I. Introduction
Dans l’arrêt Renaud c. Groupe CRH Canada inc.1, la Cour d’appel confirme une décision dans laquelle une action collective a été annulée en raison d’une nouvelle preuve démontrant le caractère individualisé des réclamations des membres du groupe et l’existence d’un groupe qui n’était pas suffisamment large.
Selon les juges Chamberland, Hilton et Lévesque :
[1] Le juge de première instance n’a pas erré en s’appuyant sur les faits révélés par les interrogatoires de 68 membres pour conclure qu’il existait des « faits nouveaux » justifiant son intervention au sens de l’article 1022 C.p.c. et, par conséquent, l'annulation du jugement d’autorisation.
[2] De son analyse des interrogatoires, le juge conclut qu’il n’y a que six membres sur 68 qui peuvent se qualifier pour exercer le recours collectif. Il ajoute que cette faible proportion de membres qualifiés remet en question l'existence d'un groupe au sens du paragraphe c) de l'article 1003 C.p.c., la définition des questions à résoudre et donc, l’exercice même du recours collectif.
[3] Le juge conclut que, contrairement à ce que laissaient croire les allégations de la requête en autorisation qu'il avait lui-même autorisée le 4 janvier 2012, le recours soulève des questions individuelles incompatibles avec la procédure de recours collectif. En effet, la question de l’impossibilité d’agir est au coeur de la position prise par les appelants voulant que leur recours intenté en 2010 pour des dommages subis de 1991 à 1993 (ou, au plus tard, 1997) ne soit pas prescrit. Or, la résolution pleine et entière de cette question exigerait d'examiner la situation individuelle de chaque réclamant. Dès lors, elle ne se prête pas à une décision collective, et la condition essentielle du paragraphe a) de l'article 1003 C.p.c. n'est plus satisfaite. (Nos soulignements)
Il ressort de ces motifs que l’annulation d’une action collective n’est pas simplement une possibilité théorique, mais une réalité à laquelle les demandeurs, les défendeurs et les tribunaux devront désormais faire face.
II. Le contexte
L’affaire Renaud2 découle de l’action collective intentée avec succès contre une cimenterie pour troubles de voisinage, Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, une cause qui a été portée jusqu’en Cour suprême du Canada3.
Plus particulièrement, les requérants Alain Renaud et Claude Roy déposent une requête pour autorisation d’exercer une action collective pour le compte de propriétaires vivant dans le secteur de Beauport qui n’auraient pas lu un avis publié dans le cadre de l’affaire Barrette.
Les membres prétendent ainsi à une méconnaissance de cet avis « puisqu’ils croient être visés par le recours Barrette sans connaître sa véritable portée »4.
Ceci aurait fait en sorte que les membres n’ont pu exercer leurs droits, ce qui explique le dépôt d’une deuxième demande pour autorisation.
Le 4 janvier 2012, le tribunal autorise cette deuxième demande malgré la contestation de Holcim, qui plaide la prescription des recours des membres et leur négligence. Le tribunal est d’avis que « la prudence dans la sanction de la négligence s’impose, car autrement, elle éteint tout fondement à un recours qui requiert des éclaircissements et une preuve plus complète »5.
Par la suite, entre le 17 juin et le 5 juillet 2013, Holcim interroge 68 témoins.
Ces interrogatoires démontrent un état de connaissance et de méconnaisse assez varié de sorte que « la question soumise n’est plus identique, similaire ou connexe »6. Le tribunal ajoute que, « selon le résultat échantillonné de façon positive, il semble que tout au plus six membres interrogés auraient admis croire faire partie du groupe Barrette »7. Il en résulte que « le groupe n’est plus suffisamment large » pour justifier une action collective8.
III. Commentaire
Malgré les motifs laconiques de la Cour d’appel, sa conclusion est cruciale. Elle précise que l’annulation complète d’une action collective n’est pas simplement un résultat hypothétique, mais une réalité concrète avec laquelle les parties et les tribunaux doivent composer.
Outre sa lecture du premier alinéa de l’article 588 C.p.c.9, l’arrêt illustre l’importance stratégique de l’article 587 C.p.c. Cette disposition énonce que bien qu’« [u]ne partie ne peut soumettre un membre, autre que le représentant ou un intervenant, à un interrogatoire préalable ou à un examen médical », le tribunal est libre de faire exception à cette règle « s’il l’estime utile pour décider des questions de droit ou de fait traitées collectivement ». Or, advenant qu’un tel interrogatoire fasse ressortir une nouvelle preuve qui démontre soit que les questions « communes » sont inutiles ou inexistantes, soit que le groupe comporte une lacune fatale, cette preuve peut être invoquée pour mettre fin au litige. Il est donc à prévoir que des demandes pour permission d’interroger des membres seront plus nombreuses – et lourdes de conséquences – qu’auparavant.
L’arrêt souligne également que l’autorisation n’est pas la seule étape de l’action collective qui soit importante, voire existentielle. Plus les actions collectives se rendront au fond, plus il y aura d’occasions pour les défendeurs d’attaquer le sérieux de la demande. C’est ainsi un tout nouveau chapitre qui vient de débuter.
1 2016 QCCA 693.
2 2015 QCCS 5590, EYB 2015-259246 (Martin Dallaire, j.c.s.).
3 [2008] 3 R.C.S. 392.
4 Supra note 2, par. 49.
5 Ibid., par. 7 (citant le par. 112 du jugement d’autorisation).
6 Ibid., par. 31.
7 Ibid., par. 32.
8 Ibid., par. 34.
9 Cet alinéa prévoit que « [l]e tribunal peut en tout temps [...] réviser ou annuler le jugement d’autorisation s’il considère que les conditions relatives aux questions de droit ou de fait ou à la composition du groupe ne sont plus remplies ».