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L’arrêt des procédures judiciaires entreprises contre Nathalie Normandeau, Marc-Yvan Côté et leurs quatre coaccusés est ordonné.

Côté c. R., C.Q., 25 septembre 2020.
L’arrêt des procédures judiciaires entreprises contre Nathalie Normandeau, Marc-Yvan Côté et leurs quatre coaccusés est ordonné.

Le 26 mars 2018, un premier jugement sur une requête en arrêt des procédures pour délai déraisonnable a été rendu dans la présente affaire. Depuis, des incidents ont fait en sorte que le stade de la présentation de la preuve sur le fond n'a pas débuté. Les accusés présentent de nouvelles requêtes en arrêt des procédures pour délai déraisonnable. Il s'agit de décider si leur droit d'être jugé dans un délai raisonnable garanti par l'al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés a été ou sera violé.

D'emblée, la décision rendue le 26 mars 2018 sur la première requête en arrêt des procédures pour délai déraisonnable peut être réexaminée puisque les circonstances ont changé depuis cette date.

La preuve démontre que le ministère public a pris des décisions raisonnables et responsables lorsqu'il s'est agi de poursuivre. Il a été démontré que peu importe ce qui aurait pu justifier de devancer les arrestations des accusés, le ministère public était prêt, avec un plan concret, un échéancier et une stratégie. On ne peut non plus reprocher au ministère public d'avoir réuni les accusés dans un même dossier. Les reproches adressés au ministère public ne sont donc pas justifiés.

Le délai total entre la délivrance des mandats d'arrestation le 16 mars 2016 et la fin de la présentation de la preuve lors du procès, que l'on ne prévoit raisonnablement pas avant la fin du mois de janvier 2021, est de 58 mois et demi. Aucun problème systémique n'est évoqué pour justifier une partie de ce délai. Les délais attribuables à la défense qui ont été identifiés dans la décision du 26 mars 2018 sont de 49 jours. Le délai net est donc d'un peu moins de 57 mois. Il incombe au ministère public de démontrer que des circonstances ou des événements exceptionnels expliquent le dépassement du plafond (18 mois).

Le dépôt de l'acte d'accusation direct peut être qualifié d'événement distinct. Il permet de réduire le délai de la période comprise entre son dépôt le 28 mai 2017 et la fin de l'enquête préliminaire qui était prévue pour la mi-juin. Cet événement distinct fait donc passer le délai de 57 mois à un peu moins de 56 mois.

Par ailleurs, si la mauvaise estimation de la durée des procédures ou d'un procès peut être considérée comme un événement distinct, dans la présente affaire, il faut remonter à la source pour comprendre pourquoi cela s'est produit. Or, lorsqu'on examine l'affaire dans son ensemble, l'on constate que cela s'est produit parce qu'on a fait fuir de la preuve obtenue dans un contexte d'atteinte de vie privée. Et ces fuites ne peuvent être qualifiées d'événements exceptionnels distincts.

Dans le présent dossier, l'entité policière savait ou aurait dû savoir que la découverte des fuites et le véritable mandat du Projet A, advenant qu'il soit découvert, allaient entraîner un délai en raison du déclenchement pratiquement inévitable d'une autre enquête policière et de la complexité de la divulgation de la preuve qui allait en découler. Le ministère public n'a pas été passif dans l'obtention des renseignements pertinents. Il a même été assez proactif. Il a toutefois été dupé. En outre, le ministère public a bien tenté d'atténuer le délai tout en divulguant ce qu'il apprenait à la pièce, mais il ne peut parer à la responsabilité de ceux qui sont responsables. L'UPAC et les enquêteurs du Projet A devaient remettre au ministère public les renseignements qu'ils détenaient parce que les fuites étaient liées à l'enquête et qu'il était raisonnable de penser qu'une telle inconduite risquait d'avoir des répercussions. Le fait que les fuites ne visaient que certains des coaccusés ne change rien. Ceux qui ont orchestré ces fuites, y ont participé et ont contribué à en protéger les auteurs devraient ou auraient dû savoir que les délais qui allaient découler de leurs gestes allaient compromettre le droit de tous les coaccusés d'être jugés dans un délai raisonnable.

Le bras exécutif de l'État a aussi réagi adéquatement en déclenchant l'enquête Serment et en lui attribuant les ressources nécessaires, mais force est de constater que lui aussi a été dépassé par la situation provoquée. Il se peut fort bien que l'enquête Serment évolue et que la preuve diffère à moyen ou à long terme, mais l'on ne peut spéculer. Il faut s'en tenir à la preuve actuellement disponible aux fins de déterminer si le délai est raisonnable.

Les appels interlocutoires logés à la Cour supérieure du Québec, à la Cour d'appel du Québec puis à la Cour suprême du Canada auraient pu être qualifiés d'événements distincts s'il s'avérait qu'ils ont été la raison expliquant une partie du délai. Mais il n'en est rien. Ce sont plutôt les constats troublants de l'enquête Serment qui ont poussé le ministère public à demander deux ajournements parce qu'il constatait que la trame factuelle qu'il avait soutenue et sur la base de laquelle la preuve avait été administrée et les décisions judiciaires avaient été rendues n'était plus soutenable. Il y a lieu de conclure que la saga judiciaire entourant les appels interlocutoires prend sa source dans les fuites. Encore là, le ministère public a bien tenté d'atténuer le délai, mais il a dû se contenter d'être à la remorque des inconduites policières.

Dans un autre ordre d'idées, l'événement exceptionnel distinct que constitue la COVID-19 a figé dans le temps l'audience de la présente requête entre le 16 mars 2020 et le 21 juillet 2020. Cela réduit le délai net à 52 mois.

Quant à la complexité globale de l'affaire, elle pourrait expliquer un certain dépassement du plafond, mais pas celui dont il est question ici. N'eût été les fuites et l'enquête bidon du Projet A, le procès serait fort probablement terminé depuis l'été 2018. Ces fuites subsument la complexité de l'affaire qui aurait, sans cela, justifié un certain dépassement du plafond.

En ce qui concerne la mesure transitoire exceptionnelle, elle ne trouve pas application. Rien de ce qui concerne le délai écoulé avant l'arrêt Jordan n'était conforme à l'époque, et ne l'a plus été à compter du 8 juillet 2016.

En conclusion, le droit des accusés d'être jugés dans un délai raisonnable a été violé. L'arrêt des procédures est donc ordonné.

Une dernière remarque s'impose. Les conséquences du jugement du public pèsent souvent plus lourd chez les personnes poursuivies que les décisions judiciaires rendues, qu'elles soient favorables ou non à ces personnes. Il s'en trouvera probablement certains pour clamer la chance qu'ont les accusés d'échapper ainsi à une condamnation, d'autant plus que certains d'entre eux sont des personnalités plus publiques que d'autres. Ceci est injuste. Les accusés sont dorénavant, sous réserve que le présent jugement fasse l'objet d'un appel, libres de toute accusation relative à ce qui leur était reproché. Ils sont donc tout aussi innocents que n'importe qui.

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