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Août 2015 • Bulletin no 237
 
TABLE DES MATIÈRES
Décisions récentes
 
Éditorial
Info-extra
Saviez-vous que
Santé et sécurité en vrac
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DÉCISIONS RÉCENTES
 
1
La Cour intervient pour limiter les débordements durant une grève
L’employeur s’est adressé à la Cour pour obtenir une injonction provisoire contre le syndicat et ses salariés en grève. L’employeur allègue que les salariés en grève bloquent les accès à l’usine aux salariés non syndiqués en les intimidant, en bloquant l’accès des automobiles ou en les menaçant de se faire « casser les jambes » ou les « dents ». De même, les grévistes s’adonnent à des activités bruyantes en ouvrant les portes de l’usine, ce qui fait sursauter les salariés non syndiqués, créant ainsi des risques de blessures. Après avoir analysé les critères habituels justifiant l’émission d’une ordonnance d’injonction provisoire, la Cour supérieure en arrive à la conclusion que la demande de l’employeur est justifiée. Elle émet donc une ordonnance d’injonction interlocutoire interdisant notamment aux syndiqués de bloquer ou d’obstruer l’entrée de l’usine, interdisant les menaces et l’intimidation à l’égard des salariés non syndiqués et limitant le nombre de piqueteurs à sept salariés.
Delastek inc. c. Syndicat Unifor, section locale 1209
DTE 2015T-425, 2015 QCCS 2196, juge Simon Ruel
2
Clause de non-sollicitation : un représentant aux ventes ne peut solliciter ses anciens clients
L’employeur demande l’émission d’une ordonnance d’injonction provisoire à l’égard d’un ex-salarié ayant occupé un poste de représentant des ventes. Après avoir entendu la preuve, le juge a conclu que le salarié avait sollicité des clients de son ex-employeur, compte tenu de la concomitance entre son départ et les ouvertures de compte par ses clients chez son nouvel employeur. Le juge a rappelé que la perte de clientèle, même si elle est difficile à évaluer, représente un préjudice sérieux et irréparable. Il a précisé que la notion d’urgence devait être appréciée avec discrétion parce que la preuve de violation d’une clause de non-sollicitation est difficile à faire, notamment parce qu’une telle clause n’interdit pas à un salarié de faire un appel de courtoisie à ses clients. En l’espèce, la Cour a émis une ordonnance interdisant au salarié de communiquer avec les clients qu’il desservait lorsqu’il était chez l’employeur, à l’exception de ceux faisant déjà affaires avec son nouvel employeur.
Matériaux Bomat inc. c. Lévesque
DTE 2015T-430, 2015 QCCS 2314, juge Clément Samson
3
L’employeur connaissait la clause de non-concurrence avant l’embauche
Un salarié poursuit son ex-employeur en dommages pour un montant de 7 000 $ à la suite de la résiliation de son contrat de travail. L’employeur allègue qu’il avait un motif sérieux pour mettre fin à l’emploi du salarié sans préavis, soit l’existence d’une clause de non-concurrence liant le salarié à son ex-employeur. La Cour a reconnu que l’existence d’une clause de non-concurrence peut constituer un motif sérieux permettant de procéder à un congédiement. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce, puisque l’employeur connaissait l’existence de cette clause au moment de l’embauche. C’est à ce moment que l’employeur aurait dû se renseigner sur le contenu de cette clause, et non pas après avoir embauché le salarié et reçu une mise en demeure de l’ex-employeur de ce dernier. L’employeur est donc condamné à rembourser des dépenses de 1 800 $ encourues par le salarié pour se rendre sur les lieux du travail. La réclamation du salarié pour le salaire qu’il aurait gagné s’il avait accepté un autre emploi est toutefois rejetée, puisqu’elle est hypothétique.
Michaudville c. Nation Cree d’Eastmain
DTE 2015T-429, 2015 QCCQ 4318, juge Virgile Buffoni
4
Aider sa fille à déménager ne constitue pas une obligation familiale
