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Le sort du représentant « adéquat » en matière de recours collectifs

Par Shaun Finn, BCF, Avocats d’affaires
Le sort du représentant « adéquat » en matière de recours collectifs, par Shaun Finn, BCF, Avocats d’affaires

I. Introduction

Selon le paragraphe 1003d) C.p.c., le requérant qui désire intenter un recours collectif et agir pour le compte des membres doit être « en mesure d’assurer une représentation adéquate » de ceux-ci.

Or, où en sommes-nous quant à l’interprétation jurisprudentielle de cette disposition clé ?

II. Historique

Depuis les années 1990, le quatrième critère d’autorisation a reçu une interprétation large et libérale de la part des tribunaux1. Un représentant de groupe ne doit pas être parfait ou idéal. Il ne doit même pas s’avérer typique des autres membres.

Cependant, aux États-Unis, la nature typique du représentant (« typicality ») est une exigence qui est précisée à la règle 23 des Règles de procédure civile fédérales.

La jurisprudence québécoise a plutôt fait sienne la prémisse du professeur Lafond selon laquelle « la représentation adéquate du représentant s'examine à la lumière de trois facteurs : l'intérêt à poursuivre […], la compétence […] et l'absence de conflit avec les membres du groupe »2.

Malgré cette approche généreuse au paragraphe 1003d) C.p.c., les tribunaux ont néanmoins exigé que le représentant proposé démontre un degré de diligence raisonnable en enquêtant sur la nature et la composition du groupe qu’il décrit dans sa requête pour autorisation.

L’exigence de diligence raisonnable a été reconnue assez récemment par la Cour d’appel dans l’arrêt Del Guidice c. Honda Canada Inc. 3 sous la plume du juge Pelletier :

[37] L’appelant pourrait-il être ce mandataire par qui les membres accepteraient d'être représentés si la demande était formée selon l'article 59 C.p.c. ? Je partage l’avis exprimé par l'auteur Lafond qui voit dans cette question un test valable permettant l’évaluation de la compétence d'un aspirant représentant.

[38] Bien sûr, à ce stade, il n’est pas nécessaire que le requérant se soit livré à une enquête approfondie ni qu’il ait identifié tous les membres du groupe. Il faut toutefois qu’il établisse avoir fait une enquête raisonnable, qu'il fournisse une estimation des personnes visées et que, à la satisfaction du juge d’autorisation, il établisse être en mesure de diriger les démarches requises pour l'exercice du recours. (Nos soulignements)

Cette approche n’est pas novatrice puisqu’elle réaffirme ce que la jurisprudence québécoise reconnaît depuis longtemps.

III. La réalité contemporaine

Toutefois, le monde a changé depuis. Au cours des dernières années, la Cour suprême du Canada a rendu des décisions marquantes en recours collectifs, dont l’arrêt Infineon Technologies AG c. Option consommateurs4.

Dans cet arrêt, la Cour suprême reconnaît non seulement l’existence d’un droit d’action de la part d’acheteurs indirects, mais se penche également sur tous les critères d’autorisation, y compris le paragraphe 1003d) C.p.c. :

[150] [...] Pour déterminer s’il est satisfait à ces critères pour l’application de l’al. 1003d), la cour devrait les interpréter de façon libérale. Aucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement.

[150] Même lorsqu’un conflit d’intérêts peut être démontré, le tribunal devrait hésiter à prendre la mesure draconienne de refuser l’autorisation. [...] Puisque l’étape de l’autorisation vise uniquement à écarter les demandes frivoles, il s’ensuit que l’al. 1003d) ne peut avoir pour conséquence de refuser l’autorisation en présence d’une simple possibilité de conflit.

La question qui se pose est la suivante : à la lumière de l’arrêt Infineon, le seuil du paragraphe 1003d) C.p.c. a-t-il été abaissé ?

La Cour d’appel nous offre une réponse dans l’arrêt Lévesque c. Vidéotron s.e.n.c.5. Dans cette affaire, le requérant, un consommateur de films « torrides », se plaint que l’intimée l’aurait induit en erreur quant à la durée de location de ces films. Au lieu d’être disponibles pour 24 heures, ils n’étaient prétendument disponibles que pour 9 à 18 heures.

En première instance, le juge refuse d’autoriser le recours collectif, car le requérant, M. Lévesque, n’avait pas effectué une enquête raisonnable sur le groupe putatif.

En appel, cependant, la Cour accueille le pourvoi et autorise le recours collectif pour les motifs suivants :

[23] Dans cette affaire, la Cour suprême reprend d’abord les enseignements du professeur Lafond et réitère les trois facteurs à considérer pour évaluer la représentation adéquate [...]. La Cour suprême ajoute toutefois que « [A]ucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement ». Ce faisant, la Cour suprême envoie un message plutôt clair quant au niveau de compétence requis pour être nommé représentant. Le critère est devenu minimaliste.

[...]

[27] [L]e niveau de recherche que doit effectuer un requérant dépend essentiellement de la nature du recours qu’il entend entreprendre et de ses caractéristiques. Si, de toute évidence, il y a un nombre important de consommateurs qui se retrouvent dans une situation identique, il devient moins utile de tenter de les identifier. Il est alors permis de tirer certaines inférences de la situation.

