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Le recours en abus basé sur les articles 51 et suivants du Code de procédure civile ne peut viser que les parties, et non leurs procureurs

Place Dupuis Fiducie commerciale c. Locations Saint-Cinnamon inc., EYB 2016-269876 (C.Q., 29 juillet 2016)
Le recours en abus basé sur les articles 51 et suivants du Code de procédure civile ne peut viser que les parties, et non leurs procureurs

Le tribunal est saisi d'une demande d'irrecevabilité partielle pour absence de fondement juridique selon l'article 168 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile (n.C.p.c.), proposée par les avocats de Place Dupuis Fiducie commerciale (Place Dupuis), la firme Péloquin Kattan inc. L'irrecevabilité proposée a trait à une conclusion contre ces avocats incluse dans une procédure intitulée « Motion to institute proceedings to intervene and demand for award due to abuse » (la Requête). L'instance est actuellement suspendue par les effets d'un jugement du juge Piazza en raison de l'identité des points de droit et de fait soulevés dans une autre instance devant la Cour supérieure introduite par l'intervenante 9267-4084 Québec inc. (Québec inc.) dans le dossier no 500-17-093973-165. Les droits des avocats de présenter la présente requête contre Québec inc. ont été réservés par le juge Piazza.

La Requête relate comment Québec inc. a été exclue des procédures en résiliation de bail et expulsion du locataire et des occupants d'un lieu qu'elle occupe actuellement en tant que sous-locataire. Québec inc., qui avait originellement été partie dans le recours contre la locatrice Locations Saint-Cinnamon inc., a été portée hors de cause par un désistement, mais, après jugement, elle a obtenu la rétractation du jugement en se portant demanderesse en rétractation, et ce, par jugement de la juge Emmanuelle Saucier.

Dans la Requête, Québec inc. allègue que « the Plaintiff's choice of proceeding against the Intervenant in the manner it did, constitutes abuse and the Intervenant has a right to ask this court to order Plaintiff and its attorney to pay the sum of 40 000 $ extra judicial fees and 50 000 $ punitive damages ». Les conclusions de la Requête comportent aux paragraphes d) et e) ce que le tribunal interprète comme une demande de condamnation solidaire (la phrase employée est « jointly and serverally » (sic)), pour ces deux montants de 40 000 $ et de 50 000 $, « for abusive proceedings ». Le moyen d'irrecevabilité propose que le recours de l'article 51 N.C.p.c. ne vise que les parties à une instance et non leurs procureurs.

Effectivement, la Cour d'appel, en 2010, a émis un obiter dictum consonant avec cette position dans l'affaire N.M. c. P.P. La Cour d'appel écrit qu'il appert de la facture des anciens articles 54.1 à 54.6 C.p.c. (a.C.p.c.) qu'ils ne visent que les parties à une instance. Dans cette affaire, la Cour d'appel a donc rejeté la requête pour faire déclarer les avocats des intimés plaideurs quérulents. La juge Lucie Fournier, dans l'affaire 2765853 Canada inc. c. Bruce Robertson et al., a suivi cet obiter dictum. En 2016, le juge Charles G. Grenier, J.C.Q. a été saisi d'un pourvoi en rétractation de jugement dans l'affaire Tremblay c. Savard. Dans ce pourvoi, le défendeur, Michel Savard, a eu gain de cause dans la rétractation du jugement. Dans le cadre de ce pourvoi en rétractation, le demandeur présentait lui-même une demande contre l'avocat de Savard, soutenant que ce dernier avait commis une faute lui causant un préjudice pécuniaire équivalent aux honoraires professionnels qu'il a dû payer à son avocat pour contrer le pourvoi en rétractation. À cela, le juge Grenier a répondu qu'en ce qui a trait à la possibilité pour le tribunal de condamner une partie à l'instance à payer à titre de frais de justice une compensation pour le paiement des honoraires professionnels de l'avocat de la partie adverse, seul l'article 342 n.C.p.c. vise une telle situation. Selon le juge, à la simple lecture de cet article, l'on peut constater que la compensation en question vise à sanctionner un manquement important constaté dans le déroulement de l'instance et que c'est seulement la partie fautive et non son avocat qui peut être condamnée.

Dans le cas à l'étude, bien que la source statutaire du recours soit différente, c'est le même mot « partie » que l'on retrouvait également à l’article 54.1 a.C.p.c. et qui se trouve maintenant au paragraphe 51 N.C.p.c. qui est interprété de façon limitative pour ne pas inclure la condamnation personnelle de l'avocat d'une partie.

Québec inc. argue que la Cour d'appel dans l'affaire Charland c. Lessard a appliqué les articles 54.1 et 524 a.C.p.c., pour fonder un recours contre l'avocat d'une appelante.