Un salarié à la production conteste l’avis verbal qui lui a été imposé pour s’être absenté sans droit. Conformément aux dispositions de la convention collective, le salarié devait travailler durant le quart de nuit du 1er juillet. Invoquant la nécessité d’aider sa fille, qui était aux études, à déménager, le salarié a demandé la permission de s’absenter, permission qui lui a été refusée. Malgré tout, le salarié a choisi de ne pas se présenter au travail pour ce motif et il a avisé son employeur quelques heures avant le début de son quart de travail. L’arbitre a retenu les prétentions de l’employeur et conclu que le motif d’absence invoqué par le salarié ne constituait pas un des motifs visés par l’article 79.7 de la Loi sur les normes du travail et qui sont liés uniquement à des obligations concernant la garde, la santé ou l’éducation de son enfant. Ne pouvant bénéficier de cette disposition, l’arbitre a conclu que le salarié avait commis une faute justifiant la mesure imposée. Le grief est rejeté.
Agropur, coopérative agro-alimentaire et Syndicat des salariées et salariés de la fromagerie (CSD)
DTE 2015T-439, 2015 QCTA 370, Me Pierre-Georges Roy
5
Qui doit assumer les frais reliés aux réparations sur l’un de vos véhicules ?
La Commission des normes du travail exerce un recours pour deux ex-représentants aux ventes. Le premier a eu un accident avec le véhicule de l’employeur alors qu’il sortait du stationnement pour un essai routier et il a remboursé à l’employeur le coût des réparations. Au moment de l’accident, le salarié était dans l’exécution de ses fonctions, il n’en tirait aucun bénéfice personnel et il suivait les directives de son employeur. La juge a conclu que les dommages causés au véhicule faisaient partie des frais d’opération de l’employeur au sens de l’article 85.1, de la Loi sur les normes du travail et que le montant des réparations ne pouvait être exigé du salarié. Quant au deuxième salarié, comme il a eu un premier accident alors qu’il effectuait un essai routier, l’employeur ne pouvait faire une retenue sur le salaire, malgré le consentement du salarié. Toutefois, ce dernier a également eu un second accident avec le véhicule de l’employeur alors qu’il l’utilisait pour son usage personnel. Conformément au contrat de travail, l’employeur était fondé à conserver une somme à même les retenues accumulées sur le salaire.
Commission des normes du travail c. Auto Coiteux Montréal ltée
DTE 2015T-384, 2015 QCCQ 3426, juge Nathalie Chalifour
6
Le refus répété du médecin d’autoriser une assignation temporaire peut justifier une filature
Un préposé aux services alimentaires conteste son congédiement pour avoir exercé des activités incompatibles durant une absence consécutive à un accident du travail. Le syndicat s’est objecté à l’admissibilité en preuve de la filature et du rapport d’enquête. Après avoir analysé la jurisprudence, l’arbitre conclut que l’employeur avait des motifs sérieux de procéder à la filature. En effet les observations discordances de trois médecins lui permettaient de douter des douleurs alléguées par le salarié. De plus, le refus répété du médecin traitant d’autoriser une assignation temporaire constituait un motif raisonnable pour entreprendre une filature. Dans les circonstances, la preuve de filature est admissible, puisque la surveillance a été entreprise pour des motifs reliés au bon fonctionnement de l’entreprise : l’employeur avait des motifs rationnels de procéder à celle-ci et la filature a été conduite avec des moyens raisonnables qui n’ont pas porté atteinte à la dignité du salarié.
CSSS Jeanne-Mance et Syndicat des travailleuses et travailleurs du CSSS Jeanne-Mance (CSN)
DTE 2015T-325, 2015 QCTA 229, Me Claude Martin
7
Soupçonnant des collègues de toucher à ses effets personnels, il installe une caméra dans le vestiaire
