Invoquant avoir été empêchée de se défendre à cause de diverses circonstances, la défenderesse se pourvoit en rétractation contre un jugement rendu par défaut contre elle le 20 juin 2017. Ce jugement confie au demandeur la garde des quatre enfants nés de l'union des parties et accorde à la défenderesse accès à ceux-ci. Il ordonne en outre à la défenderesse de payer au demandeur 11 000 $ à titre de pension alimentaire rétroactive pour les enfants ainsi qu'une pension de 611,37 $ par mois à compter de la date du jugement. À l'étape de la présentation du pourvoi, le tribunal estime que le motif de rétractation invoqué est suffisant pour remettre les parties en l'état et suspendre l'exécution du jugement. Ce faisant, il ne rétracte pas le jugement. L'instance originaire se poursuivra et le juge chargé d'instruire l'affaire se prononcera sur le bien-fondé du pourvoi et, le cas échéant, sur la demande pour garde d'enfants et pension alimentaire.
Le déroulement de la procédure du pourvoi est prévu aux articles 347 et 348 C.p.c. Selon les Commentaires de la ministre de la Justice, ces articles reprennent pour l'essentiel le droit antérieur. On note toutefois qu'à la différence de l'article 484 a.C.p.c., le pourvoi en rétractation n'est plus présenté à un juge pour réception. De même, l'article 348 C.p.c. prévoit la suspension de l'exécution du jugement, mais ne précise pas que c'est du moment où le pourvoi est reçu (article 485 a.C.p.c.). Certains juges voient dans ces différences la suppression de l'étape de la réception et considèrent que l'adjudication sur le motif de rétractation doit se faire lors de la présentation du pourvoi, encore que le tribunal peut, si les circonstances s'y prêtent, se prononcer en même temps sur la demande originaire. D'autres juges sont d'avis que le premier alinéa de l'article 348 C.p.c. « correspond à la réception de la requête comme il était d'usage sous l'ancien Code de procédure civile ». Cette divergence d'interprétation n'est pas sans conséquence sur le fardeau qui incombe à la partie demanderesse lors de la présentation du pourvoi. Si cette étape correspond à la réception de la requête comme sous l'a.C.p.c., la partie demanderesse n'a qu'un fardeau de démonstration. Il lui suffit d'établir la recevabilité de sa demande quant au délai, au motif de rétractation et aux moyens de défense à la demande originaire. Par contre, si le tribunal décide du motif de rétractation de façon définitive lors de la présentation du pourvoi, le fardeau qui incombe à la partie demanderesse en est un de persuasion. Elle doit convaincre le tribunal, selon la prépondérance des probabilités, du bien-fondé du motif de rétractation invoqué. Or, le tribunal est de la deuxième école principalement à cause du premier alinéa de l'article 348 C.p.c. qui prévoit la suspension de l'exécution du jugement lors de la présentation du pourvoi. Si, lors de la présentation, le tribunal devait nécessairement se prononcer sur le bien-fondé du motif de rétractation (et non seulement sur sa suffisance), la suspension de l'exécution du jugement à cette étape serait superflue. Le jugement serait ou non rétracté et, dans ce dernier cas, le tribunal n'aurait plus qu'à se prononcer sur la demande originaire. Le fait que le législateur ait prévu la suspension de l'exécution du jugement non seulement en cas d'urgence (art. 350 C.p.c.), mais également lors de la présentation du pourvoi convainc le tribunal que cette première étape correspond à celle de la réception du droit antérieur. Il s'ensuit que la demanderesse n'a pas à ce stade-ci à prouver le bien-fondé du motif de rétractation qu'elle invoque. Le rôle du tribunal se limite à vérifier si le pourvoi a été formé dans le délai — c'est le cas ici — et si le motif invoqué est suffisant à première vue, tout en tenant compte des moyens de défense à la demande originaire. En effet, le motif de rétractation et les moyens de défense sont des « vases communicants ». Plus les moyens de défense sont sérieux, plus le motif ayant empêché une partie de se défendre sera jugé vraisemblable et recevable.
