La requérante sollicite l'autorisation d'exercer un recours collectif contre les quatre entreprises intimées (Fido, Rogers, Bell et Telus). Essentiellement, elle plaide que les frais de bande passante en itinérance internationale facturés par les intimées sont excessifs ou abusifs au sens de l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) et de l'article 1437 C.c.Q. Le service d'itinérance internationale de données (roaming) permet aux clients de consulter, à partir de leur téléphone intelligent, leurs courriels, de naviguer sur l'Internet, d'utiliser des applications, d'avoir recours à un service de GPS et de transmettre des images ou des vidéoclips. Ce service est possible parce que les fournisseurs de services sans fil, moyennant des coûts qui ne sont pas connus, utilisent les réseaux de fournisseurs étrangers. Les quatre intimées ne facturent aucun frais d'itinérance de données mobiles pour la transmission de données au Canada, puisque leur réseau respectif couvre l'ensemble du pays. C'est quand leurs abonnés quittent le territoire du Canada et qu'ils utilisent le service de données mobiles de leurs téléphones intelligents que des frais additionnels leur sont facturés. Ces frais varient selon que l'abonné a souscrit à un forfait ou non, et selon le forfait souscrit.
Pour les motifs qui suivent, le tribunal est d'avis de rejeter la requête.
Le paragraphe b) de l'article 1003 C.p.c. exige que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées. Or, après une analyse détaillée de la requête, le tribunal est forcé de conclure que cette exigence n'est pas satisfaite ici. Pour l'essentiel, la requérante fonde sa requête sur la conclusion qu'elle tire de la recherche de ses avocats qui veut que les tarifs d'itinérance internationale de données facturés par les intimées soient élevés au point de constituer un cas d'exploitation de leurs abonnés au sens de l'article 8 LPC et un exemple de clause contractuelle abusive au sens de l'article 1437 C.c.Q. Il faut donc qu'il y ait un contrat pour prétendre au redressement recherché par la requérante. Or, celle-ci n'a pas jugé bon de produire le contrat de service qui la lie à Fido. Ceci peut sembler élémentaire, mais la connaissance des termes des obligations dont on demande la réduction en vertu de la LPC ou de la clause qu'on veut faire déclarer abusive est une donnée factuelle cruciale. Ici, la requérante se trouve à demander au tribunal de présumer à ce chapitre, alors qu'elle cherche à faire autoriser l'exercice d'un recours pour le compte d'un groupe qu'elle chiffre à des dizaines de milliers de résidants du Québec. Si la requérante ne dépose pas le contrat la liant à Fido, comment alors tenir compte des «prestations respectives» des parties pour en mesurer la disproportion? Et comment jauger le désavantage excessif d'une clause de ce contrat pour décider si celle-ci dénature le contrat? À l'évidence, dans le présent contexte, le contrat est un fait tangible essentiel pour permettre de juger si les conclusions recherchées paraissent justifiées, à cette étape, et de juger de la représentativité de la requérante. Les factures produites en preuve ne peuvent être que le reflet des obligations contractuelles assumées par la requérante et par Fido; elles n'établissent aucunement le cadre de ses obligations. Cela suffit pour conclure que les faits allégués ne paraissent pas justifier les conclusions recherchées. Mais ce n'est pas tout. En effet, faute d'avoir pu colliger des données financières précises sur les coûts qu'assument les intimées pour assurer les services d'itinérance et sur l'établissement de leurs grilles tarifaires, les avocats de la requérante ont puisé des informations à gauche et à droite dans un nombre réduit de documents sans expliquer en quoi ceux-ci sont préférables à d'autres. Et pas un mot sur la méthodologie suivie. De ces documents, les avocats ne retiennent que ce qui appuie leurs propos et, à partir de là, ils assoient une thèse sur laquelle prennent assise les questions communes