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La Cour d’appel, après avoir conclu à l’apparence de partialité du juge et à l’absence de refus catégorique du patient, clarifie les principes relatifs aux soins médicaux en établissant une grille d’analyse

Résumé de décision extrait de La référence : D. (F.) c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria), EYB 2015-254052 (C.A., 6 juillet 2015)
Résumé de décision extrait de La référence

Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne. Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité. Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu'en soit la nature. Contraindre une personne à demeurer là où elle ne veut pas rester et à ingurgiter ou se voir administrer, contre son gré, des médicaments, c'est porter atteinte à ses droits fondamentaux, à sa liberté et à l'intégrité de sa personne. Une telle intervention n'est possible que lorsque permise par la loi, ce que le juge ou le tribunal ne peut déterminer qu'à la suite d'un examen structuré et rigoureux de la situation, selon les prescriptions de la loi et dans le plus grand respect des droits de cette personne. L'appelant se pourvoit contre un jugement le reconnaissant inapte à consentir aux soins requis par son état de santé et qui autorise l'intimé à mettre en œuvre, malgré le refus de l'appelant et contre son gré, un plan de soins comportant deux volets, pour trois ans : le placement de l'appelant dans une ressource et l'administration de médicaments. Or, les trois moyens d'appel sont fondés et commandent que le dossier soit retourné en première instance pour que la Cour supérieure le traite à nouveau.

Quant au premier moyen d'appel, il est acquis que le rejet d'une demande de remise relève de la gestion d'instance. Ainsi, en règle générale, la Cour fait preuve d'une grande déférence et refuse d'intervenir puisque la loi accorde aux juges gestionnaires de larges pouvoirs discrétionnaires pour assurer le déroulement sain et serein des débats dont ils sont saisis. Ce n'est qu'en présence d'une situation où il lui paraît que la discrétion n'a pas été exercée judiciairement que la Cour intervient. Or, c'est le cas en l'espèce. Le juge a refusé la remise essentiellement pour des motifs d'efficacité et afin d'éviter à l'avocat de l'intimé, ainsi qu'au psychiatre et aux autres préposés de l'intimé présents ce jour-là, de se présenter de nouveau à une date ultérieure. L'intention est certes louable, mais le résultat qui en découle est inacceptable. En effet, s'il est requis qu'un juge se préoccupe de l'usage raisonné et raisonnable des ressources judiciaires et médicales ainsi que du temps que doivent consacrer les témoins appelés à collaborer à l'administration de la justice et de leurs contraintes, jamais une telle préoccupation ne justifiera que les droits de la personne vulnérable dont on envisage de compromettre les droits fondamentaux que sont la liberté et l'inviolabilité de sa personne en souffrent. Si l'article 776 C.p.c. prévoit qu'une demande relative à une autorisation de soins doit être entendue le jour de sa présentation [qui ne peut être fixée, sauf urgence, moins de cinq jours après sa signification], il énonce également que le tribunal ou le juge peut en décider autrement. Le Code impose à la magistrature une obligation de disponibilité, dans une matière jugée prioritaire, sans plus. En tout état de cause, l'option de reporter l'audition à une autre date demeure. En ce sens, le juge garde à l'esprit la nature de la demande dont il est saisi et le droit de chacun, « en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle ». L'on sait que l'intimé a signifié sa requête le 13 mars 2015 avec une date de présentation au 18 mars 2015, 14 h 15 : le délai minimum de cinq jours n'aurait donc pas été respecté. Cela dit, comme cet argument n'a été ni proposé au juge de première instance ni plaidé devant nous, la Cour n'en traitera pas.

Disons simplement qu'en légiférant de la sorte, le législateur balise un temps de réaction minimum qu'il estime devoir donner, sauf preuve d'urgence, à ceux qui sont concernés. Voilà donc un premier facteur que le juge ne pouvait ignorer, dans le contexte de la présente affaire, alors que son jugement est rédigé en langue anglaise, alors que la personne concernée [manifestement estimée vulnérable par l'intimé] ne parle ni ne comprend cette langue. Cette seule constatation militait en faveur d'un jugement accordant la remise.