En l'espèce, la défenderesse invoque sa grossesse difficile, son congédiement illégal et son déménagement. Ces circonstances auraient affecté son énergie, sa concentration et sa disponibilité et l'auraient empêchée de se défendre. Le demandeur fait remarquer que suivant les allégations du pourvoi, le congédiement de la défenderesse est survenu le 14 juin, une semaine après la date de présentation de la demande. Même chose pour son déménagement qui s'est déroulé du 25 au 30 juin. Il a raison, mais la défenderesse explique qu'elle vivait des difficultés au travail et qu'elle était dans les préparatifs de son déménagement lorsqu'elle a reçu signification de la demande. Elle n'a pas été capable de lire la procédure au complet, trouvant cela trop dur sur le plan émotionnel. Elle l'a finalement fait lire à sa mère, puis à son conjoint qui s'est chargé d'appeler un avocat. La défenderesse invoque en quelque sorte son épuisement et son incapacité à faire face à la situation. Ce motif est suffisant à première vue pour remettre les parties en l'état et suspendre les effets du jugement. Il appartiendra au juge saisi du fond du pourvoi de décider si la défenderesse a été empêchée de se défendre « par surprise ou par une autre cause jugée suffisante ». Pour conclure ainsi, le tribunal tient compte des moyens de défense à la demande originaire sur la question de la pension alimentaire. En effet, les relevés 1 et les feuillets T-4 produits par la défenderesse montrent que celle-ci a gagné 19 114 $ en 2016. Or, la pension alimentaire rétroactive a été fixée en fonction d'un salaire de 33 000 $. Pour 2017, le calcul avancé par le demandeur — une règle de trois — porte les revenus annuels de la défenderesse à 33 388 $. Or, la déclaration de l'ancien employeur de la défenderesse montre que celle-ci a gagné 13 912 $ du 16 janvier à la date de son congédiement en juin. Depuis la mi-juillet, elle reçoit des prestations d'assurance-emploi dont le montant est forcément moindre que le salaire sur la base duquel la pension a été fixée. De plus, la défenderesse accouchera dans quelques semaines, si bien qu'elle n'est pas près de trouver un nouvel emploi. L'on peut penser que le juge n'était pas au courant de cette situation particulière, car il écrit que la défenderesse « devrait être en mesure de retirer des prestations d'assurance-emploi d'ici à ce qu'elle trouve un nouvel emploi ». Ainsi, les moyens de défense de la défenderesse sur la question de la pension alimentaire paraissent sérieux, et ce, en dépit du fait que le demandeur aurait pu, comme il le mentionne dans sa déclaration sous serment, requérir une pension alimentaire rétroactive au 25 mai 2014. Il n'est pas dit en effet que le tribunal, informé des circonstances dans lesquelles se trouve la demanderesse, aurait fait droit à cette demande. Quant aux moyens de défense sur la question de la garde, le demandeur a raison de souligner leur faiblesse apparente. Il exerce la garde des enfants depuis plus de trois ans et si l'on tient compte, entre autres choses, des besoins particuliers de X et de Z (le premier a reçu un diagnostic de trouble du spectre de l'autisme et le second, de trouble du déficit de l'attention avec un trouble de l'opposition), la demande de la défenderesse pour une garde partagée n'est pas sans embûches. Il n'y a pas lieu pour cela de suspendre en partie l'exécution du jugement. Puisque, suivant l'article 348 C.p.c., les parties seront remises en l'état, il est préférable de laisser au juge du fond le soin de décider s'il rétracte ou non le jugement, en tout ou en partie.
Finalement, le demandeur invoque le principe de la stabilité des jugements, lequel principe est lié au moyen d'irrecevabilité pour cause de chose jugée. Or, selon la Cour d'appel, ce principe pèse moins lourd en matière de rétractation de jugement rendu à la suite d'une instruction par défaut de comparaître
Bien sûr, « [e]n présence d'une manoeuvre dilatoire ou d'un je-m'en-foutisme à l'égard du système judiciaire, il ne faut pas jouer le jeu », mais pour mettre fin à un pourvoi à l'étape de la présentation, encore faut-il qu'une telle situation ressorte clairement du dossier. Comme en matière d'irrecevabilité, à moins d'une situation claire et évidente, il faut éviter de mettre fin prématurément à une instance.
En définitive, le tribunal estime que le juge du fond sera mieux placé pour décider, à la lumière d'une preuve complète, si la défenderesse a été empêchée de se défendre « par surprise ou par une autre cause jugée suffisante » ou si elle a fait montre d'une insouciance délibérée. Il pourra rétracter ou non le jugement, en tout ou en partie, et, le cas échéant, se prononcer sur la garde et/ou la pension alimentaire.
D'ici là, vu la suspension de l'exécution du jugement, il convient de prononcer une ordonnance de sauvegarde confiant au demandeur la garde des enfants et accordant à la défenderesse accès à ceux-ci.
Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.
Ouvrir une session | Demander un essai gratuit