Un opérateur conteste la décision de son employeur de le suspendre aux fins d’une enquête et de le congédier. Il appert que le salarié était frustré que l’on ait déplacé son sac d’effets personnels et qu’il ait perdu, à quelques reprises, certaines choses, telles de la monnaie ou des paires de bas. Il a décidé de se faire justice par lui-même en installant une caméra de surveillance dans le vestiaire des employés. Ce faisant, il n’a pas écouté son superviseur qui lui avait suggéré de placer ses effets dans un casier fermé à clé et qui lui avait dit qu’il enquêterait. Pour l’arbitre, il s’agit d’une faute intentionnelle, volontaire et préméditée. Toutefois, il a jugé que la sanction était trop sévère. En effet, le salarié a avoué sa faute à la première occasion et s’en est excusé. De plus, il comptait six ans d’ancienneté et son dossier disciplinaire était vierge. Enfin, ses collègues n’ont exprimé aucune objection à retravailler avec lui. Pour ces raisons, une suspension de 180 jours a été substituée au congédiement.
Alstom Énergie et transport Canada inc. et Unifor Québec, section locale 511
DTE 2015T-309, 2015 QCTA 193, Me Alain Corriveau
8
Une éducatrice dans un CPE doit pouvoir soulever des enfants
Une éducatrice conteste son congédiement. À la suite d’une absence pour invalidité, cette dernière a soumis un certificat de retour au travail progressif comportant des limitations fonctionnelles, dont notamment éviter de soulever des enfants. L’employeur a affecté la salariée à des remplacements. Lorsque la salariée a soumis un certificat médical faisant état d’une atteinte permanente et reconduisant ses limitations fonctionnelles, l’employeur a mis fin à son emploi. Selon l’arbitre, l’employeur a accommodé la salariée en lui permettant d’effectuer des remplacements ponctuels et en maintenant son lien d’emploi depuis 2008. Les limitations fonctionnelles visent les tâches essentielles d’une éducatrice et la salariée n’a fourni aucun certificat médical faisant état d’un pronostic favorable quant à sa capacité à assumer l’ensemble de ses tâches dans un avenir prévisible. Le maintien du lien d’emploi constitue une contrainte excessive, et l’exigence d’être en mesure de soulever des enfants d’âge préscolaire est raisonnable, compte tenu de la nature de l’entreprise.
Syndicat des intervenantes en petite enfance du Québec (CSQ) et Centre de la petite enfance L’Arc-en-ciel
DTE 2015T-345, 2015 QCTA 320, Me Jean-François La Forge
9
L’omission de détenir un permis de travail constitue un motif de fin d’emploi
Une salariée dont le permis de travail est expiré conteste son congédiement. Selon l’arbitre, la salariée s’est elle-même placée en situation d’illégalité en négligeant de demander le renouvellement de son permis de travail avant son expiration. Il a souligné que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est très sévère à l’égard des personnes qui n’ont pas de permis de travail et des employeurs, lesquels s’exposent à des pénalités, et des peines d’emprisonnement. Le fait que la salariée ait obtenu par la suite son permis de travail ne change rien à la décision prise par l’employeur, puisque c’est au moment du congédiement qu’il faut se placer pour en analyser les motifs. En omettant d’informer son employeur du rejet initial de sa demande de renouvellement de permis, la salariée a caché des informations essentielles et a entraîné l’employeur dans l’illégalité. Un tel comportement a eu pour effet de briser le lien de confiance. Le grief est rejeté.
Teamsters Québec, section locale 1999 et Aliments Excel, s.e.c., Groupe Exceldor
DTE 2015T-361, 2015 QCTA 304, Me Côme Poulin
10
Frustré de ne pas recevoir une lettre d’excuses, il menace de trancher la gorge du directeur général