Ce même raisonnement a été repris intégralement par la Cour d’appel dans l’arrêt Martel c. Kia Canada inc., 2015 QCCA 10336.

IV. Commentaire de l’auteur

Il ressort de ces décisions que le devoir de recherche, de diligence raisonnable, qui incombe au requérant n’est pas toujours nécessaire. Le tribunal peut tirer des inférences préalables, surtout en matière de consommation lorsque l’existence d’un groupe peut être présumée d’emblée.

Bref, un critère d’autorisation qui était déjà interprété de façon souple se verrait ainsi dénué d’une bonne partie de sa pertinence dans le domaine de la protection du consommateur.

Mais il serait faux de conclure pour autant que le paragraphe 1003d) C.p.c. soit devenu lettre morte. Dans la récente décision J.J. c. Province canadienne de la Congrégation de Sainte-Croix7, une affaire comportant des allégations d’agressions sexuelles, le tribunal souligne le manque d’initiative du requérant, qui n’a pas cherché à retrouver d’autres victimes potentielles. Commentant le seuil établi par le législateur, le tribunal énonce ce qui suit :

[24] En vertu de l'article 1003 d) C.p.c., J. J. doit démontrer qu'il est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres du groupe.

[25] Pour ce faire, J. J. doit respecter trois exigences : l’intérêt à poursuivre, sa compétence pour ce faire et ne pas être en conflit avec les membres du groupe.

[26] La Cour d'appel a eu l'occasion de mentionner récemment qu'en ce qui concerne le niveau de compétence requis du représentant, celui-ci « … est devenu minimaliste ».

[27] N'empêche, il est de jurisprudence constante que le représentant doit néanmoins avoir « minimalement » enquêté sur l'objet du recours et démontrer, autrement qu'en simplement l'affirmant ou en assistant à l'audience, qu'il est compétent pour remplir de façon adéquate le rôle qu'il cherche à accomplir.

[28] Enfin, le rôle du représentant va au-delà de la simple figuration. (Nos soulignements)

Il semblerait donc que le débat entourant les tenants et aboutissants du paragraphe 1003d) C.p.c. n’ait pas encore été tranché de façon définitive.


1 Guilbert c. Vacances sans Frontière Ltée, [1991] R.D.J. 513 (C.A.); Greene c. Vacances Air Transat inc., 1995 CanLII 4718 (QC CA).
2 Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342 au par. 76.
3 2007 QCCA 922.
4 [2013] 3 R.C.S. 600.
5 2015 QCCA 205.
6 2015 QCCA 1033, par. 25 et 29 à 32.
7 2015 QCCS 3583.

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© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.

À propos de l'auteur

Shaun E. Finn

Shaun E. Finn
Avocat, BCF, Avocats d’affaires

Shaun E. Finn est un avocat du service montréalais du litige de BCF et coresponsable de l'équipe stratégique en défense d’actions collectives du cabinet. Sa pratique comprend des dossiers complexes en litige commercial et en actions collectives.

Après avoir été stagiaire et auxiliaire juridique à la Cour d’appel du Québec, en 2004, Me Finn a plaidé au Tribunal administratif du Québec, à la Cour municipale, au Tribunal canadien du commerce extérieur, à la Cour supérieure du Québec, à la Cour d’appel du Québec, et à la Cour d’appel fédérale.

Dans le cadre de son travail en actions collectives, Me Finn a représenté des sociétés et institutions défenderesses dans les secteurs de la responsabilité de produits, des sinistres collectifs, de la protection des consommateurs, du respect de la vie privée et des valeurs mobilières. Il a été cité par divers tribunaux, dont la Cour supérieure du Québec, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada. Il a également été interviewé par Law Times, Investment Executive et par National pour faire valoir son point de vue sur les tendances nationales en matière d’actions collectives.

Me Finn a écrit deux ouvrages portant sur le recours collectif :

Recours singulier et collectif : Redéfinir le recours collectif comme procédure particulière
(Montréal : Yvon Blais, 2011)

Class Actions in Quebec: Notes for Non-residents
(Montréal : Carswell, 2014)

Il prépare actuellement une deuxième édition de Recours singulier et collectif, dont la publication est prévue au printemps de 2016.

Me Finn est auteur collaborateur de Defending Class Actions in Canada (2e, 3e et 4e éd.) et a publié plusieurs articles juridiques dans la Revue du Barreau canadien, le Revue canadienne des recours collectifs, la Revue générale de droit, Développements récents, Class Action Defence Quarterly, La référence et le blogue juridique des Éditions Yvon Blais (une société Thomson Reuters).

Me Finn enseigne également en matière d’actions collectives à la Faculté de droit de l’Université McGill à titre de chargé de cours.

Me Finn est titulaire d’un B.C.L. et d’un LL.B. de l’Université McGill, ainsi que d’un LL.M de l’Université Laval. Avant ses études en droit, il a obtenu un B.A en Société et culture occidentales au Liberal Arts College de l’Université Concordia, et a terminé des études de cycle supérieur en journalisme (Dip. Journ.) et en littérature anglaise (M.A.).