Mais il y a plus. En l'espèce, eu égard aux faits du dossier, aux réponses obtenues à la suite de questions adressées à la conjointe de l'appelant ainsi qu'aux observations de l'avocate de ce dernier, le juge ne pouvait ignorer : 1) que l'appelant avait choisi d'être représenté et de contester la requête; 2) que la conjointe était « tourmentée » par la situation; 3) que l'appelant et sa conjointe n'avaient eu que très peu de temps pour réagir à la suite de la signification de la requête; 4) que les seules informations qui leur avaient été communiquées étaient rédigées dans une langue autre que la leur; 5) qu'il n'y avait aucune urgence à procéder puisque l'intimé avait attendu plus d'un mois pour signifier et présenter sa requête depuis le jour où le rapport du Dr Tourian avait été signé, soit le 10 février 2015, d'autant plus qu'un jugement de garde en établissement était en vigueur jusqu'au 21 mai 2015; 6) que l'avocate de l'appelant ne demandait que cinq semaines de façon à requérir et obtenir le dossier médical de son client (notamment toute mise à jour depuis le 10 février 2015, date du rapport du Dr Tourian) et à consulter, au besoin, un expert de leur choix; 7) qu'il était hors de question de pouvoir exécuter le mandat confié et accepté par l'avocate de préparer et présenter une contestation sérieuse de la requête sans que de telles démarches soient possibles et effectuées et 8) qu'un report de cinq semaines de la date d'audition permettait de toute manière la présentation de la requête bien avant l'échéance du jugement de garde en établissement en vigueur jusqu'au 21 mai 2015.

Accorder la remise demandée s'imposait. Ce seul moyen suffit à accueillir l'appel. Toutefois, il convient de traiter des deux autres moyens soulevés par l'appelant.

Le deuxième moyen d'appel est accueilli. En effet, certains propos tenus par la juge ont une apparence de partialité. Une personne sensée, raisonnable et bien renseignée, non tatillonne, ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme et qui étudie la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, retiendrait que le juge est convaincu de l'issue de l'affaire dès le départ et que cette conviction acquise fait obstacle au contrôle de la légalité de l'autorisation recherchée auquel il est pourtant tenu de se livrer.

Le troisième moyen d'appel a trait à la violation de la loi. À cet égard, la Cour établit la grille d'analyse suivante, dont le juge ne doit franchir chaque étape qu'après avoir répondu à celle qui précède dans le sens qu'exige la loi en conservant à l'esprit que le fardeau repose toujours sur la partie requérante. La première étape concerne la compétence.

Le juge ou le tribunal ne peut intervenir que s'il est compétent à le faire. Il doit donc, dans une première étape, vérifier s'il est en présence des deux conditions essentielles à l'existence de cette compétence : (1) inaptitude à consentir et (2) refus catégorique. Si l'une ou l'autre de ces conditions fait défaut, il n'a d'autre choix que de rejeter la demande. Il doit premièrement déterminer si la personne majeure est apte à consentir en répondant aux cinq questions suivantes : A) Comprend-elle la nature de la maladie pour laquelle un traitement lui est proposé? B) Comprend-elle la nature et le but du traitement? C) Saisit-elle les risques et les avantages du traitement si elle le subit? D) Comprend-elle les risques de ne pas subir le traitement? et E) Sa capacité de comprendre est-elle affectée par la maladie? Le juge doit ensuite aborder la question du refus catégorique : la personne majeure refuse-t-elle les soins pour lesquels l'ordonnance est recherchée? Ce n'est qu'en présence d'une preuve de refus catégorique que le juge peut intervenir, le cas échéant. Si le traitement visé par l'ordonnance recherchée n'a pas encore été offert, envisagé et discuté, il ne peut être question de refus catégorique évidemment.