Un ouvrier spécialisé conteste des avis disciplinaires, des suspensions et son congédiement. La preuve a révélé que ce dernier souhaitait recevoir une lettre d’excuses de son employeur, le disculpant d’un bris d’équipement. Ne l’ayant pas obtenue, le salarié a notamment refusé d’exécuter ses tâches et a menacé son employeur d’entamer des poursuites judiciaires. Il a aussi déclaré qu’il trancherait la gorge du directeur général à l’aide d’un « exacto ». L’arbitre a d’abord rejeté les griefs portant sur les avis et suspensions, jugeant que le salarié ne pouvait imposer des conditions à l’exécution de sa prestation de travail. De plus, les menaces de poursuite constituaient de l’intimidation, puisqu’elles visaient à décourager l’employeur d’exercer son droit de gérance. En ce qui a trait au congédiement, l’arbitre s’est dit convaincu que les paroles proférées par le salarié étaient des menaces de mort, ce qui constitue une faute grave. Vu le dossier disciplinaire et l’absence de remords, le congédiement est confirmé.
Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Ville de Carleton – Saint-Omer (CSN) et Carleton-sur-Mer (Ville de)
DTE 2015T-322, 2015 QCTA 217, Me Jean-François La Forge
11
La grève justifiait un transfert de coûts
L’employeur conteste le refus d’un transfert de coûts. Il allègue que l’indemnité versée au salarié pendant une période de grève ne doit pas lui être imputée, car l’assignation temporaire autorisée et mise en place était toujours disponible. Victime d’une entorse à la cheville, le salarié était de retour en assignation temporaire deux semaines après son accident. L’assignation a été interrompue un mois plus tard, en raison d’une grève générale illimitée dans l’industrie de la construction. La CLP s’écarte du courant selon lequel l’imputation de coûts attribuables à une grève n’est pas injuste pour l’employeur, puisqu’elle fait partie des aléas des relations du travail. Selon la CLP, la grève est une situation complètement étrangère à la lésion professionnelle. L’indemnité versée au salarié pendant cette période n’est pas due en raison de la lésion professionnelle et ne peut donc être imputée à l’employeur, même si le salarié y avait droit. Le droit à l’indemnisation et l’imputation des coûts à l’employeur sont deux aspects distincts.
Montacier international inc. et CSST
2015 QCCLP 2489, Me Marie Beaudoin
(Requête en révision déposée par la CSST)
12
Elle n’a pas déclaré son accident, malgré plusieurs opportunités de le faire
Une salariée conteste le refus de sa réclamation pour une entorse cervico-dorsale. Elle se serait blessée en manipulant un colis qui lui a échappé. Elle a pourtant terminé son quart de travail en plus d’avoir travaillé quatre heures en temps supplémentaire. Lorsque sa supérieure l’a questionnée sur sa cadence ralentie de travail, elle a expliqué qu’elle s’était blessée en ne mentionnant aucun accident du travail. Par la suite, elle s’est absentée quelques jours en utilisant des congés de maladie. C’est plus d’une semaine plus tard et après une deuxième consultation médicale qu’une attestation médicale sur un formulaire de la CSST a été complétée. La salariée n’a déclaré l’accident que le lendemain de cette consultation. Selon la CLP, les délais à déclarer et consulter ne sont pas des critères mentionnés dans la loi pour l’application de la présomption. Toutefois, lorsqu’ils ne sont pas justifiés par des explications valables, ils empêchent l’application de la présomption. La réclamation est rejetée.
Haeseveld et Société canadienne des postes
2015 QCCLP 853, Me Jean-Claude Danis
13
Piercing amovible ou fixe : une différence importante semble-t-il !
Un cuisinier conteste un avis disciplinaire pour avoir refusé d’enlever un piercing au sourcil. Le salarié portait ce piercing depuis 10 ans, et ce, à la connaissance de l’employeur. Toutefois, à la suite d’une inspection, ce dernier lui a demandé de l’enlever. Selon l’arbitre, cette demande porte atteinte aux droits à la liberté d’expression et au respect de la vie privée garantis par la Charte. Toutefois, le Règlement sur les aliments interdit aux personnes qui sont notamment en contact avec des aliments de « porter aucun vernis à ongles, ni montres, bagues, boucles d’oreilles ou autres bijoux. » Selon l’arbitre, les termes « autres bijoux » englobent uniquement les bijoux qui peuvent entrer en contact avec les produits, dont ceux qui sont à risque de tomber dans les produits. Or, en l’espèce, il n’y a pas de risque que le piercing porté par le salarié affecte la salubrité des produits, puisque celui-ci est fixe et ne peut être enlevé que par un spécialiste avec des pinces spéciales. En conséquence, le grief est accueilli.
