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La Cour prononce une injonction interlocutoire visant à empêcher des militants pro-vie de manifester devant des cliniques où sont pratiquées des interruptions volontaires de grossesse

Résumé de la décision 9070-8058 Québec inc. c. Campagne Québec-vie, EYB 2015-255718 (C.S., 19 août 2015)
La Cour prononce une injonction interlocutoire visant à empêcher des militants pro-vie de manifester devant des cliniques où sont pratiquées des interruptions volontaires de grossesse

Une injonction interlocutoire est demandée afin d'interdire aux défendeurs de manifester contre les interruptions volontaires de grossesse (IVG) près des cliniques où sont pratiquées les interventions critiquées. L'ordonnance recherchée vise à encadrer le droit de manifester des membres et sympathisants de l'organisation à but non lucratif Campagne Québec-Vie (Québec-Vie). La requête est donc dirigée contre Québec-Vie et contre Brian Jenkins, l'employé et vice-président de l'organisation. Les demanderesses sont un regroupement composé des entreprises exploitant les cliniques visées et des propriétaires louant des espaces de bureau à ces entreprises. Pour leur part, les défendeurs maintiennent avoir un droit de manifester se caractérisant par l'exercice de leur liberté de conscience et de religion.

Les demanderesses s'opposent avec raison au dépôt de trois affidavits par les défendeurs. Un affidavit circonstancié est soumis à la règle de la pertinence au même titre que tout autre témoignage rendu à l'oral. La pertinence se caractérise par le fait de démontrer l'existence ou l'absence d'un fait en litige. Le fait que certaines femmes soient ou non aidées par les défendeurs n'a aucune incidence réelle sur le présent litige. La preuve que certaines femmes ont pu être traumatisées par un IVG subi dans le passé n'est pas plus pertinente. L'affidavit du Dr Ney concernant les risques reliés à un IVG n'apporte rien de déterminant au débat. En conséquence, l'objection à la preuve est maintenue et les trois affidavits ne sont pas pris en compte.

Les défendeurs formulent une objection préliminaire, invoquant que les demanderesses ne présentent pas leur recours avec les mains propres. D'entrée de jeu, il faut souligner que cette théorie des mains propres n'est pas communément admise en droit québécois. Par ailleurs, il faut tout de même qu'il y ait un lien entre le reproche formulé et la nature du recours civil entrepris. Dans les faits, les défendeurs soutiennent que les cliniques parties au litige agissent contrairement à l'article 8 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Les défendeurs plaident que ces cliniques n'informent pas les patientes des solutions alternatives à une interruption volontaire de grossesse. Toutefois, la théorie des mains propres n'a aucune pertinence, puisque l'objet du litige ne porte pas sur la qualité des soins de santé offerts.

Les critères requis pour l'octroi d'une injonction interlocutoire sont les suivants : l'apparence de droit, le préjudice sérieux ou irréparable et la balance des inconvénients. En l'espèce, l'ensemble des demanderesses a un droit clair aux conclusions recherchées. Les propriétaires des immeubles et leurs locataires ont indubitablement un droit à la libre jouissance du bien. En tant qu'employeurs, les cliniques ont le droit de pouvoir assurer un milieu de travail sain et sécuritaire à leurs employés. De plus, les clientes des cliniques ont assurément droit à la protection de leur vie privée et de leur dignité. Elles ont également le droit de bénéficier de soins de santé personnalisés et adéquats.

Certes, le présent litige met en lumière une confrontation entre différents droits. Les défendeurs ont aussi un droit à la liberté de religion et de conscience. Évidemment, les droits des uns s'arrêtent où commencent ceux des autres. Dans cette perspective, les droits prévus aux articles 1 à 9 de la Charte des droits et libertés de la personne s'exercent les uns par rapport aux autres.

Les faits révèlent la présence d'un préjudice sérieux. Certaines clientes des cliniques subissent un stress important pouvant être source de douleurs accrues et de complications, lors des soins prodigués. La dégradation du milieu de travail des employés des cliniques cause aussi à ces derniers un préjudice sérieux. Finalement, le fait d'être empêché de jouir paisiblement des immeubles occasionne un préjudice sérieux aux propriétaires et aux entreprises exploitant les cliniques.

La balance des inconvénients penche en faveur de la position des demanderesses. Il appert que les demanderesses subiront davantage d'inconvénients comparativement aux défendeurs, si l'injonction interlocutoire n'est pas accordée. Il y a lieu de prononcer l'injonction demandée de manière à encadrer le périmètre où les défendeurs pourront manifester selon leurs opinions.

Lors de l'ordonnance d'une injonction interlocutoire, l'article 755 C.p.c. confirme que le cautionnement doit être fourni, en règle générale. Une exemption ne sera octroyée qu'en présence de circonstances exceptionnelles. Compte tenu du fait que le droit des défendeurs est seulement balisé, il y a lieu de dispenser les défendeurs de fournir un cautionnement.

La requête est accueillie et une ordonnance d'injonction interlocutoire est rendue. Il est ordonné aux défendeurs de ne pas manifester à l'intérieur du quadrilatère où se trouvent les cliniques. Il est également ordonné aux défendeurs de ne pas intimider de quelque façon que ce soit les patientes, employés et agents des demanderesses ou de tout autre personne se trouvant à proximité des immeubles des demanderesses. La signification du jugement est autorisée en dehors des heures légales et des jours juridiques.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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