L'accusé a été déclaré coupable d'agressions sexuelles et d'obtention de services sexuels moyennant rétribution. En trois occasions, il a obtenu, moyennant rétribution, les services sexuels de trois travailleuses du sexe. Et à deux de ces occasions, il a volontairement endommagé le condom que les travailleuses du sexe l'obligeaient à porter lors d'une pénétration vaginale, commettant ainsi deux agressions sexuelles. Le temps est venu de déterminer la peine qui doit lui être imposée.
L'agression sexuelle est une infraction objectivement grave passible de dix ans d'emprisonnement. L'obtention de services sexuels moyennant rétribution est passible, quant à elle, d'un emprisonnement maximal de cinq ans. En outre, une amende minimale de 1 000 $ est prévue lorsque, comme en l'espèce, l'accusation est prise par acte criminel.
Une pénétration vaginale non protégée se situe au haut de l'échelle des comportements constituant une agression sexuelle. Dans sa déclaration, la victime A relate les conséquences psychologiques qu'elle a subies à la suite de l'agression sexuelle. Ces conséquences s'apparentent à celles que rapportent les femmes victimes d'une agression sexuelle similaire : une perception négative de leur capacité d'agir sur le plan sexuel et, parfois, une perception négative d'elles-mêmes. Ces femmes décrivent également une violation paralysante et dégradante d'un accord en matière sexuelle, une violation de consentement, un bris de la relation de confiance, un déni de l'autonomie et un acte de violence sexuelle. Le refus de porter le condom ou le retrait non consensuel du condom touche de façon disproportionnée les femmes. Et négocier l'utilisation du condom se produit souvent dans des situations d'inégalité. Il s'agit d'un exercice manifeste de domination qui témoigne d'un mépris de la capacité de la personne de dicter les limites de sa participation et d'un moyen de se servir d'elle comme moyen d'atteindre ses fins sexuelles. Ces conséquences psychologiques importantes subies par la victime A constituent une circonstance aggravante. Quant aux deux autres victimes, elles ont préféré ne pas rédiger de déclarations. La preuve établit toutefois le dégoût, l'anxiété, la frustration, le sentiment de culpabilité et l'impression d'être salie ressentis par la victime B après avoir constaté que le condom était déchiré en deux.
Une autre circonstance aggravante est la vulnérabilité des victimes A et B du fait de la profession de travailleuse du sexe qu'elles exerçaient. Les travailleuses du sexe sont reconnues à juste titre comme un groupe de personnes qui se livrent à une activité dangereuse. La violence sexuelle fait partie de leur quotidien. Et ce n'est pas parce que les victimes étaient des travailleuses du sexe et qu'elles avaient consenti à une relation sexuelle vaginale avec le port du condom que les agressions sexuelles sont moins graves. Un tel argument perpétue les mythes et stéréotypes à l'égard des femmes et des travailleuses du sexe que l'on tente d'éradiquer dans notre société. Les victimes A et B n'ont pas consenti à la relation sexuelle vaginale sans condom, un point, c'est tout. Leur autonomie sexuelle et leur capacité d'agir en toute égalité sur le plan sexuel ont été violées.
Certes, l'accusé n'a pas d'antécédents judiciaires. Il s'agit d'une circonstance atténuante. Le rôle de l'accusé dans la commission des infractions est cependant total. Et la responsabilité de l'accusé est entière. Ce dernier a fait les démarches pour établir la relation avec ses victimes vulnérables (A et B). Dans les deux cas, il se présente comme le client gentil et poli afin que ces dernières laissent tomber leur garde et qu'elles croient à sa thèse de l'accident une fois l'agression sexuelle commise.
La preuve indique que l'accusé a perdu son emploi en raison de la médiatisation de ses déclarations de culpabilité. La médiatisation devient donc une circonstance pertinente dans la détermination de la peine. Toutefois, cette conséquence est à ce point directement liée à la nature des infractions dont l'accusé a été déclaré coupable que son rôle à titre de facteur atténuant est grandement réduit. Par ailleurs, une certaine valeur mitigée doit y être accordée parce que l'on ne parle pas ici d'infractions commises spontanément ni d'une infraction unique.
Dans la présente affaire, ni les mesures probatoires ni l'emprisonnement dans un pénitencier ne s'avéreraient des peines appropriées. Une peine totale de moins de deux ans d'emprisonnement saura satisfaire les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale et individuelle, mais aussi les objectifs de conscientisation et de réparation des torts causés. Cela dit, une peine d'emprisonnement avec sursis ne pourra être imposée. En effet, à la lumière de toute la preuve et du rapport sexologique, on ne peut conclure que le fait de permettre à l'accusé de purger sa peine au sein de la collectivité ne mettra pas en danger la sécurité de celle-ci. Non seulement le risque de récidive n'est pas minime, mais des conséquences très graves sont susceptibles de découler d'une récidive. En cas de récidive, l'accusé expose effectivement les travailleuses du sexe, ses autres partenaires et les autres partenaires de celles-ci ou de ceux-ci aux infections transmises sexuellement. Il y a aussi un risque de grossesses non désirées.
Et même si l'on avait conclu qu'il ne mettait pas en danger la sécurité de la collectivité, un emprisonnement avec sursis n'aurait pas constitué une sanction raisonnable dans les circonstances. Il faut ici faire primer les objectifs de dénonciation et de dissuasion (générale et individuelle) et tenir compte du tort causé aux victimes et à la collectivité.
La peine juste et appropriée pour chacune des infractions prises isolément est : 18 mois d'emprisonnement pour l'agression sexuelle de A, 18 mois d'emprisonnement pour l'agression sexuelle de B ainsi que 1 000 $ d'amende et 14 jours d'emprisonnement pour chacune des trois infractions d'obtention de services sexuels moyennant rétribution (A, B et D). Les peines pour les deux agressions sexuelles doivent être purgées consécutivement. Mais comme le tribunal doit éviter l'excès de durée dans l'infliction de peines consécutives, les peines de 18 mois d'emprisonnement sont réduites à des peines de 10 mois d'emprisonnement. Toujours compte tenu du principe de la totalité, les peines d'emprisonnement pour l'obtention de services sexuels moyennant rétribution seront concurrentes entre elles et à toute autre peine. La peine totale est donc de 20 mois d'emprisonnement.
Enfin, il n'est pas approprié de prononcer une ordonnance de probation vu que l'accusé, qui a un statut de résident permanent au Canada, quittera le pays à la fin de sa peine d'emprisonnement ou à l'expiration de son visa.