Union des employés de la restauration, syndicat des métallos, section locale 9400 et Aliments Olympus (Canada) inc.
DTE 2015T-362, 2015 QCTA 353, Me Huguette Gagnon
(Requête en révision judiciaire, 2015-05-25 (C.S.), 200-17-022286-157.)
COMMENTAIRES
Nul ne contestera que le Règlement sur les aliments, adopté en vertu de la Loi sur les produits alimentaires, vise à assurer la salubrité des produits destinés à la consommation humaine. Dans ce contexte, l’interdiction de porter des bijoux susceptibles de tomber dans les produits est une exigence raisonnable. Toutefois, la décision de l’arbitre nous paraît difficile d’application pour un employeur. En effet, il existe une multitude de piercing que ce soit au sourcil, au nez, à la lèvre ou aux oreilles. Face à un salarié portant un piercing, l’employeur devrait se demander, selon l’arbitre, si ce piercing est amovible ou fixe. Et si le piercing est fixe, parce qu’il requiert l’utilisation d’un instrument spécial pour l’enlever, l’employeur ne pourrait exiger qu’il l’enlève… Cette sentence arbitrale fait l’objet d’une révision judiciaire. Espérons que la Cour supérieure cassera cette décision déraisonnable et difficile d’application pour un employeur.
14
Gérer malgré le dépôt d’une plainte de harcèlement psychologique
Un technicien juridique a déposé une plainte alléguant que l’employeur avait mis fin à sa période probatoire à la suite du dépôt d’une plainte de harcèlement psychologique. La preuve a démontré que, dès son arrivée, l’attitude du salarié était négative et que ses collègues se sont plaints. L’employeur l’a rencontré à plusieurs reprises afin de lui signaler ces problèmes d’intégration, mais ce dernier n’a reconnu aucun tort, alléguant au contraire que ses collègues complotaient contre lui pour lui faire perdre son travail. Lors de la dernière rencontre, l’employeur l’a avisé qu’il risquait le congédiement s’il ne corrigeait pas la situation ; le lendemain, le salarié a déposé une plainte de harcèlement psychologique. Quoique la fin du stage probatoire se soit produite de manière concomitante au dépôt de la plainte, la commissaire est arrivée à la conclusion que c’est l’attitude du salarié et la certitude de l’employeur qu’il ne pouvait s’amender qui ont mené à sa fin d’emploi. La plainte est rejetée.
Lounis c. Québec (Curateur public)
DTE 2015T-315, 2015 QCCRT 0163, Me Lyne Thériault
(Requête en révision devant la CRT)
COMMENTAIRES
Plusieurs employeurs croient à tort qu’ils ne peuvent plus gérer un dossier une fois qu’un salarié a déposé une plainte de harcèlement psychologique. Dans la présente affaire, l’employeur a mis fin à l’emploi du salarié même s’il avait déposé une plainte de harcèlement psychologique. Toutefois, il a agi avec diligence et fait enquête avant de conclure qu’il s’agissait d’un conflit entre le salarié et ses collègues. Comme la situation était irréparable en raison de l’attitude belliqueuse du salarié, l’employeur a décidé de mettre fin à sa période probatoire. Selon la commissaire, sous prétexte du dépôt d’une plainte, l’employeur n’a pas à tolérer un tel comportement de la part d’un salarié en période de probation. La commissaire citait une de ses collègues de la C.R.T. qui avait écrit « Le seul dépôt d’une plainte en harcèlement psychologique ne peut contraindre un employeur à maintenir en emploi une personne en période de probation qui démontre son incapacité à s’adapter à son environnement de travail. »
ÉDITORIAL
Karine Perrin
Médecine du travail : de quoi en perdre son latin !

