I. Les faits
Dans la décision Kennedy c. Colacem Canada inc. , 2015 QCCS 222, la Cour supérieure avait à décider si un recours collectif fondé sur les troubles de voisinage devait être autorisé contre une cimenterie des Laurentides.
Selon les allégations de la requérante, l’exploitation de la cimenterie aurait occasionné des émissions de poussière, du bruit, des odeurs, de la saleté, de la circulation excessive de camions lourds et des eaux résiduelles, ainsi que des émissions de toxines et de polluants. En outre, l’intimée Colacem serait fautive en omettant : a) de prévenir les émissions en question ; b) de se conformer aux normes réglementaires ; et c) d’assurer que ses représentants opèrent leurs camions de façon raisonnable et sécuritaire.
La requérante exige des dommages compensatoires, moraux et punitifs, de même qu’une injonction permanente pour faire cesser les activités dont elle se plaint.
II. La décision
Dans un jugement étoffé, la Cour autorise le recours collectif envisagé en partie, bien qu’elle ne trouve aucun fondement pour les allégations de contamination ou de base juridique pour l’octroi de dommages punitifs. Ce faisant, elle aborde plusieurs questions importantes, dont les troubles de voisinage, la cause défendable (par. 1003b) C.p.c.) (les expertises ne sont pas requises à cette étape procédurale), l’octroi de dommages punitifs, la description du groupe (art. 1002 C.p.c.), l’effet rétroactif des amendements et les coûts associés à la publication d’un avis d’autorisation (en principe, ceux-ci seront assumés par l’intimée).
Concernant les dommages punitifs plus particulièrement, la Cour énonce :
[142] La Requête pour autorisation et le plan d’argumentation de la requérante n’allèguent pas en quoi l’article 6 de la Charte serait violé et l’avocat de la requérante n’y a même pas fait allusion lors des plaidoiries orales.
[143] Or, la Cour ne peut conclure dans le vide que l’article 6 de la Charte est violé, surtout à la lumière des mots suivants de cette disposition : « sauf dans la mesure prévue par la loi ». Il faut des allégations positives à cet égard, lesquelles sont absentes du présent dossier. Il n’y a même pas non plus présentation par la requérante de déductions ou d’extrapolations, qui auraient pu aider la Cour.
[144] La simple allégation de la requérante selon laquelle la valeur de sa propriété a baissé ou risque de baisser est insuffisante ici.
[…]
[160] Quant aux dommages punitifs, ceux-ci sont réclamés en vertu de l’article 49 de la Charte. Or, pour y avoir droit, il doit y avoir premièrement une atteinte d’un droit garanti par la Charte et, deuxièmement, cette atteinte doit être illicite et intentionnelle.
[161] Or, ici, il n’y a même pas d’atteinte à un droit garanti. La Cour a déjà conclu plus haut que la requérante n’avait pas établi une apparence de droit pour ce qui est d’une violation de l’article 6 de la Charte.
[162] De plus, la Cour est d’avis que, même s’il y avait une apparence de droit sur l’atteinte, il n’y ait au dossier aucune apparence de droit que cette atteinte soit illicite ou intentionnelle. (Nos soulignements)
III. Conclusion
Il ressort de ces extraits qu’à l’étape de l’autorisation, l’existence de dommages punitifs ne saurait être présumée. Tout comme pour les dommages compensatoires et moraux, le requérant, pour établir une apparence sérieuse de droit à cet égard, doit fonder sa demande sur des faits palpables. Une simple affirmation que des dommages punitifs devraient être accordés n’est pas suffisante pour relever le fardeau de démonstration qui incombe au requérant. De même, lorsque les dommages punitifs sont exigés en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, le requérant doit, en outre, établir la nature illicite ou intentionnelle des gestes en cause. Un manquement théorique, mais non précisé n’est pas un fondement juridique suffisant. Cette approche s’harmonise avec l’arrêt Perreault c. McNeil PDI inc. , 2012 QCCA 713, lequel enseigne que « les énoncés théoriques et les arguments relevant de la plaidoirie ne font pas partie des conditions de recevabilité mentionnées à l'article 1003 C.p.c. ». En effet : « Seules les allégations de fait palpables, lorsque tenues pour avérées, constituent une preuve suffisante du droit revendiqué visé par l'article 1003a) C.p.c. » (par. 37).