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La Cour d’appel annule l’ordonnance d’exécution provisoire du paiement de 1 131 090 000 $ rendue par la Cour supérieure dans les recours collectifs contre les compagnies de tabac

Résumé de décision : Imperial Tobacco Canada Ltd. c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, EYB 2015-254767 (C.A., 23 juillet 2015)
Blogue juridique

Le jugement de première instance accueille deux recours collectifs contre des compagnies de tabac, les appelantes Imperial Tobacco Canada Ltd. (ITL), JTI Macdonald Corp. (JTM) et Rothmans Benson & Hedges Inc. (RBH) et il ordonne le dépôt de 1 131 090 000 $ pour la satisfaction partielle des dossiers Blais et Létourneau dans les 60 jours du jugement. Le juge a ordonné l'exécution provisoire en ce qui a trait au dépôt initial. Il s'agit de statuer sur la demande des appelants d'annuler l'exécution provisoire de cette conclusion. Deux des appelants recherchent également la mise sous scellés d'informations. Or, la demande de mise sous scellés n'est pas fondée, mais celle concernant le sursis est justifiée.

Abordons d'abord la requête de deux des compagnies de tabac pour la mise sous scellés d'informations. Elles invoquent l'arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances). Or, dans cet arrêt, la partie qui demandait l'ordonnance de confidentialité s'était engagée contractuellement envers une tierce partie (la branche du gouvernement chinois avec qui elle s'était engagée à construire un réacteur nucléaire) à ne pas divulguer l'information en question. Toutefois, aux fins du litige avec Sierra Club, la Commission de l'énergie atomique demandait les documents pour fonder sa défense. Ici, ITL et RBH n'ont pas à choisir entre maintenir la confidentialité imposée par le contrat et avoir à leur disposition la preuve appropriée afin de jouir d'une défense pleine et entière. Dans le présent cas, le litige vise l'application de l'exécution provisoire et plus précisément, le préjudice dont ITL et RBH disent avoir souffert en raison de cette ordonnance. L'information que ITL et RBH cherchent à mettre sous scellés est de l'information leur appartenant qu'ils ont produite en preuve afin d'établir le préjudice qu'ils ont subi en raison de l'exécution provisoire. Pour ce qui est de la première branche du test de Sierra, il n'y a pas de principe général en jeu en maintenant la confidentialité de l'information en cause. Ainsi, il n'y a pas d'intérêt commercial important en jeu. Le présent cas concerne des parties privées ne désirant pas dévoiler les informations financières qu'elles soumettent pour appuyer leur thèse. Elles invoquent leur milieu compétitif. Or, le préjudice invoqué par ITL est vague. Il fait référence à des secrets industriels ou aux désavantages compétitifs sans établir précisément comment ces intérêts seront touchés négativement par cette divulgation. Même si RBH a établi avec plus de précision les conséquences potentielles de la divulgation de ses états financiers, il ne définit pas de principe général exigeant qu'une ordonnance de confidentialité soit rendue. Les compagnies de tabac ne soulèvent pas l'intérêt public et leur position ne repose pas sur le droit à une audience juste. Cela à lui seul permettrait de rejeter la demande de mise sous scellés, mais en plus, les compagnies de tabac ne réussissent pas la deuxième branche du test. Le principe de la publicité des débats judiciaires est lié au droit à la liberté d'expression. Ces principes sont reflétés dans l'article 13 C.p.c. et l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne. En l'espèce, en ce qui concerne le préjudice allégué, le principe d'ouverture des débats doit recevoir une plus grande importance que n'importe quel intérêt privé plaidé par les compagnies de tabac. Ainsi, les demandes pour mise sous scellés sont rejetées.