Plusieurs employeurs sont perplexes face aux nombreuses désignations qui peuvent qualifier un médecin : médecin traitant, médecin qui a charge, professionnel de la santé désigné, médecin d’entreprise, médecin-conseil, médecin expert, médecin du Bureau d’évaluation médicale (le « BEM »). Le présent texte vous permettra de savoir quels sont les rôles de chacun et dans quelles circonstances faire appel à l’un ou à l’autre.

Le médecin traitant ou médecin qui a charge est le médecin choisi par un salarié pour traiter sa maladie ou sa blessure1. Il peut s’agir d’un généraliste ou d’un spécialiste, d’un médecin de famille ou du premier médecin consulté à la suite, par exemple, d’un accident du travail. Il entretient une relation thérapeutique privilégiée avec son patient. Il pose le diagnostic, choisit les traitements appropriés, autorise ou non une assignation temporaire, réfère son patient à un spécialiste puis fait le suivi, fixe la date de consolidation et détermine l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, le cas échéant.

Dans le cas d’une lésion professionnelle, la CSST est liée par les conclusions du médecin qui a charge2, sauf lorsqu’un avis est rendu par le BEM.

Le médecin d’entreprise ou médecin-conseil peut aider le gestionnaire des dossiers CSST ou d’invalidité en donnant, par exemple, son avis sur l’existence d’un handicap, sur la relation causale ou sur la pertinence d’obtenir une expertise médicale. Il peut aussi remplir d’autres fonctions, dont procéder aux examens préembauche et en cours d’emploi.

La LATMP réfère au professionnel de la santé désigné par l’employeur. C’est d’abord celui qui peut avoir accès, sans frais, au dossier médical de la CSST3. Ce rôle peut notamment être exercé par le médecin d’entreprise.

C’est aussi celui qui est désigné par l’employeur pour agir dans le cadre de la procédure d’évaluation médicale prévue à la LATMP4. Ainsi, lorsque le rapport du professionnel de la santé désigné par l’employeur infirme les conclusions du médecin qui a charge sur l’un ou plusieurs sujets sur lesquels la CSST est liée5, l’employeur peut demander à la CSST de transmettre le dossier au BEM, suivant les modalités prévues à la loi.

Le médecin du Bureau d’évaluation médicale intervient pour trancher une divergence d’opinions entre le médecin qui a charge et le professionnel de la santé désigné par l’employeur ou la CSST. La CSST devient alors liée par cet avis, plutôt que par l’opinion du médecin traitant, et rend une décision en conséquence.

Enfin, le médecin expert est celui qui émet une opinion médicale indépendante sur l’état de santé d’une personne à la demande de cette dernière ou d’un tiers, tel un assureur, la CSST ou un employeur. Son statut d’expert lui est reconnu par le tribunal, le cas échéant. Dans le cas d’une lésion professionnelle, il est souvent le professionnel de la santé qui aura été désigné par l’employeur ou la CSST pour agir dans le cadre de la procédure d’évaluation médicale. Contrairement au médecin traitant, l’expert n’a pas de lien thérapeutique avec la personne qui le consulte.

Un employeur peut solliciter l’opinion d’un expert notamment pour les raisons suivantes : répondre à des questions concernant le diagnostic, l’incapacité ou le mécanisme de production d’une lésion ; établir un diagnostic, évaluer l’aptitude au travail ; déterminer les limitations fonctionnelles ; évaluer une atteinte permanente ou se prononcer sur un traitement. L’expert doit donner une opinion médicale à partir de l’évaluation qu’il fait d’une personne ou d’une situation relevant de son champ de compétence.

En conséquence, il est important que le mandat confié à l’expert soit clair, précis, formulé par écrit et prévoit les conditions de sa réalisation. Il est tout aussi important que l’expert puisse avoir accès aux documents pertinents.

Toutefois, avant d’avoir recours à une expertise, quelle que soit la nature de l’invalidité, il peut être avantageux de s’adresser au médecin traitant afin de clarifier une situation jugée ambiguë. Dans le cas d’une lésion professionnelle, c’est généralement la CSST qui communique avec le médecin qui a charge pour obtenir des précisions, le cas échéant.

  1. L’article 192 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001, et l’article 6 de la Loi sur la santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2, reconnaissent le droit au médecin de son choix.
  2. Art. 224 LATMP.
  3. Art. 38 LATMP.
  4. Art. 209 s. LATMP. En vertu de l’article 204, la CSST peut aussi désigner un professionnel de la santé.
  5. Art. 212 LATMP.
INFO-EXTRA
L’embauche d’un employé subventionné

Le programme « Subvention salariale » d’Emploi-Québec offre une aide financière permettant à un employeur d’accueillir et d’intégrer dans son entreprise des personnes éprouvant des difficultés à trouver un emploi en raison, notamment, d’un handicap. Le gouvernement compense en partie l’employeur pour le salaire versé en lui accordant une subvention équivalente à la proportion du manque de productivité causée par ce handicap. Une ressource externe est alors nommée aux fins de suivi de l’entente.