Ce n'est que s'il conclut qu'il possède la compétence d'agir aux termes de l'article 16 C.c.Q. que le juge ou le tribunal peut passer à la seconde étape, celle de l'exercice de la compétence en vertu de l'article 12 C.c.Q. Que l'affaire soit ou non contestée, il doit alors se livrer minutieusement à tout l'exercice qui suit (se rappelant toujours que, ce faisant, il exerce un choix pour autrui). Il ne peut déléguer cette responsabilité alors que le législateur a choisi de la lui confier plutôt qu'aux intervenants du monde médical. Cela ne signifie pas, évidemment, que le juge ou le tribunal « joue au docteur ». Son rôle n'est pas d'identifier quels seraient les soins que la personne devrait recevoir (tâche qui relève des intervenants du monde de la santé et non du judiciaire). Il se limite au contrôle de la légalité du plan de soins proposé selon les critères énoncés à l'article 12 C.c.Q. Pour ce faire, il doit donc questionner les divers intervenants et obtenir les réponses destinées à l'éclairer. Sa tâche peut se révéler plus exigeante en présence d'un dossier non contesté, puisqu'il ne peut alors compter sur une preuve ou sur la plaidoirie que pourrait présenter l'avocat représentant la personne visée. Il doit alors se demander si les soins sont requis et, le cas échéant, décrits avec suffisamment de précision. Pour cela, l'ordonnance recherchée doit viser des soins effectivement requis (et non ceux qui pourraient l'être) : 1) dans le seul intérêt de cette personne; 2) en tenant compte, dans la mesure du possible, des volontés que cette dernière a pu manifester et 3) et qui sont opportuns dans les circonstances. La « commodité pour le milieu médical ou hospitalier » n'est pas un critère pertinent, malgré toutes les contraintes avec lesquelles il doit composer, le cas échéant, et 4) Le caractère coercitif d'une telle ordonnance nécessite d'en fixer les paramètres : ainsi, l'ordonnance ne peut pas être rédigée ni largement ni de façon imprécise. Le juge doit également se demander si les effets bénéfiques à retirer dépassent les effets néfastes en se posant les sous-questions suivantes : A) Quels sont les effets bénéfiques? B) Quels sont les risques liés aux soins proposés? C) Les risques sont-ils hors de proportion avec les effets bénéfiques qu'on en espère? et D) Les soins sont-ils opportuns dans ces circonstances?

Le juge doit également déterminer la durée de l'ordonnance, le cas échéant. Pour cela, il doit étudier les facteurs présentés au soutien de la durée, même en l'absence de contestation ou de contre-expertise, et n'accorder l'ordonnance que pour la période suffisante pour s'assurer que le traitement produise les effets bénéfiques escomptés. Une ordonnance de soins ne doit pas avoir une durée indéterminée, à supposer même que la preuve révèle que l'état va nécessairement perdurer. Le juge doit de plus se demander si, au-delà de l'autorisation d'administrer le plan de soins et de sa durée, d'autres conclusions sont recherchées. Si oui, peut-il et doit-il les accorder dans les circonstances, telles que rédigées ou modifiées, après amendement.

Dans le cas à l'étude, quant à la première étape décrite à cette grille d'analyse, présumant que le juge ait pu conclure à l'inaptitude de l'appelant aux termes de la preuve dont il disposait (ce sur quoi la Cour n'exprime aucun avis cependant) en vue de franchir la première condition essentielle attributive de compétence, il aurait tout de même dû rejeter la requête quant à la demande d'administration de médication en raison de l'absence de la seconde condition essentielle, le refus catégorique. Il n'avait aucune compétence pour poursuivre son analyse.

Quelques mots doivent être dits au sujet de la conclusion recherchée au sujet de l'administration d'antipsychotiques. La preuve révèle non seulement que ces soins ne sont pas requis au moment de la demande, mais également qu'ils ne seraient pas bénéfiques à l'appelant. Impossible, alors, de satisfaire aux conditions exigées à l'article 12 C.c.Q.

Enfin, le juge n'a aucunement motivé sa décision malgré les arguments plaidés et la preuve administrée alors qu'il était tenu de le faire. Force est de conclure que, dans le contexte du déroulement de l'audience, les quelques considérants énoncés au jugement dont appel ne sauraient répondre aux exigences minimales de motivation.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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