façon très exceptionnelle [qu’un tribunal] pourra ordonner le retrait de pièces déposées par un requérant et uniquement parce qu’elles ne seraient pas pertinentes à l’examen des quatre critères d’autorisation ou alourdiraient indument un dossier »12.
  • Un affidavit déposé en preuve ne devrait ni semer la controverse ni porter sur le fond de l’action envisagée : « La production de déclarations sous serment, autorisée en vertu de l’article 574 C.p.c., doit généralement porter sur des questions neutres et objectives par opposition à des questions controversées ou litigieuses qui relèvent de l’appréciation de la preuve à être évaluée sur le fond de l’affaire »13.
  • Les faits palpables allégués doivent être tenus pour avérés sauf s’ils sont contredits par une preuve fiable : « Dans tous les cas, la preuve autorisée doit permettre d’évaluer les quatre critères que le juge de l’autorisation doit examiner et non le bien-fondé du dossier. Et si, par malheur, le juge de l’autorisation se retrouve devant des faits contradictoires, il doit faire prévaloir le principe général qui est de tenir pour avérés ceux de la requête pour autorisation, sauf s’ils apparaissent invraisemblables ou manifestement inexacts »14.
  • Bien que le groupe doive être bien défini par le demandeur, le tribunal doit néanmoins préconiser une approche souple : « Dans son analyse de la question de savoir si la composition du groupe rend difficile, ou peu pratique, l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance, le tribunal doit détenir un minimum d’informations sur la taille et les caractéristiques essentielles du groupe visé »15. Toutefois, « le principe de la proportionnalité et une saine administration de la justice peuvent aussi militer en faveur de l’utilisation de l’action collective, malgré un nombre plus restreint de membres, selon les circonstances de l’affaire dont la valeur des réclamations »16.

IV. Conclusion

L’arrêt commenté souligne la distinction primordiale entre l’autorisation, qui impose un fardeau de démonstration rigoureux, et l’action sur le fond, qui impose un fardeau de preuve selon la prépondérance des probabilités. Cette distinction est non seulement pertinente pour les besoins de l’analyse des critères d’autorisation, mais pour l’analyse des demandes préliminaires prévues par l’article 574 C.p.c. Le même esprit d’équilibre procédural doit prévaloir dans un cas comme dans l’autre.


1 2016 QCCA 659.
2 Ibid., au par. 16.
3 Ibid., au par. 14.
4 Ibid., au par. 18.
5 Ibid., au par. 5.
6 Ibid., au par. 33.
7 Ibid., au par. 29.
8 Ibid., au par. 69.
9 Ibid., au par. 27.
10 Ibid., au par. 28.
11 Ibid., par. 29.
12 Ibid., par. 32.
13 Ibid., par. 37.
14 Ibid., par. 38.
15 Ibid., au par. 56.
16 Ibid., au par. 57.

Également d’intérêt
© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.

À propos de l'auteur

Shaun E. Finn

Shaun E. Finn
Avocat, BCF, Avocats d’affaires

Shaun E. Finn est un avocat du service montréalais du litige de BCF et coresponsable de l'équipe stratégique en défense d’actions collectives du cabinet. Sa pratique comprend des dossiers complexes en litige commercial et en actions collectives.

Après avoir été stagiaire et auxiliaire juridique à la Cour d’appel du Québec, en 2004, Me Finn a plaidé au Tribunal administratif du Québec, à la Cour municipale, au Tribunal canadien du commerce extérieur, à la Cour supérieure du Québec, à la Cour d’appel du Québec, et à la Cour d’appel fédérale.

Dans le cadre de son travail en actions collectives, Me Finn a représenté des sociétés et institutions défenderesses dans les secteurs de la responsabilité de produits, des sinistres collectifs, de la protection des consommateurs, du respect de la vie privée et des valeurs mobilières. Il a été cité par divers tribunaux, dont la Cour supérieure du Québec, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada. Il a également été interviewé par Law Times, Investment Executive et par National pour faire valoir son point de vue sur les tendances nationales en matière d’actions collectives.

Me Finn a écrit deux ouvrages portant sur le recours collectif :

Recours singulier et collectif : Redéfinir le recours collectif comme procédure particulière
(Montréal : Yvon Blais, 2011)

Class Actions in Quebec: Notes for Non-residents
(Montréal : Carswell, 2014)

Il prépare actuellement une deuxième édition de Recours singulier et collectif, dont la publication est prévue au printemps de 2016.

Me Finn est auteur collaborateur de Defending Class Actions in Canada (2e, 3e et 4e éd.) et a publié plusieurs articles juridiques dans la Revue du Barreau canadien, le Revue canadienne des recours collectifs, la Revue générale de droit, Développements récents, Class Action Defence Quarterly, La référence et le blogue juridique des Éditions Yvon Blais (une société Thomson Reuters).

Me Finn enseigne également en matière d’actions collectives à la Faculté de droit de l’Université McGill à titre de chargé de cours.

Me Finn est titulaire d’un B.C.L. et d’un LL.B. de l’Université McGill, ainsi que d’un LL.M de l’Université Laval. Avant ses études en droit, il a obtenu un B.A en Société et culture occidentales au Liberal Arts College de l’Université Concordia, et a terminé des études de cycle supérieur en journalisme (Dip. Journ.) et en littérature anglaise (M.A.).