Rappelons que dans l'affaire Charland, un appel a été rejeté par un jugement où la Cour d'appel a réservé sa compétence en vue de déterminer si l'appel devait être déclaré abusif au sens des articles 54.1 et 524 a.C.p.c. et à donner la possibilité à l'appelant de se faire entendre. Par un arrêt du 11 mars 2016, la Cour d'appel a effectivement conclu, après avoir entendu les arguments présentés pour l'appelant par son avocat, que l'appelante avait utilisé la procédure de façon déraisonnable, mais la Cour d'appel conclut que l'appelante ne pouvait pas être condamnée. La Cour écrit qu'il s'avère ici difficile, dans les circonstances particulières de l'affaire, d'imputer à l'appelante l'usage abusif de la procédure d'appel qui découle du choix rédactionnel de ses avocats. Il est par ailleurs impossible pour cette Cour de se prononcer sur les dommages qu'ont pu subir les intimés puisque la preuve au dossier ne permet pas de les fixer. Devant cette impossibilité d'imposer une responsabilité à l'appelante elle-même, la Cour invoque les enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt Young c. Young pour condamner l'avocat solidairement responsable aux dépens accordés aux intimés en appel. Il s'agit des frais qui étaient octroyés en raison du rejet de l'appel.

Dans l'affaire Young, la Cour suprême a maintenu la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique qui a cassé le jugement de première instance qui avait condamné l'avocat de l'intimé aux dépens « comme entre procureur et client ». Les règles procédurales de la Colombie-Britannique comme d'autres provinces canadiennes et dans les procédures de la Cour fédérale permettent que les dépens soient taxés sur la base du véritable coût des honoraires entre procureur et client, une mesure qui diffère de ce qui est prévu au Québec. La Cour suprême confirme qu'il est possible dans certaines circonstances d'imposer des dépens à l'avocat dans des situations limitatives. À cet égard, il appert de la lecture de certains passages de cet arrêt que la compétence d'un tribunal de condamner un avocat aux dépens est basée sur le principe de l'indemnisation et non pas sur celui de la punition. Cependant, l'avocat peut, sur le plan punitif, s'exposer à l'outrage au tribunal et à une condamnation à « des dépens pour outrage au tribunal ». L'on constate également de la lecture des motifs de la Cour d'appel dans l'affaire Charland que ce ne fut pas les paragraphes 54.1 et 524 a.C.p.c. qui étaient la source de la condamnation aux dépens de l'avocat, mais bien une compétence inhérente encadrée par les enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt Young. C'était d'ailleurs des frais taxables auxquels l'avocat était condamné et non pas des honoraires extrajudiciaires et des dommages punitifs, tels que sont demandés dans la Requête en l'espèce.

L'article 342 n.C.p.c. inclut dans les « frais de justice », la compensation pour le paiement des honoraires professionnels comme sanction des manquements importants constatés dans le déroulement de l'instance. Cet article s'ajoute aux pouvoirs de l'article 51 n.C.p.c. de condamner une partie à payer, outre les frais de justice, les dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les débours que celle-ci a engagés ou si des circonstances justifiaient d’attribuer des dommages-intérêts punitifs.

L'affaire Charland c. Lessard ne doit pas être interprétée comme ouvrant la porte à la notion que le mot « partie », aux articles 51 et suivants et à l'article 342 n.C.p.c., inclut l'avocat personnellement. Le législateur a choisi de continuer à employer le mot « partie » dans le nouveau Code de procédure civile dans ces nouveaux articles sachant l'interprétation limitative qui était applicable à ce terme par la jurisprudence en raison de l'arrêt de la Cour d'appel de 2010 dans N.M. c. P.P. et la jurisprudence qui l'a suivi.

La Cour d'appel dans l'arrêt Charland semble plutôt avoir voulu réaffirmer le principe qu'en dehors des sources législatives, les tribunaux ont un pouvoir inhérent de sanctionner l'avocat, non seulement pour outrage au tribunal, mais également pour des frais compensatoires.

Si ce pouvoir découlait des articles 54.1 et suivants a.C.p.c. et maintenant des articles 51 et suivants n.C.p.c., la Cour d'appel l'aurait affirmé expressément en expliquant pourquoi elle modifie la position qu'elle avait prise dans l'arrêt N.M. c. P.P., et ce, sans la nécessité d'invoquer la compétence confirmée dans l'enseignement de la Cour suprême dans l'affaire Young.

Ainsi, les deux conclusions de condamnation contre l'avocat pour honoraires extrajudiciaires et pour dommages punitifs en vertu des articles 51 et suivants n.C.p.c. sont irrecevables en droit, le moyen d'irrecevabilité partielle serait donc accueilli.


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