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Commentaire sur la décision Estate of Troster Markus – L’interprétation d’une clause testamentaire : legs particulier ou fiducie ?

Par Antoine Aylwin, CIPP/C, associé chez Fasken, S.E.N.C.R.L.
Commentaire sur la décision Estate of Troster Markus – L’interprétation d’une clause testamentaire : legs particulier ou fiducie ?

INTRODUCTION

La rédaction d’un testament, même par un professionnel, peut être alambiquée et lorsqu’on doit l’appliquer, la personne décédée n’est plus en mesure de jeter un éclairage sur ses volontés. Toutefois, certains éléments de preuve laissés par la personne décédée peuvent aider à l’interprétation.

Dans la décision Estate of Troster Markus1, la Cour supérieure devait interpréter une clause testamentaire qui était interprétée de façon radicalement différente par les parties : la première prétendait qu’il y avait création d’une fiducie, alors que la deuxième prétendait que cette même clause prévoyait un legs particulier.

Cette longue décision (50 pages) traite de certaines questions accessoires supplémentaires dont nous ne traiterons pas dans le présent texte.

I– LES FAITS

La défunte est décédée en mai 2015 à l’âge de 93 ans. Elle avait fait un testament notarié l’année précédente (13 août 2014), lequel contenait la clause suivante concernant un legs particulier à sa fille :

I hereby will, devise and bequeath the following particular bequests, to wit :
[...]
To my daughter, Barbara Markus, the ownership of my apartment located at [...] Apartment 1801, including the two parking spaces in the garage, and all of the contents thereof. She must retain ownership of the said apartment for a period of at least one year from the date of my death, and in the event that she takes up residence therein, she shall not have any cats or dogs in the apartment. If, after the minimum delay of one year, she decides to sell the said apartment and contents, she must retain the services of Sotheby’s in order to evaluate the contents and the net proceeds derived from the said sale must be invested with ScotiaMcLeod under the direction of my Liquidator and Trustee herein after named and my daughter, Barbara, shall only have access to the proceeds of investment annually, with the right to encroach upon the capital thereof at the sole discretion of my Liquidator and Trustee hereinafter named.
[Nous soulignons]

La question qui se pose principalement à la lecture de cette clause : comment concilier l’idée que la propriété serait léguée (« the ownership »), mais que le produit de la vente de la propriété par la suite serait investi sous la supervision du fiduciaire, avec un accès aux intérêts uniquement.

Cet appartement a une valeur significative, étant évalué à 990 000 $.

Il est intéressant de noter que dans le testament par la suite, la succession est essentiellement partagée entre le fils de madame, qui reçoit sa part en pleine propriété et la fille de madame, dont la part est placée en fiducie et dont elle est bénéficiaire des revenus de placement.

La défunte a laissé une série de lettres écrites à la main antérieurement à la signature du testament et qui expriment les volontés de la défunte à l’égard de la dévolution de sa succession.

Nous reproduisons l’extrait d’une lettre du 31 juillet 2014 adressée au notaire, en relation avec l’appartement :

Barbra, because I love you and because you proved you are not capable of handling money I decided to do the above.

Face à la clause testamentaire ambiguë reproduite ci-haut, le fiduciaire a demandé une opinion juridique, laquelle conclut à ce que l’interprétation appropriée de la clause ambiguë serait que l’appartement est placé dans une fiducie au bénéfice de la fille. L’avocate recommande toutefois d’obtenir un jugement déclaratoire afin de clarifier la question.

De son côté, la fille produit une opinion juridique qui conclut qu’il s’agit d’un legs particulier, mais que la mère a plutôt fait des recommandations avec un « ton d’autorité parentale », plutôt que de créer une fiducie.

II– LA DÉCISION

La Cour est saisie d’une requête en jugement déclaratoire par le fiduciaire afin de s’assurer qu’il peut considérer la clause testamentaire comme une fiducie, tel que son avocate l’interprète, alors que cette interprétation est rejetée par la fille qui invoque un legs particulier.