proposées. Le hic, c'est qu'il n'y a pas de faits autres que celui que la requérante a engagé des frais d'itinérance de 6,14 $ par mégaoctet aux États-Unis. Pour le reste, tout n'est qu'une hypothèse. Or, le Code de procédure civile est clair: les faits allégués doivent paraître justifier les conclusions recherchées. Ce n'est pas le cas ici. À l'audience, la requérante a énoncé clairement que le recours qu'elle propose d'exercer en est un qui est fondé sur la lésion objective. Cependant, les faits soumis ne permettent pas de conclure qu'on a exigé d'elle, en contrepartie des services qu'elle a reçus, une prestation nettement disproportionnée. Pour pallier le fait que le CRTC n'est pas en mesure de fournir à ses avocats les informations sur les prix que facturent aux intimées les exploitants de réseaux sans fil étrangers pour transporter des données, la requérante bâtit de toute pièce une hypothèse sur des données qui, à leur face même, sont difficilement comparables. Il ne s'agit pas de faits indépendants, tangibles, objectifs, concrets et palpables sur lesquels s'appuient les conclusions recherchées et les questions communes. La requérante allègue que, une fois l'exercice du recours autorisé, elle aura tout le loisir de rechercher les faits qui lui font défaut. Ce n'est toutefois pas là la mécanique du recours collectif. Le tribunal ne peut se convaincre que des inférences et des hypothèses non vérifiées peuvent être assimilées à des faits. Il ne peut se convaincre que bâtir une thèse à partir de données sélectionnées par les avocats de la requérante pour fonder une demande de recours collectif répond à l'impératif du paragraphe b) de l'article 1003 C.p.c. La Cour supérieure n'est pas une commission d'enquête. Or, en l'espèce, faire droit à la requête ne mènerait à rien d'autre qu'à ouvrir une enquête à caractère public sur l'industrie de la téléphonie sans fil sans avoir ni le mandat, ni les ressources, ni la compétence spécialisée pour ce faire.
Bref, les faits allégués ne paraissent justifier ni la composition du groupe, ni les conclusions en lésion objective, ni celles voulant que les prix facturés aux abonnés par les intimées soient abusifs au sens du Code civil du Québec. La requête ne peut donc être accueillie.
Le tribunal pourrait terminer là son analyse, mais il croit utile de poursuivre l'analyse au chapitre de l'intérêt de la requérante pour agir.
Les intimées plaident que, au surplus, la requérante n'est pas en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres du groupe. Elles ont raison. La preuve démontre clairement l'absence d'intérêt de la requérante pour agir contre Telus et Bell. En effet, non seulement elle n'a jamais été liée à ces deux entreprises, mais son interrogatoire démontre qu'elle n'est pas non plus familière avec les frais d'itinérance facturés par ces deux entreprises. Elle n'est même pas familiarisée avec les frais d'itinérance facturés par Fido, qui est son fournisseur depuis 2006. Répétons qu'elle n'a pas mis en preuve le contrat la liant à Fido non plus. C'est en réponse à un courriel du cabinet d'avocats qui la représente aujourd'hui qu'elle a accepté de se porter requérante dans le présent dossier. Elle explique qu'elle a lu le projet de requête pour autorisation. Elle n'a toutefois demandé d'y apporter aucune modification. Elle n'a mené aucune enquête ni fait quelque démarche que ce soit en lien avec le recours. Elle dit qu'il lui est arrivé à plusieurs reprises d'acheter un programme à forfait d'itinérance de données lors de ses voyages aux États-Unis, mais qu'elle a choisi de ne pas le faire lors du voyage qu'elle a fait en septembre 2012. Elle avait alors estimé qu'il lui en coûterait environ 100 $ pour l'utilisation de données. Elle dit qu'elle a été surprise lorsqu'elle a vu qu'on lui avait plutôt facturé 250 $. Elle n'a cependant pas alors téléphoné à Fido pour se plaindre ou tenter de faire baisser ce montant; elle l'a payé sans protester. Elle dit avoir lu le rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les