Toutefois, les trois compagnies de tabac respectent les critères pour annuler l'exécution provisoire prononcée par le juge du procès. La partie du jugement concernant l'exécution provisoire comporte des faiblesses apparentes commandant notre intervention. Invoquer les délais comme motif à l'origine de l'exécution provisoire ne résiste pas à l'analyse. Il est vrai que cela a pris 17 ans pour obtenir un jugement de première instance. Toutefois, les appelants ont décidé de mettre de côté leur demande d'obtenir l'exécution provisoire sur la base de l'abus de procédure et de demander plutôt l'exécution provisoire en vertu de l'avant-dernier paragraphe de l'article 547 C.p.c. Pour ce qui est du délai de six ans auquel le juge fait référence, il n'a aucun fondement probant. La Cour a connaissance judiciaire des statistiques publiées sur son site Internet et précisément, du fait que les causes civiles comme celles en l'espèce sont entendues dans les 12 mois de la production des mémoires d'appels. Le délai de six ans est particulièrement exagéré, surtout si l'on considère la possibilité de la voie accélérée. Si les délais d'appel suffisaient à eux seuls à remplir le critère de l'article 547 C.p.c., alors l'exécution provisoire deviendrait la norme. Par ailleurs, le juge a estimé que le présent cas est exceptionnel, ce qui n'est pas faux en regard de son ampleur en fonction du quantum de la réclamation et du nombre potentiel des membres du groupe. Toutefois, il doit exister un lien entre les circonstances exceptionnelles et l'exécution provisoire. Or, ici, les circonstances exceptionnelles ne permettent pas l'exécution provisoire. L'ordonnance sujette à l'exécution provisoire a trait uniquement aux dommages punitifs et moraux. Le montant des dommages et même le degré d'impact sur les membres (sans parler de la société québécoise en général) commandent également de faire que l'appel soit décidé avant l'exécution du jugement entrepris. Qui plus est, le fait que le jugement soit porté en appel ne causera pas de préjudice sérieux ou irréparable aux intimés. Les dommages qui ont été causés ne sont pas dus -- et ne seront pas aggravés -- à ce point dans le processus judiciaire, particulièrement si l'appel est géré adéquatement. Nous ne sommes pas sans empathie pour les membres potentiels qui peuvent décéder d'une maladie liée au tabac avant d'être indemnisés. Le juge de première instance pourrait avoir un argument valable en ce que cela représente un préjudice sérieux, mais, malheureusement, la loi relative aux recours collectifs fait que le bénéfice d'une ordonnance d'exécution provisoire obtenu par les membres potentiels est discutable. Sur une base strictement légale, l'on peut se demander si l'exécution provisoire est carrément incompatible avec les recours collectifs de manière à ce que les articles 547 à 551 C.p.c. soient inapplicables en vertu de l'article 1051 C.p.c. L'article 1030 C.p.c. édicte que ce n'est qu'après que le jugement aurait acquis l'autorité de la chose jugée que le processus pour qu'un membre présente sa réclamation débute. La question de savoir si le législateur a voulu requérir que le jugement soit final dans le sens que le processus d'appel soit terminé (« passé en force de chose jugée »), ou simplement obligatoire entre les parties (« autorité de chose jugée ») n'a pas à être décidée ici parce que l'appel suspend l'effet de l'autorité de la chose jugée et qu'il empêche les jugements d'acquérir la force de la chose jugée. En outre, cela constitue certainement un défi que d'exécuter un jugement quand les bénéficiaires n'ont pas encore été identifiés de façon appropriée même si l'article 1031 C.p.c. prévoit que le tribunal peut déterminer le montant dû par le débiteur du jugement en dépit du fait que l'identité de chaque membre n'est pas encore établie. Le dépôt du montant approprié apparaît en droit comme étant la première étape de l'exécution du jugement en recours collectif, comme le prévoit l'article 1032 C.p.c.

À part une possible exception, soit la cause Comartin c. Bordet sur laquelle s'est appuyé le juge du procès, les appelants n'ont produit aucun jugement accordant l'exécution provisoire dans un recours collectif. Toutefois, dans Comartin, l'exécution provisoire était un ordre de déposer une portion des dommages accordés, soit 50 000 $, au protonotaire pendant l'appel sans aucune discussion de la possibilité en droit d'ordonner l'exécution provisoire. Puisque la cause n'a pas été portée en appel, la Cour n'a pas examiné cette question. L'ordonnance rendue dans cette cause ressemble plus à une sûreté qu'à une exécution provisoire. En l'espèce, l'impact des articles 1030 et 1051 C.p.c. pose une question sérieuse qui ne semble pas avoir été considérée par le juge du procès, mais qui ne demande pas d'être tranchée par cette cour afin de régler le présent litige étant donné les autres motifs énoncés dans le présent arrêt.

Au vu de ce qui précède, il y a des difficultés légales et pratiques liées à la distribution aux membres sur une base provisoire. En outre, l'article 1035 C.p.c. prévoit que les frais de justice sont colloqués en premier. Or, l'exécution provisoire ne peut être ordonnée quant aux dépens en vertu de l'article 548 C.p.c. Les honoraires des avocats des intimés seraient colloqués au deuxième rang après les frais de justice et avant les réclamations des membres. Toutefois, le paiement provisoire des frais de justice n'est pas justifié par le désir du juge d'octroyer une certaine indemnisation aux membres durant leur vie. L'exécution provisoire comme un remède quant aux frais de justice n'a pas de fondement légal selon le dossier tel que constitué. Le juge fait référence à un soutien fourni par le Fonds d'aide aux recours collectifs, mais y a-t-il d'autres financements qui étaient disponibles ? Est-ce qu'un financement est possible durant l'appel ? Quelles sont les ententes d'honoraires ? Il n'y a aucune réponse à ces questions dans le dossier. Ainsi, le jugement comporte une faiblesse en accordant l'exécution provisoire de plus de 1 milliard de dollars, en considération de la possibilité de supporter les frais du litige à venir sans l'appui d'une preuve. Une preuve précise est requise comme motif soutenant l'exécution provisoire.

