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Dans la mesure où la chambre criminelle de la Cour supérieure entend les demandes d’habeas corpus en droit carcéral depuis 1985 et puisque le droit carcéral et la vie en prison demeurent intimement liés à l’administration de la justice criminelle, il ne convient pas de transférer l’audition de ces demandes à la chambre civile de la Cour supérieure.

Résumé de décision : Potvin c. Établissement de détention de Joliette , C.S., 3 août 2020
Dans la mesure ou la chambre criminelle de la Cour superieure

La requérante recherche sa libération par le biais d'une demande d'habeas corpus. Elle allègue une privation de liberté qui découle du mandat ayant autorisé son arrestation et de la suspension de sa libération conditionnelle totale. Le Service correctionnel du Canada (SCC) demande de transférer le dossier dans le district judiciaire de Joliette où la requérante est maintenant détenue de même que le transfert de ce dossier à la chambre civile de la Cour supérieure.

Dans les circonstances actuelles, et dans la mesure où c'est la chambre criminelle du district de Montréal qui assure la gestion des demandes urgentes pour plusieurs districts périphériques de la région de Montréal, il y a lieu d'autoriser le dépôt de la demande de la requérante dans le district judiciaire de Montréal.

Examinons maintenant la demande de transfert à la chambre civile, laquelle s'appuie sur les récents arrêts rendus par la Cour d'appel du Québec (Snooks c. Procureur général du Canada et Paul c. Lalande (Archambault Establishment)). Ces arrêts établissent que l'habeas corpus visant certaines décisions en droit carcéral constitue un recours civil et que les règles du Code de procédure civile relatives à l'appel s'appliquent à celui-ci. Jusqu'à ces arrêts, les demandes d'habeas corpus en droit carcéral ont toujours été entendues par la chambre criminelle de la Cour supérieure. L'habeas corpus en droit carcéral était considéré, à tort comme on le sait maintenant, comme visant « une matière pénale » au sens de l'art. 774 C.cr. Cette compréhension du droit applicable s'avère fautive et erronée. Contrairement à ce que certains ont pu penser, les art. 774 et 784 C.cr. de même que les art. 22 et 28 des Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle (2002) (les Règles) ne constituent pas le fondement substantiel et procédural applicable à l'habeas corpus en droit carcéral. Cela dit, même si, depuis les arrêts Snooks et Paul, les art. 22 et 28 des Règles s'avèrent évidemment inapplicables, on peut néanmoins considérer que ces articles et la gestion administrative de ce type de dossiers témoignent de la volonté de la Cour supérieure de confier l'audition d'un habeas corpus en droit carcéral à la chambre criminelle, tout en assujettissant ces dossiers aux formalités procédurales du Code de procédure civile. En d'autres termes, même si ces articles ont été erronément interprétés comme étant applicables à l'habeas corpus en droit carcéral, la Cour supérieure exprimait dans ceux-ci sa volonté de confier cette tâche à la chambre criminelle. À tout événement, même si, dans les arrêts Snooks et Paul, la Cour d'appel du Québec décide, à l'instar de plusieurs cours d'appel, qu'un transfèrement correctionnel constitue une question de nature civile, cela ne signifie pas que la révocation de la libération conditionnelle d'un prisonnier soit une décision de même nature, une question que n'aborde pas la Cour d'appel du Québec. À cet égard, dans l'arrêt Canada (Attorney General) c. Samuel, le juge Sharpe de la Cour d'appel de l'Ontario écrit que la suspension de la libération conditionnelle d'un détenu est une question de nature criminelle et non civile. Il s'agit là d'un motif supplémentaire dans le présent cas de refuser de transférer le dossier à la chambre civile de la Cour supérieure. Par ailleurs, il est essentiel de souligner que la Cour d'appel du Québec ne se prononce pas dans ses arrêts sur l'identité de la chambre de la Cour supérieure qui doit entendre les demandes d'habeas corpus en droit carcéral. Cela n'est guère surprenant, car il s'agit là d'une question qui relève, de l'avis même de la Cour d'appel du Québec, de la gestion de la Cour supérieure.

La Cour supérieure constitue une cour indivisible. Toutefois, les matières qui sont confiées à certaines chambres justifient de tenir compte des matières qui leur sont confiées. Or, la Cour suprême du Canada explique, dans l'arrêt May c. Établissement Ferndale, que le droit carcéral et la vie en prison demeurent intimement liés à l'administration de la justice criminelle. Le SCC ne fait valoir aucun motif dirimant ou déterminant qui justifie de transférer l'audition d'un habeas corpus en droit carcéral à la chambre civile de la Cour supérieure. Le SCC n'établit pas que la chambre civile de la Cour supérieure est mieux à même de trancher les litiges concernant la liberté des prisonniers en droit carcéral. Finalement, si l'organisation administrative des greffes de la Cour supérieure ou l'utilisation d'un code juridictionnel plutôt qu'un autre pose problème, il convient de modifier la gestion administrative du greffe afin d'éviter ces problèmes. Il n'appartient pas à un juge de la Cour supérieure de décider de l'organisation administrative de celle-ci. La responsabilité de la gestion de la Cour supérieure incombe d'abord à son juge en chef. En l'absence d'une directive de pratique du juge en chef de la Cour supérieure confiant l'audition des demandes d'habeas corpus en droit carcéral à la chambre civile, il ne convient pas de le faire par l'entremise de la décision d'un seul juge. Puisque la chambre criminelle de la Cour supérieure entend les demandes d'habeas corpus en droit carcéral depuis la trilogie des arrêts Miller, Cardinal et Morin en 1985, il n'existe aucune raison prépondérante justifiant le transfert de ces dossiers en chambre civile.

Il n'est pas incompatible avec les arrêts de la Cour d'appel du Québec que la chambre criminelle de la Cour supérieure continue d'entendre les demandes d'habeas corpus en droit carcéral, car la Cour supérieure est indivisible.

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