Si vous embauchez un salarié par le biais de ce programme, il est bon de savoir que votre fardeau de preuve pourrait être plus élevé en cas de fin d’emploi pour rendement insuffisant.

Par exemple, dans l’affaire Union des employées et employés de service, section locale 800 et Groupe Compass ltée1, le congédiement d’un aide général dans une cafétéria a été cassé par l’arbitre Denis Provençal. Dans cette affaire, le salarié ayant une déficience intellectuelle légère exerçait ses fonctions sans problème depuis 2006. Lors d’un changement d’employeur en 2014, il a été réembauché par le nouvel employeur qui a mis fin à son emploi au terme d’une période de probation de trois mois en raison de son rendement déficient et d’une « certaine lenteur ».

L’arbitre s’est appuyé sur plusieurs motifs pour conclure que le congédiement était abusif. D’une part, l’employeur avait été informé de l’incapacité partielle du salarié et savait qu’il devait faire l’objet d’un encadrement adapté à sa condition. Or, aucun représentant de l’employeur n’a rencontré le salarié durant sa période de probation pour le sensibiliser, s’il y avait lieu, à son rendement au travail et personne n’a fait appel à la ressource externe désignée pour les fins de suivi de l’entente. Aucune preuve particulière n’a démontré que le manque de productivité du salarié n’était pas de l’ordre de 20 %, comme le prévoyait l’Entente relative à la gestion d’un contrat d’intégration au travail, mais de l’ordre de 70 % à 75 % comme l’alléguait l’employeur. L’arbitre écrivait :

« Je comprends que les salariés subventionnés ne jouissent d’aucun traitement de faveur au travail, mais il m’apparaît que lorsque ces salariés éprouvent des problèmes de rendement au travail, une approche adaptée à leur condition est nécessaire. »

L’arbitre a conclu en alléguant que rien n’obligeait un employeur à conclure une entente avec Emploi-Québec pour intégrer des employés subventionnés dans son entreprise. Toutefois, lorsqu’il le faisait, il devait accepter les contraintes pouvant se présenter, comme celle de demander l’intervention de la ressource externe pour résoudre certaines difficultés pouvant se produire au travail. La réintégration du salarié a été ordonnée.

  1. DTE 2015T-372, 2015 QCTA 358 (T.A.).
SAVIEZ-VOUS QUE
Équité salariale pour les PME de 6 à 10 salariés

Allègement du Règlement concernant la déclaration de l’employeur en matière d’équité salariale :

Depuis le 8 juillet dernier, seules les entreprises de plus de 10 salariés doivent produire annuellement la Déclaration de l’employeur en matière d’équité salariale. En conséquence, les PME de 6 à 10 salariés n’ont plus l’obligation de produire cette déclaration. Rappelons que les PME de 6 à 10 salariés devaient produire cette déclaration, même si elles n’étaient pas assujetties à la Loi sur l’équité salariale.

Ce qui motive les salariés québécois :

Invités à répondre à un jeu-questionnaire durant la Semaine des ressources humaines, plus de 10 000 salariés québécois ont indiqué ce qui les motivait au travail. Voici les résultats de ce sondage effectué par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés :

  • 43 % des salariés sont motivés par la réussite, le travail étant surtout une occasion de s’accomplir.
  • 33 % des salariés recherchent un emploi où les tâches et l’environnement de travail sont agréables.
  • 15 % des salariés sont motivés par l’équilibre, soit un travail suffisamment flexible afin de leur permettre de concilier les différents aspects de leur vie.
  • 9 % des salariés sont motivés par le niveau de vie, soit le salaire et autres avantages monétaires.

Il semblerait donc que la rémunération n’est pas un facteur très important dans la motivation au travail.