Une autre faiblesse importante réside dans le fait que le juge n'a pas abordé l'hypothèse où les appelants auraient gain de cause. Les motifs d'appels sont loin de n'avoir aucune chance de succès en appel, de sorte que cette hypothèse doit être abordée. Le juge a ordonné aux appelants de payer le dépôt initial à leurs avocats en fidéicommis, étant d'avis qu'il est ouvert à la possibilité de distribuer certains montants immédiatement. Or, si rien n'est distribué, il n'en résultera aucun bénéfice pour les membres. Dans un tel cas, le dépôt servira comme une sûreté pour une telle exécution, mais la sûreté n'est pas en litige. Sauf si elle est accompagnée de certaines garanties par les intimés, la possibilité de remboursement fait que l'ordonnance d'exécution provisoire souffre d'une faiblesse apparente. Compte tenu du montant visé par l'exécution provisoire, il faudrait une preuve précise de la capacité de fournir une telle sûreté afin de donner suite à cette ordonnance. Alors que les juges de notre cour ont rendu des ordonnances d'exécution provisoire de dommages matériels dans des circonstances exceptionnelles, de telles ordonnances ont été rendues lorsque le besoin de fonds a été démontré et que l'exécution provisoire était accompagnée d'une sûreté pour le remboursement. Dans aucun cas, il ne s'agissait de recours collectifs.

Pour ce qui est de la distribution potentielle que le juge a envisagée, le montant total du jugement dans le cas Létourneau a trait à des dommages punitifs. Le juge a statué qu'aucuns dommages punitifs ne seront jamais distribués aux membres en raison de la disproportion entre le montant dû par membre et le coût de la distribution. Alors qu'aucune distribution n'aura lieu, il n'y a pas de base légale pour considérer l'exécution provisoire d'une telle distribution. Bien que non mentionnée par le juge, cette logique pourrait s'appliquer aux 30 000 $ de dommages punitifs auxquels les appelants ont été condamnés dans le dossier Blais. Dans de telles circonstances, la seule justification pour l'exécution provisoire, comme le juge l'a lui-même reconnu, est qu'il est grand temps que les compagnies de tabac paient pour leurs péchés (« sins »). Toutefois, l'existence de tels péchés est sub judice devant la Cour d'appel. Cette faiblesse commande notre intervention.

Similairement, le dépôt provisoire de la condamnation dans le dossier Blais, bien que compris dans les dommages moraux en addition des dommages punitifs, n'est toutefois pas destiné à indemniser pour des dommages matériels. Le bénéfice réel pour les membres est négligeable. Il reste la question difficile du remboursement si les appelants ont gain de cause en appel. Cela constitue un préjudice en soi pour les appelants. La nécessité potentielle de demander le remboursement de 10 000 $ pour chacun des 100 000 membres représente un préjudice évident.

Les déclarations sous serment de ITL et RBH indiquent qu'un paiement dans les 60 jours du jugement leur cause un préjudice financier sérieux. La preuve administrée démontre un impact significatif chez les appelants en dépit qu'ils soient profitables et saisissables. Dans le cas de JTM, sa portion des 142 530 000 $ excède ses avoirs annuels avant les intérêts, les taxes et autres dépenses et est en excès de 5,1 M$ par rapport à ses liquidités disponibles. La portion de 246 030 000 $ de RBH excède ses liquidités projetées à la fin de juillet par 125 M$. La part de ITL de 742 530 000 $ équivaut approximativement au double de ses profits annuels et excède grandement ses liquidités et la disponibilité du crédit pour payer cette somme.

Un préjudice sérieux a été tenu pour suffisant pour annuler l'exécution provisoire lorsque son effet est de nier le droit d'appel. Au moins, cela semble le cas de JTM et ITL à la vue de leurs déclarations sous serment. Le juge a basé ses calculs de la capacité des appelants de payer sur les avoirs historiques et bilans. Il n'a manifestement pas examiné les liquidités et les facilités de crédit telles que décrites par les déclarations sous serment.

Compte tenu de l'absence ou du bénéfice négligeable pour les membres de l'ordonnance d'exécution provisoire et compte tenu du préjudice causé aux appelants s'ils doivent payer ces montants, la prépondérance des inconvénients favorise les appelants et l'exécution provisoire doit être annulée.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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