frais comparatifs d'itinérance internationale mis en preuve par ses avocats, mais elle admet qu'elle n'en connaît pas la méthodologie. Il en va de même des autres documents produits au soutien de la requête, lesquels ont tous été sélectionnés par ses avocats. Elle ne connaît pas les coûts ni les modalités des services d'itinérance de Bell, Telus, Vidéotron et des autres compagnies auxquelles sa requête fait référence. Son niveau de connaissance des frais de téléphonie cellulaire ne dépasse pas celui de l'usager moyen qui se forme une opinion à partir de ce que les usagers véhiculent entre eux: les frais au Canada sont trop élevés, il en coûte bien moins cher en Europe qu'au Canada, etc. Par ailleurs, la requérante bénéficie de divers services, certains à forfait, comme l'indique sa facture mensuelle. Ceci correspond à ses besoins propres, comme elle l'a expliqué lors de son interrogatoire hors cour. Elle a aussi expliqué qu'il lui arrive d'apporter des modifications à son contrat afin qu'il corresponde davantage à ses besoins du moment. Cela démontre que l'éventail des applications et services offerts par Fido à ses abonnés accroît la spécificité de chaque contrat de service et, de là, les coûts associés. Et il en est de même pour les autres intimées. Partant de là, des permutations sont possibles à l'infini. Ainsi, en se basant sur les faits allégués dans la requête, rien ne permet d'établir qu'un client de Fido est dans la même position qu'un client de Telus ou de Bell, ou même qu'un autre client de Fido, d'ailleurs. Or, la règle veut que la partie qui requiert l'autorisation d'exercer un recours collectif contre plusieurs défendeurs doive avoir l'intérêt juridique pour le faire contre chacun d'eux. Cela est logique, puisque, à cette étape, le recours du requérant n'existe pas encore sur une base collective. Les articles 8 LPC et 1437 C.c.Q. ont ceci en commun qu'ils exigent que soit établi soit un déséquilibre important, soit une disproportion considérable entre les prestations prévues au contrat de part et d'autre. Or, en matière d'itinérance sans fil de données, la preuve est que les contrats varient en fonction des fournisseurs de services et des besoins des abonnés. Il n'y a donc pas un modèle unique de contrat. Dans le cas présent, même en tenant pour fondée, aux fins de la discussion, la thèse de la requérante, il n'y a aucune démonstration de la teneur des obligations contractuelles liant Bell à ses abonnés ou Telus aux siens. Pourtant, à la base même du recours projeté ici, il y a une notion de comparaison. Sans cet exercice de comparaison, aucune conclusion ne peut être tirée par un tribunal, dans un recours individuel comme dans un recours collectif, sur la disproportion entre les prestations. Le tribunal ajoute que nous sommes ici à mille lieues des situations d'exception existant dans les arrêts Christ-Roi et Marcotte, dans lesquels, une fois la question de droit tranchée, le recours collectif profite aux membres du groupe sans distinction importante. Dans le présent cas, le tribunal considère que c'est plutôt la règle générale de l'arrêt Agropur qui doit trouver application et conclut donc que la requérante n'aurait pas été en mesure d'assurer une représentation adéquate des abonnés de Bell et de Telus si le recours avait été autorisé.
Le tribunal estime également que la requérante n'aurait pas non plus été en mesure d'assurer une représentation adéquate des autres membres du groupe proposé. En effet, la représentation adéquate du représentant ne dépend pas uniquement de son intérêt à poursuivre. Encore faut-il que celui-ci ait la compétence pour ce faire. Or, à l'évidence, la requérante n'a pas cette compétence. Le Code de procédure civile exige que le représentant soit lui-même en mesure de représenter adéquatement les membres, pas que ses avocats le soient. Paraître et prêter son nom ne suffisent pas; il faut une présence active. Ce n'est pas le cas de la requérante.
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