  1. Source : http://www.portailrh.org/presse/fichecommunique2.aspx?f=105102
SANTÉ ET SÉCURITÉ EN VRAC
Reine Lafond

L’emploi convenable et la Charte : la Cour d’appel tranche !

Le 15 juin dernier, la Cour d’appel1 a rendu une décision majeure sur l’obligation d’accommodement dans un contexte de lésion professionnelle : une première.

Rappelons le contexte : Monsieur Caron, éducateur dans un centre d’accueil, est victime d’une lésion professionnelle, à la suite de laquelle des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de reprendre son emploi sont retenues. Lorsque l’employeur confirme à la CSST qu’il n’a aucun emploi convenable à offrir, celle-ci rend une décision où elle déclare qu’elle recherchera un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail. Monsieur Caron a contesté cette décision devant la Commission des lésions professionnelles (la « CLP »), étant d’avis que son employeur n’avait pas sérieusement analysé les différentes possibilités avant de conclure qu’aucun emploi convenable n’était disponible.

En première instance, la CLP2, conformément à sa jurisprudence constante, a rejeté les prétentions de Monsieur Caron, mentionnant que les dispositions de la Loi3 portant sur la réadaptation constituaient déjà un accommodement raisonnable, aucune obligation additionnelle de l’employeur ne devant s’y ajouter.

À l’opposé, la Cour supérieure4 a considéré que la CLP avait erré en ne tranchant pas la question qui lui avait été soumise. Elle lui a ordonné de reprendre le dossier et de disposer de la contestation de Monsieur Caron, en tenant compte de la mise en œuvre du droit à l’égalité protégé par la Charte5.

De façon unanime, la Cour d’appel a rejeté l’appel. Le tribunal a d’abord rappelé qu’un travailleur qui conserve des séquelles d’une lésion professionnelle peut être considéré comme porteur d’un handicap. Or, le droit d’un travailleur handicapé d’être accommodé en emploi est reconnu. Ce devoir d’accommodement découle de la Charte et incombe au premier chef à l’employeur. Pour la Cour d’appel, le caractère supralégislatif de la Charte commande que l’employeur soit soumis à l’obligation d’accommodement et que la CSST puisse vérifier si cet exercice a été réalisé.

Ainsi, l’employeur a « l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail ». Cette obligation découle de la Charte et s’ajoute à la Loi.

La Cour d’appel a rejeté l’argument selon lequel les dispositions de la Loi constituent en elles-mêmes un accommodement suffisant, estimant qu’il s’écartait des principes développés par la Cour suprême en matière d’accommodement depuis les dix dernières années.

Le tribunal a conclu que « le droit au retour au travail du travailleur victime d’une lésion professionnelle et demeurant avec un handicap impose que l’employeur réalise l’obligation d’accommodement (…) ». À ce titre, l’expiration du droit au retour au travail6, comme dans le cas de Monsieur Caron, constitue tout au plus un facteur à considérer.

Cette décision peut avoir un impact sur le processus de détermination d’un emploi convenable chez l’employeur. Ainsi, suivant ces enseignements de la Cour d’appel, l’employeur devra désormais être en mesure de démontrer à la CSST et la CLP, qu’il a recherché et identifié les accommodements possibles. Il devra documenter ses démarches pour déterminer si un poste disponible respectant les limitations fonctionnelles pouvait être offert au travailleur. S’il lui est impossible d’accommoder le travailleur sans subir de contrainte excessive, il faudra conclure à l’inexistence d’un emploi convenable et poursuivre les démarches de réadaptation ailleurs sur le marché du travail.

En attendant de connaître l’approche qu’adopteront la CSST et la CLP en semblable matière, nous vous recommandons de bien documenter votre dossier de réadaptation et vos démarches. En cas de doute, consultez vos procureurs pour vous assurer du respect de vos obligations.

  1. CSST et Caron, 2015 QCCA 1048.
  2. Caron et Centre Miriam, 2012 QCCLP 3625.
  3. Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001 (la « LATMP » ou la « Loi »).
  4. Caron et CLP, 2014 QCCS 2580.
  5. Charte des droits et libertés de la personnelle, RLRQ, c. C-12 (la « Charte »).
  6. Art. 240 de la Loi.
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