La Cour rappelle les critères pour déterminer s’il y a création d’une fiducie : la constitution d’un patrimoine, la transmission de biens par le constituant à ce patrimoine, la détention de ces biens par le fiduciaire et leur affectation à une fin permise par la loi. La Cour rappelle que son intervention pour interpréter un testament ne sera requise qu’en cas d’ambiguïté.

La Cour reconnaît d’emblée qu’il y a une ambiguïté dans la rédaction de la clause testamentaire portant sur l’appartement. En effet, les deux interprétations proposées impliquent d’ignorer une certaine partie du texte de la clause testamentaire pour que cela ait du sens. L’objectif du tribunal est de déterminer l’interprétation qui semble la plus conforme à l’intention de la testatrice.

La Cour note que la première lecture du testament laisse croire que les enfants sont traités de façon différente de façon générale : le fils reçoit sa part en pleine propriété sans restriction, alors que la part de la fille lui est léguée avec un certain encadrement de gestion des actifs par le liquidateur/fiduciaire.

Dans son interprétation, la Cour retient les lettres manuscrites de la défunte comme des éléments de preuve très importants pour interpréter quelle était la volonté de la défunte. La Cour retient également de ces lettres la volonté de la défunte de protéger sa fille et de s’assurer que ces actifs seraient gérés par une personne de confiance afin qu’elle ne dilapide pas ses biens.

Cela est conforme à la preuve que la mère a dû soutenir financièrement sa fille durant sa vie, le testament faisant d’ailleurs état d’une dette de 100 000 $ de la fille à l’égard de sa mère.

À la lumière de ces éléments de preuve, la Cour retient que l’appartement doit être considéré comme faisant partie d’une fiducie au bénéfice de la fille en présence des quatre critères constitutifs d’une fiducie.

III- LE COMMENTAIRE DE L’AUTEUR

Il nous semble évident que la Cour a énoncé adéquatement le cadre juridique applicable.

En effet, le tribunal se doit de ne procéder à l’interprétation d’un testament qu’en cas d’ambiguïté qui émane de la rédaction même de celui-ci. Ce n’est qu’à ce moment que la preuve extrinsèque devient pertinente. En effet, l’ambiguïté ne devrait pas provenir de la preuve extrinsèque en présence d’un testament clair.

Ensuite, les quatre critères constitutifs de la fiducie ont été bien identifiés et appliqués en l’espèce.

La résolution de l’ambiguïté a bien sûr été facilitée par la preuve des écrits de la défunte, ce qui est un élément qui est assez rare et qui pourrait simplifier bien des dossiers, et par une décision de la Cour d’appel de 19892 qui avait eu de façon similaire à se prononcer dans un cas où elle avait mis de côté le terme « ownership » utilisé dans un testament pour conclure à l’existence d’une fiducie.

CONCLUSION

On peut concevoir aisément qu’une personne sans connaissances juridiques qui rédige son testament puisse utiliser des expressions qui sont ambiguës et qui méritent interprétation. C’est le genre de phénomène que nous voyons fréquemment en pratique.

Toutefois, nous ne pouvons que déplorer qu’un testament préparé à l’aide d’un professionnel souffre d’ambiguïté, alors que c’est le travail de l’avocat ou du notaire de rédiger en langage clair les dernières volontés d’une personne pour éviter une telle ambiguïté et donner effet aux dernières volontés. D’autant plus qu’il s’agissait ici d’une distinction assez fondamentale : est-ce que le legs était fait au bénéfice d’une fiducie ou en pleine propriété ?

En effet, le professionnel doit éviter d’utiliser les mots du client et trouver les bons mots pour que les dispositions testamentaires soient simples et faciles à appliquer. Il est beaucoup plus coûteux de procéder à des démarches de jugement déclaratoire que de prendre le temps de bien rédiger les clauses de legs testamentaires.


1 EYB 2018-289659 (C.S.).
2 Todd c. Todd, 1989 CanLII 636.

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